Après le Haut représentant pour les Régions du Centre, Pr Dioncounda Traoré, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta s’est dit récemment favorable à l’ouverture d’un dialogue avec les chefs terroristes. Que pensent les leaders politiques de cette démarche destinée à stopper la spirale de la violence dans notre pays?
Pr Tiémoko Sangaré, président de l’Adéma PASJ : «la situation requiert que l’on saisisse toutes les opportunités»
L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la déclaration du président de la République relative au dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadou Kouffa ?
Pr Tiémoko Sangaré : L’analyse que j’en fais procède d’abord de la prise en compte des différentes opinions qui ont été exprimées à travers le pays, depuis la Conférence d’entente nationale jusqu’au Dialogue national inclusif (DNI). Mieux encore, la situation que connaît notre pays requiert qu’on fasse usage de toutes les opportunités qui peuvent s’offrir à nous. Aujourd’hui, la situation a fortement évolué. La crise est partie d’une rébellion pilotée par des citoyens maliens, avec des revendications politiques. Mais très rapidement, les choses ont évolué, et la composante terroriste est devenue prépondérante surtout au niveau du contrôle du terrain. Et, il s’est trouvé que cette composante est dirigée à l’origine par des citoyens maliens. Très rapidement, la composante terroriste a connu des mutations. De plus en plus, on se rend compte qu’il y a une internationalisation du terrorisme. In fine, le contrôle des opérations, me semble-t-il, est aujourd’hui plus aux mains des étrangers.
Face à cette situation, je pense qu’il est important que tous les acteurs nationaux fassent preuve de discernement. À cet égard, il serait indiqué qu’on arrive à faire la part des choses. Notre pays est aujourd’hui en train d’être véritablement occupé par des bandes terroristes. Alors, s’il était possible de faire en sorte que les citoyens maliens qui évoluent dans ce cadre, finissent par comprendre que la question devient plutôt une équation qui met le Mali en face des autres, en ce moment il faut rechercher, faire en sorte que les Maliens, à partir du constat de la communauté de destin qui les unit, se parlent. Cela, pour faire face à la vraie menace qui est désormais celle qui plane du fait des étrangers.
Fort de cette analyse, et aussi de ce que j’ai entendu pendant la Conférence d’entente nationale, et tout le long du DNI, qui indique que globalement les Maliens ne sont pas opposés au fait que les autorités parlent avec ceux d’entre nous qui seraient prêts à renouer avec le Mali, avec la République et ses valeurs ainsi que la légalité constitutionnelle. Et, ils l’ont exprimé fort, en demandant que les discussions s’ouvrent avec Iyad Ag Ghali et Hamadou Kouffa, qui sont des citoyens maliens qui sont dans leur logique, mais qu’il ne faut pas désespérer de faire revenir dans la logique du Mali, si cela était possible, et qui devra se faire au prix de la renonciation aux options qu’ils défendent et qui sont contraires aux valeurs de la République, pourquoi pas.
C’est pourquoi, je dis aujourd’hui que le président de la République a tout à fait raison de n’écarter aucune opportunité susceptible de s’offrir à nous. Étant entendu, et d’ailleurs lui-même l’a précisé, qu’en acceptant une telle démarche qu’il n’est pas naïf. Je comprends cette précaution, en ce sens que, comme il a indiqué pendant la négociation autour de ce qui est devenu l’Accord pour la paix et la réconciliation, il reste conforme certainement aux lignes rouges qu’il avait alors indiquées. Si ces lignes rouges sont acceptées par des acteurs, il n’y a aucune raison qu’il ne soit pas possible de discuter avec ceux-ci.
Bien entendu, c’est quelque chose qui devra être minutieusement examiné et conçu. Parce qu’il y a beaucoup d’éléments qui devront rentrer en jeu, mais j’estime que la possibilité de discuter avec ces compatriotes-là va faire partie des options dont nous disposons pour chercher une porte de sortie de la situation actuelle dans laquelle le pays se trouve.
L’Essor : En quoi cette tentative de dialogue peut-elle aider à la sortie de crise ?
Pr Tiémoko Sangaré : Si ce dialogue était instauré, et que les bases, notamment la République et ses valeurs étaient acceptées comme telles par ceux vers qui cette démarche se fait, il y aurait l’avantage de démobiliser tous ceux qui évoluent sous la conduite de ceux-là. Et, si c’était le cas, on aurait le gain qu’une bonne partie de nos concitoyens qui sont mobilisés dans les rangs terroristes, pourraient être démobilisés. Et, nous allons nous retrouver dans une situation où c’est désormais les Maliens, toutes composantes de la société confondues qui se mettront ensemble pour faire face aux étrangers. Je pense qu’aujourd’hui, c’est le véritable combat que nous devons mener. Parce qu’avec ce qui se passe non loin de nous, il y a de forts risques que ces organisations internationales terroristes cherchent une base arrière, et il y a à craindre qu’ils ne trouvent le site favorable à cela sur notre territoire.
