Initié par le président IBK, le dialogue national, annoncé avec tambour et trompette, risque de se transformer en une rencontre entre le gouvernement et l’administration. Au-delà, l’on s’achemine vers un fiasco monumental. Et pour cause, plusieurs acteurs clés (partis politiques, associations, groupements de la société civile et mouvements signataires de l’accord de paix) ont décidé de bouder cette rencontre qualifiée de folklore, et dont le seul objectif est de cautionner le projet de référendum du président IBK. Qui sont les acteurs qui ne seront pas présents au dialogue ? Pourquoi ? Réponses.
Les raisons invoquées sont, entre autres, l’ambiguïté qui entoure les thèmes de référence du dialogue et surtout le manque de confiance envers le gouvernement qui est soupçonné de vouloir contrôler les débats. En effet, les termes de référence du dialogue national inclusif ont été validés, le lundi 16 septembre 2019 à Bamako. Les organisateurs estiment que les recommandations issues du document permettront de mettre en place une stratégie de sortie de crise multidimensionnelle que connait le pays. L’opposition, quant à elle, émet des réserves concernant l’atteinte des objectifs.
Échec en vue !
De nombreuses voix s’élèvent sur le plan politique contre la méthode adopté par le pouvoir. Aussi, le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), le principal regroupement de l’opposition, dirigé par Soumaïla Cissé, a décidé, le samedi 21 septembre dernier, de ne pas participer au dialogue national inclusif. La décision a été prise suite à la non-prise en compte des propositions du FSD « pour la réussite du Dialogue national inclusif » par l’atelier de validation des Termes de référence tenus du 14 au 16 septembre 2019.
Le FSD avait soumis plusieurs propositions à l’atelier de validation des Termes de référence. Ces propositions sont, entre autres, revenir au concept de Dialogue national inclusif ; évaluer l’utilité de tous les participants et allier l’inclusivité à la représentativité paritaire, tant de la majorité, de l’opposition que de la société civile, en évitant la surreprésentation de l’État qui devrait se limiter strictement à la facilitation logistique, sécuritaire et budgétaire ; préciser à l’avance le processus décisionnel qui devrait être sanctionné par une majorité qualifiée des trois quarts (3/4), à défaut de consensus sur un point donné ; débattre sur les raisons des retards et blocages de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger et, le cas échéant, envisager sa relecture ; apprécier l’opportunité et la pertinence de la révision constitutionnelle en ce moment en raison, entre autres, de l’absence de l’État à Kidal et dans bien des localités du centre et du nord, de la persistance voire l’aggravation de l’insécurité ; et de la nécessaire mise en place des règles et mécanismes permettant la transparence des consultations électorales ou référendaires.
Le FSD a également voulu que soit affirmé clairement le caractère exécutoire et contraignant des résolutions adoptées; mettre en place le mécanisme d’un Comité de suivi indépendant et participatif. «Nous sommes au regret de constater que nos espoirs d’un véritable « Dialogue national inclusif », franc, sincère, démocratique et participatif, s’amenuisent de jour en jour, alors que notre Nation recherche, au travers de cet exercice, une ultime opportunité de faire le point de la crise multidimensionnelle, et de définir les fondements d’un Mali nouveau », a indiqué Soumaïla Cissé.
A la veille de l’atelier, de validation des termes de référence du dialogue national, la plateforme « Anw Ko Mali Dron » (AKMD), composée de plusieurs partis politiques et organisations de la société civile dont l’Adema Association, les Fare-Anka Wuli… a décidé de ne pas participer aux travaux afin de ne pas cautionner le lancement d’un « dialogue politique inclusif administré».
Par ailleurs, avant l’annonce du retrait du FSD, la conférence des présidents de la Coalition des forces patriotiques (Cofop) avait aussi annoncé la suspension de sa participation aux travaux de l’organisation du dialogue politique inclusif dans un communiqué daté du mardi 20 août dernier et adressé au chef de gouvernement. La Cofop explique la raison de sa décision par le fait que le gouvernement ne respecte pas les méthodes de son organisation : « Aujourd’hui, nous constatons avec regret que la méthode utilisée est le placement de l’organisation du Dialogue politique inclusif sollicité par les partis de l’Opposition sous l’autorité des départements ministériels. Pour notre part cette manière de faire nous conduira directement au mur », indique le communiqué de la conférence des présidents de la Cofop. Ajoutant que l’exécutif n’est pas concepteur de l’objet du Dialogue politique inclusif qu’elles attendent. Pour cette coalition politique, les décisions issues du dialogue sont plutôt, sous l’autorité du Président de la République, à mettre infailliblement en œuvre par les départements ministériels : « L’Exécutif net peut donc pas être juge et partie dans l’élaboration et la mise en œuvre des termes de références relatifs à l’organisation du dialogue politique que nous attendons », déplorent les responsables de la Cofop.
D’autres acteurs politiques se montrent également réservés, voire hostiles, à l’image du Dr Oumar Mariko, président du Sadi (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance), il annonce qu’en l’état actuel des choses, qu’ils ne participeront pas à ce grand rendez-vous.
Pour Moussa Sinko Coulibaly, président de la ligue démocratique, le dialogue national inclusif occulte des points essentiels. Il est sans équivoque : « Un vrai dialogue est toujours utile et nécessaire. Si c’est un dialogue sincère, un dialogue franc, nous nous y inscrirons. Mais, pour nous, IBK reste le problème du Mali. Un dialogue piloté par ce dernier ne va pas résoudre le problème. Il ne peut être le problème et la solution. Nous avons demandé un dialogue national piloté par une personnalité, neutre, impartiale et ce n’est pas ce que nous voyons. Les trois personnes désignées par le président, nous ne savons pas dans quelles conditions elles ont été désignées, pour quelle feuille de route ni quelles sont les manœuvres derrière. Nous voulions une personnalité étrangère avec suffisamment de distance avec le jeu politique intérieur pour diriger ce dialogue. Nous voulons mettre sur la table le départ du président, et évidemment vu qu’il pilote le dialogue il n’acceptera pas que cela soit inscrit à l’ordre du jour».
