Mon Mali d’aujourd’hui agonise. Notre Mali d’aujourd’hui périt. Nous maliens, du nord au sud ; de l’est à l’ouest, souffrons et mourrons ! A l’heure où notre pays traverse les moments les plus sombres de son existence ; où toutes sortes de difficultés pèsent, en toute exclusivité, sur les citoyens représentant dans une très large majorité, la couche sociale la plus faible et la plus défavorisée, par des politiques « criminelles », que nous sommes ; nous sommes tentés de nous prononcer modestement sur l’une des questions les plus importantes.
Parmi toutes les difficultés, traversées par le pays, que nous nous gardons de faire une énumération ; l’école malienne connait une situation inédite, sans précédent. Situation des plus désastreuses en termes de conséquences. Situation des plus déplaisantes, angoissantes en tant que fardeau. Nous nous sommes posés la question de savoir comment sommes-nous arrivés là ?
Cette question nous nous la posons car si l’école malienne est longtemps remise en cause du fait d’un niveau assez bas dans nos écoles ; cette fois ci, depuis 3 à 4 ans, et maintenant les élèves n’ont aucun accès aux salles de classes pour une quelconque éducation. Alors le niveau n’est plus à évaluer ; bas ou haut niveau, les enfants subissent ce qui ressemble à la déscolarisation. Et nous sommes au 21ème siècle. Quelle tragédie !
A qui la faute ?
Certains esprits étriqués, effrités viendront nous dire que c’est simple : « la faute est aux enseignants grévistes ». « Ils ne se soucient pas des enfants » ; tout ce qui les intéresse, « c’est l’argent ». Cette démarche est dépourvue de toute rationalité et d’objectivité. Nous ne devons pas tomber dans ce piège ; nous sommes désormais des hommes « avertis ». En quoi les enseignants seraient-ils fautifs dans cette situation ? Nous ne le voyons pas.
Notre esprit pourrait sembler téméraire, en nous lançant sur ce terrain ; mais une analyse scientifique notamment socio-juridique de cette situation nous permet, et en toute objectivité, de nous prononcer sur certains points.
En l’espèce, il s’agit d’une réclamation à la base. Réclamation faite par les enseignants pour améliorer leurs conditions de vie et de travail dans un pays où le taux d’alphabétisation atteint un seuil écœurant en 21ème siècle ; dans un pays où seules les personnes dotées d’une conscience philanthropique peuvent éduquer. Beaucoup de nos concitoyens n’ont pas choisi cette voie. Certains sont dans le commerce, d’autres ont opté pour d’autres métiers plus rentables financièrement. Quoi de plus normale et légitime que cette réclamation ?
Il s’agit des enseignants. Ces braves hommes et femmes qui ont décidé de ne jamais être des nantis dans leur vie pour bâtir avec honneur et fierté, la craie dans la main, un avenir radieux pour ce pays. Qui peut prétendre jouer ce rôle mieux que les enseignants ?
Ils ne veulent pas être riches. Ils veulent juste un peu de compréhension ; un peu de sensibilité ; un peu d’amélioration ; un peu d’humanité à leur égard. C’est cela leur seul péché en réalité. D’ailleurs est-ce un péché ?
Le “matraquage” des enseignants au Mali, un sabotage de l’Etat de droit!
En droit, les enseignants n’ont été que des victimes dans cette situation. Trois points nous permettrons de le démontrer :
D’abord c’est une mesure législative, avec tous ces effets, qui prévoit une majoration salariale pour les enseignants. Il s’agit de l’article 39 de la loi n°2018-007 du 16 Janvier 2018 qui dispose que : « toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du statut général des fonctionnaires s’applique de plein droit au personnel enseignant de l’enseignement fondamental, secondaire, de l’éducation préscolaire et spéciale ».
Selon des adages qui se sont érigés en règles : « nul n’est censé ignoré la loi » ; « nul n’est au-dessus de la loi ». Ces principes impliquent l’application de la règle de droit dans tout Etat de droit. Et c’est la même règle de droit qui exige que soit améliorée la condition de mes enseignants. Pourquoi on leur refuse leur dû alors que d’autres fonctionnaires en bénéficient ? C’est de la discrimination et aucun esprit lucide ne saurait cautionner une telle injustice. Mais nous reviendrons sur la raison véritable de tout ça, sommairement, plus loin.
Ensuite la grève est une voie légale pour faire valoir son droit (article 21 de la constitution). Elle est légitime et justifiée dans le cas d’espèce. Et ce droit des enseignants a été violé. Comment ?