Pour éviter cela, il serait bon que l’ensemble des Maliens comprennent, y compris ceux qui ont épousé les vues de ces gens là que, au bout du compte, c’est leur pays qui va en pâtir, que ce sont leurs parents qui vont en pâtir. Donc si les uns et les autres parvenaient à le comprendre, il y aura des chances de mettre tous les Maliens ensemble pour que, collectivement, on puisse faire face à ceux qui veulent venir utiliser notre pays comme base arrière.
Propos recueillis par
Aboubacar TRAORÉ
Dr Bocari Tréta, président du RPM : « les Maliens ont donné le feu vert pour explorer
les voies menant à la paix »
L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la déclaration du président de la République sur l’ouverture d’un dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadou Kouffa ?
Bocari Tréta : Je fais le constat que le président s’est fait écho d’une demande du peuple malien. Déjà, lors de la Conférence d’entente nationale, les participants avaient, à la grande majorité, demandé l’ouverture de ce dialogue. Je retiens également que diverses rencontres tenues notamment dans la Région de Mopti, y compris la dernière conférence des Ulémas sous l’égide du Haut conseil islamique, avaient fait la même demande.
Mais de façon plus remarquable, c’est la position du Dialogue national inclusif (DNI) où une recommandation a été prise dans ce sens. Donc, je note que c’est une préoccupation nationale, une demande de l’écrasante majorité des Maliens dans le fond. Maintenant dans la forme, je pense qu’il y a un peu de publicité autour de la question. Le Mali est un pays souverain, ce que les Maliennes et les Maliens attendent, c’est la paix durable. Toutes les voies, tous les moyens qui peuvent concourir au retour de la paix, je pense que les Maliens se sont exprimés et ont donné le feu vert à leur gouvernement.
L’Essor : En quoi cette tentative de dialogue peut-elle aider à la sortie de crise ?
Bocari Tréta : Je pense qu’il faut être très prudent. Cela fait l’unanimité au point de vue de l’analyse tant contextuelle que historique de notre crise qu’elle est multidimensionnelle. Mais, ce qu’on oublie souvent d’ajouter, c’est qu’elle est aussi multi-acteurs. Je ne suis pas convaincu aujourd’hui que Hamadou Kouffa et Iyad Ag Ghali soient des acteurs isolés, ou qu’ils aient une part prépondérante dans la manifestation de la crise. Donc, il faut beaucoup de prudence pour cela. Mais, en même temps, en tant qu’acteurs, à partir du moment où nous nous engageons dans une démarche tous azimuts, pour trouver toutes les voies de solutions pour sortir de la crise, oui je retiens cela comme un élément. Mais en même temps, je pense qu’on aurait gagné en recherchant l’efficacité au lieu de faire de la communication sur cette question.
Propos recueillis par
A. T.
Me Mountaga Tall, président du Cnid-FYT : « Si l’on prépare correctement les négociations, il est possible d’obtenir des dividendes »
L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la déclaration du président de la République sur l’ouverture d’un dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadou Kouffa ?
Me Mountaga Tall : L’état dans lequel le Mali se trouve aujourd’hui et pour toute notre démarche vers la paix, il faut éviter toute forme d’improvisation. Tout ce que nous faisons doit être profondément mûri, planifié et mis en application. Pour ce qui concerne les négociations, il y a la nécessaire préparation qui se fait à différents niveaux. Il faut définir une doctrine très claire avec le cabinet du président de la République, les membres du gouvernement concernés, la haute hiérarchie militaire, d’éventuels négociateurs et aussi les partenaires du Mali. C’est avec cet ensemble de personnes que l’on conçoit et que l’on mûrit un projet de négociation avec l’ensemble des arguments à évoquer. Si cela est fait, on essaye de préparer l’opinion.
Dans le cas du Mali, chacun sait qu’il y a une demande très forte de négocier. Donc, ce sont-là les préalables. Si cette préparation est rigoureuse et sérieuse, il faut éviter toute forme de contradiction. Et nous en avons observé entre le Haut représentant du président de la République pour les Régions du Centre et le ministre des Affaires étrangères. Tout cela donne une mauvaise impression et un avantage à ceux qui sont en face. Mais, le président de la République ayant donné sa version officielle et définitive, c’est sur cela qu’il faut désormais travailler.