Le Cnas-Faso Hère de l’ancien premier ministre, Soumana Sacko, reste constant dans son refus de participer au dialogue politique. Selon Soumana Tangara, le secrétaire politique du parti, le dialogue national inclusif annoncé n’a pour seule motivation et finalité que de chercher les voies et moyens d’une illusoire « légitimation » ex post de l’accord antinational d’Alger, lequel, faut-il le souligner, n’a fait l’objet d’aucune délibération ni, à plus forte raison, d’aucune approbation par d’aucune des institutions républicaines compétentes. « Il est une violation flagrante de la constitution du 12 janvier 1992 et organisant fondamentalement une confédération comme antichambre de la partition du Mali au profit de groupuscules armés à forts relents féodaux, esclavagistes, racistes dépourvus de toute représentativité ou légitimité et instrumentalisés par des puissances étrangères africaines et non africains », déplore-t-il.
Pour Nouhoum Sarr des FAD : « le dialogue projeté par le gouvernement s’est transformé à un forum pour la majorité présidentielle ».
La société civile dubitative
Comme la classe politique plusieurs acteurs au sein de la société civile ont aussi émis de sérieux doutes sur la réussite du dialogue national. Ainsi, le Pr Aly N Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale et le Pr Issa N’Diaye, homme politique et philosophe ont exprimé des réserves quant à la réussite du dialogue. Le Pr Diallo dans une lettre ouverte aux facilitateurs et Pr Issa N’Diaye, dans une tribune parue dans la presse et à la sortie d’une rencontre avec les facilitateurs.
Dans sa lettre, Aly Nouhoun Diallo invite les facilitateurs à faire preuve d’indépendance. « Ne menons pas ce dialogue à la hussarde », prévient M. Diallo.
Pour Pr Diaye, le gouvernement a choisis une mauvaise méthode, pour une réussite du Dialogue politique inclusif. En effet, pour l’universitaire et homme politique, les conditions ne sont pas réunies pour le succès des assises. Aussi, Pr Diaye estime que la première condition pour sa réussite est qu’il soit d’abord ouvert à toutes les questions qui posent problèmes actuellement au Mali. Du reste, il précise qu’en raison de la gravité de la crise dans notre pays, il faut construire un dialogue national incluant toutes les thématiques par le bas : partir des villages, pour venir dans les communes, dans les cercles, dans les régions et au niveau national. « Là, on aura pris la précaution d’écouter les Maliens, les communautés de base et de savoir leurs préoccupations véritables et ce qu’ils proposent comme solutions pour le pays. Donc à partir de cela, on peut construire des alternatives », soutient-il.
Pour sa part, Bakary Doumbia, président du forum des organisations de la société civile, (FOSC) prône plus d’ouverture : « le dialogue doit être ouvert à toutes les couches de la société. Le processus soit ascendant, participatif, de la base au sommet, du local au national. Le dialogue national doit être ouvert à l’ensemble des forces vives de la nation comprenant des organisations autres que les faitières d’associations, ainsi que la diaspora, et qu’il soit surtout indépendant. Il doit être dirigé par une personnalité libre de toute influence. Que les thématiques du dialogue soient définit de manière consensuelle, beaucoup plus larges que ce qui se dessine par le gouvernement. Les résultats de ce dialogue doivent être contraignants pour le gouvernement».
Autre grande figure de la société civile à exprimer ses inquiétudes sur le dialogue national est l’influent leader religieux, Mahmoud Dicko qui lors du lancement d’un mouvement acquis à sa cause a déclaré : « Nous irons à un dialogue par la volonté du peuple pas par la volonté du prince ».
Le dialogue national avant même ses débuts a donc du plomb dans l’aile. La, question est ; est-il encore possible de briser le mur re méfiance entre les différents protagonistes car le pays a réellement besoin d’un dialogue national véritablement inclusif pour trouver les solutions à la grave crise que traverse le pays.
Mémé Sanogo
Encadré
La CMA se retire
La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a annoncé le mardi dernier e retirer du « dialogue national inclusif ». Pour justifier ce retrait, Moussa Ag Attaher, le porte-parole des ex-rebelles, accuse le président de vouloir « revoir certaines dispositions de l’accord de paix » d’Alger, dont le groupe est signataire.
Après avoir suspendu leur participation au comité de suivi de l’application de l’accord de paix, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a annoncé mardi son retrait du « dialogue nationale inclusif » initié par le président IBK. Les rebelles, qui administrent notamment depuis plusieurs années la ville de Kidal, reprochent à IBK de vouloir ouvrir la porte à une relecture de l’accord de paix signé en 2015 à Alger.
« La CMA suspend sa participation aux travaux sur le Dialogue National Inclusif suite aux propos du Président de la République qui officialisent la possibilité de rediscuter de certaines dispositions de l’accord pour la paix », a tweeté, le mardi 24 septembre dernier, Mossa Ag Attaher, le porte-parole.
En effet, le président IBK, dans son adresse à la nation lors de la célébration du 59ème anniversaire de l’accession du Mali à l’indépendance, n’exclut pas une relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger. A l’occasion, le président a réaffirmé « l’attachement du gouvernement malien à cet accord, quitte à en discuter certaines dispositions, l’essentiel étant d’en conserver l’esprit ».
Source : L’aube