En lançant une campagne de recrutement de volontaires pour remplacer les grévistes, le gouvernement nous a rassurés d’une chose : il n’a pas la volonté de respecter les lois qui régissent notre pays. Cette mesure-là porte atteinte non seulement au droit à la grève des enseignants, mais aussi, et conséquemment à leur droit à l’égalité devant la loi (article 3 al. 1 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples) ainsi qu’à leur droit à un emploi effectif. Cette mesure illégale ne peut avoir d’autre qualificatif qu’un licenciement implicite et abusif.
Sans compter que le droit à l’éducation de nos enfants a été violé. Techniquement parlant, c’est l’Etat qui viole les droits de l’Homme puisque c’est à lui seul d’assurer leur mise en œuvre.
Certains pourront prétendre à tort que les enseignants doivent songer au droit à l’éducation des enfants (qui serait supérieur à leurs yeux que d’autres droits) en sacrifiant leurs propres droits. Ainsi, nous répondrons que suivant la tendance actuelle des droits de l’Homme, aucun droit de l’Homme quel que soit sa dénomination n’est supérieur ou inférieur à un autre droit de l’Homme. C’est le principe de « l’égalité entre les droits de l’Homme » ; Il suppose qu’en cas de conflit entre deux droits de l’Homme, le juge doit les concilier mais non sacrifier l’un au profit de l’autre. C’est un peu technique et c’était juste un éclaircissement puisque dans notre cas, aucun droit n’est en conflit avec d’autres. Il s’agit d’un seul auteur (l’Etat) qui viole les droits d’un seul ensemble de victimes (élèves, enseignants, toute la population malienne par ricochet).
Enfin leur liberté d’expression fut méprisée par la plus cruelle des manières quand ils ont décidé de marcher. Ils ont subi des actes de violences inimaginables dans un Etat de droit. Ils ont été battus à sang. La constitution fut violée car elle consacre la sacralité de « l’intégrité physique » des personnes. Il ne doit y être porté atteinte qu’à la suite d’une décision de justice et exceptionnellement par la légitime défense. Les circonstances de l’évènement prouvent que cette dernière serait hors contexte dans ce cas. La liberté d’expression (ou de manifestation) est une liberté fondamentale qui s’impose aux pouvoirs publics qui ne doivent pas et ne peuvent pas empêcher leur réalisation. Même l’ordre public ne peut être abusivement évoqué pour anéantir ce droit. C’est alors que Kéba MBAYE nous apprend que : « L’intervention de l’Etat, gardien de l’ordre public et défenseur des tiers, s’exerce dans une voie étroite. L’Etat doit se garder d’anéantir les droits qu’il prétend limiter par référence à ces deux pôles que sont l’ordre public et les droits des tiers. Il y a donc un équilibre à trouver entre deux exigences également respectables » (Les droits de l’homme en Afrique ; page 26).
La ruse comme mode de gouvernance et de gestion de cette crise !
Ce n’est que maintenant que nous pouvons démontrer le pourquoi de tous ces agissements non exemplaires de nos gouvernants. Pour y parvenir, un avis nous édifie. Celui du Dr Djiby DIAKHATE, un éminent sociologue philosophe du Sénégal, pour qui : « tous nos dirigeants africains ont, comme livre de prédilection, ‘’Le Prince’’ de Nicolas MACHIAVEL ». Cela a un sens. Ce livre incite à l’emploi de toutes sortes de manœuvres peu recommandables pour rester au pouvoir le plus longtemps : c’est la ruse.
La ruse qui explique les actes de nos politiques et dirigeants de façon constante et générale, joue ici, également, un rôle de premier plan. La défaillance a triomphé au sein de notre gouvernement. L’insécurité grandissante règne en maitre sur toute l’étendue de notre territoire ; toutes sortes de crises sociales planent et indignent la population. La ruse voudrait, pour nos dirigeants, d’autres causes d’indignation imputables à d’autres personnes pour que la population compatisse et change de position pour se rapprocher d’eux. Le moment est parfait pour les rusés. Ils sont incapables d’assurer les conditions optimales pour l’éducation des enfants, il leur faut désigner un autre coupable. Les circonstances du moment font que les enseignants grévistes seraient un bouc-émissaire parfait.
En conclusion ; pour sortir du gouffre, une seule solution : que chacun puisse s’indigner de l’injustice et fasse de ce combat le sien pour qu’ensemble tous les maliens condamnent cette injustice dont la conséquence, si rien n’est fait, sera irréversible et fatale.
Seydou Diarra,
Juriste de formation.
Source : Le Pélican