Maintenant, quand négocier ? On ne négocie jamais en position de faiblesse. Nous en avons subi l’amère expérience avec l’Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger. On n’attend pas qu’on nous impose une négociation ou que le couteau sur la gorge, on négocie. Dans ce cas, on va à Canossa et on perd tout. Donc, le timing est le second volet qui est d’une extrême importance.
Avec qui négocier ? Depuis la parole du président de la République, on parle de Hamadou Kouffa et de Iyad. Or, il y a Walid Al-sahraoui. On négocie entre Maliens. Qu’en est-il de celui-ci qui est aujourd’hui fort sur le terrain ? Nous devons là aussi être très clairs pour définir les éventuels interlocuteurs.
Que négocier ? Il y a des lignes rouges que le Mali s’est tracées. Il y a des lignes rouges que le Mali a acceptées de ses partenaires. Alors, le contenu des négociations aussi ne s’improvise pas. On s’assied et on sort des schémas préétablis. Qu’est-ce qu’on entend dire ? On n’applique pas la Charia ! Mais, ce n’est de cette façon qu’il faut voir les choses. Il y a un certain nombre de principes aujourd’hui appliqués au Mali et acceptés par tous les Maliens qui procèdent du droit islamique. Il y a d’autres principes qui, aujourd’hui, ne seront pas acceptés par les Maliens. Pas de rejet épidermique, pas d’acceptation sans condition, mais voir l’état de notre droit positif, la source de ce droit que nous appliquons. Il y a une source coranique, il y a une source occidentale et non religieuse, mais voir jusqu’où on peut aller, ce qui est déjà accepté et ce qui est accepté par notre peuple, c’est le volet de la laïcité. Quant au volet de l’intégrité du territoire, cela ne doit même pas être mis dans une corbeille de discussion.
L’Essor : En quoi cette tentative de dialogue peut-elle aider à la sortie de crise ?
Me Mountaga Tall : Si l’on prépare correctement les négociations, si on choisit intelligemment le timing, si l’on fait attention au contenu avec le choix de bons négociateurs, il est possible d’obtenir des dividendes d’une telle opération. Mais, encore une fois, rien ne doit se passer dans l’impréparation, l’improvisation et en position de faiblesse.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA
Moussa Mara, président du parti Yéléma : « Il ne faut pas se focaliser sur les têtes d’affiche des terroristes»
L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la déclaration du président de la République sur l’ouverture d’un dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadou Kouffa ?
Moussa Mara : Il est vrai que les participants au Dialogue national inclusif ont souhaité dans leur majorité que des discussions soient engagées avec Iyad et Kouffa. Le président de la République s’est engagé à appliquer les recommandations, ce qui justifie sa position d’aller vers ces discussions. À ce titre, il est logique avec lui-même. Il faut néanmoins se poser des questions sur la pertinence et l’efficacité de cette démarche. D’abord, il n’est pas évident que les terroristes concernés soient intéressés par des discussions, leurs actions régulières violentes indiquent plutôt le contraire. Il est aussi évident que leur ambition et leurs souhaits sont incompatibles avec le Mali que nous connaissons et à ce qui fait la beauté de notre pays : diversité, ouverture, tolérance, laïcité… Il faut enfin noter que ces groupes ne sont pas les seuls terroristes ni même ceux qui causent le plus de morts dans notre pays. Ces six derniers mois, dans la zone des trois frontières notamment, l’essentiel des attaques ont été portées par l’État islamique de Walid Al-saharoui. En discutant avec les uns, si tant est que cela est possible, quelle attitude adopter par rapport aux autres ?
L’Essor : En quoi cette tentative de dialogue peut-elle aider à la sortie de crise ?
Moussa Mara : Le dialogue est toujours positif si les protagonistes sont sincères et disposent du pouvoir et de la légitimité pour agir vers l’apaisement en cas d’accord. Il faut donc travailler à réunir d’abord ces conditions pour que ce dialogue puisse porter des fruits et nous aider à sortir de la crise. Je voudrais enfin conseiller humblement à nos autorités de ne pas se focaliser uniquement sur les têtes d’affiche des terroristes, mais d’agir de manière plus subtile et plus profonde sur leur entourage, leurs lieutenants ainsi que sur toutes les raisons qui font que des centaines de jeunes les rejoignent.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ de l’Essor