DIRECTION GENERALE DE L’ADMINISTRATION DES BIENS DE L’ETAT (DGABE): Une gestion peu orthodoxe faite du matériel roulant

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L’État consacre régulièrement une part importante de son budget à l’acquisition et à l’entretien des véhicules pour son fonctionnement. Suivant la situation fournie par la DGABE, le parc de l’État s’élève à plus de 6 697 automobiles. Cette situation ne prend pas en compte la situation des missions diplomatiques et consulaires. Des cas d’opérations de réforme de véhicules, non orthodoxes, sont souvent signalés à travers des saisines reçues par le Bureau du Vérificateur Général (BVG). Pendant la période sous revue, c’est à dire du 1ier  janvier 2015 au 30 juin 2018, la somme des crédits budgétaires alloués à la DGABE est de 4 milliards 48 millions 724 mille FCFA. Au regard de ce qui précède, le Vérificateur Général a initié la présente vérification de performance de la gestion du matériel roulant de l’État pour la période du 1ier  janvier 2015 au 30 juin 2018.

 La mission du Bureau du Vérificateur général, a constaté que la DGABE n’organise pas l’approvisionnement des services publics en matériels et équipements durables. En effet, l’Ordonnance n°00-067/P-RM du 29 septembre 2000, portant création de la DGABE dispose en son article 2 que la DGABE est chargée entre autres d’organiser l’approvisionnement des services publics en matériels et équipements durables, en relation avec les services techniques du ministère chargé des Finances et les Directions Administratives et Financières ou les Directions des Finances et du Matériel.

Les DFM ou DAF organisent l’approvisionnement du département ou du groupe de départements ministériels en matériels et équipements durables conformément à l’article 2 de l’Ordonnance n°09-010/P-RM du 4 mars 2009, portant création des DFM.

La mission du BVG a examiné les textes en vigueur et les pratiques en place afin d’évaluer la participation de la DGABE dans le processus d’approvisionnement des services publics.

L’intervention de la DGABE à cette étape se limite à sa participation aux réceptions des biens.

L’organisation de l’approvisionnement dont il est question n’est possible que lorsque la DGABE procède à la centralisation des besoins exprimés par les services publics.

Cette centralisation permettra à la DGABE de lancer le processus d’acquisition de matériels.

Cette insuffisance ne permet pas l’acquisition des matériels et équipements par l’Etat à moindre coût en termes d’économie d’échelle.

La DGABE n’a pas élaboré les éléments de la politique en matière de gestion du patrimoine mobilier corporel

La mission a constaté que la DGABE n’a pas élaboré les éléments de la politique de l’Etat en matière de gestion du patrimoine bâti et du patrimoine mobilier corporel et incorporel de l’Etat. En effet, à la date du présent rapport, la mission n’a reçu de la DGABE aucun document de politique.

L’absence de politique ne permet pas aux intervenants de la chaine d’avoir des directives uniformes relatives à la gestion du matériel roulant de l’État. De plus, la DGABE ne peut s’assurer que les ministères gèrent le matériel roulant d’une manière durable et efficace des programmes gouvernementaux. Ce manquement peut constituer une source de disparité entre les départements ministériels, en matière d’expression de besoins et d’acquisition des véhicules.

La DGABE ne procède pas à la reddition des comptes relative à la gestion du matériel roulant

En outre, la mission a constaté que la DGABE n’effectue pas de reddition de comptes relativement au recensement des matériels et équipements de l’Etat, à l’immatriculation et au suivi de leur mouvement. En effet, la DGABE ne produit pas des états trimestriels et l’inventaire annuel des matériels et équipements durables affectés aux départements ministériels.

Les états récapitulatifs trimestriels et l’inventaire annuel du matériel roulant de l’État sont des exigences prévues par l’Ordonnance n°00-067/ P-RM du 29 septembre 2000 portant création de la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’État, ratifiée par la Loi n°01-012 du 28 mai 2001.

La mission s’est entretenue avec les responsables de la DGABE et leur a demandé de lui fournir pour analyse la situation des admissions de matériels roulants par structure, la situation des réformes de matériels roulants par structure ainsi que les états récapitulatifs trimestriels et les inventaires annuels concernant la période sous revue.

La DGABE n’a pas donné suite à la demande de la mission, au motif qu’elle aurait dû recevoir ces états des bureaux comptables des départements ministériels afin de les compiler, mais elle n’a fourni aucune correspondance qu’elle a adressée à ces bureaux comptables dans ce sens.

Il s’agit d’une défaillance importante au regard de l’importance des matériels roulants et équipements durables dans la conduite des missions des différents départements ministériels. En tant que service centralisateur, la DGABE ne saurait simplement attendre que des états lui soient adressés pour compilation.

La DGABE ne tient pas le sommier des parcs autos et motos de l’Etat

En effet, la mission a constaté que le sommier des parcs autos et motos de l’Etat n’est pas tenu. L’article 18 du Décret n°2017-0240/P-RM du 13 mars 2017 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’État, dispose que la «Division Matériel de Transport» est chargée « … de tenir le sommier du parc automobile et du parc moto de l’Etat et de suivre leur mouvement… »

Le sommier est censé contenir toutes les informations relatives au matériel roulant. Il facilite la connaissance précise de tous les matériels roulants faisant partie du patrimoine de l’Etat et permet à l’autorité de tutelle d’exercer un contrôle effectif sur les opérations se rapportant à ces matériels de l’Etat.

De plus, selon le rapport, à l’issue des entretiens avec les responsables de la DGABE, il est apparu que le sommier est un document qui décrit la vie du matériel : valeur d’acquisition, les coûts d’entretien intervenus, le parcours du matériel dans le patrimoine de l’Etat, c’est-à-dire, les différents services par lesquels il est passé, la réforme, et autres.

Aussi, la mission a demandé par courrier à la DGABE de lui fournir ledit sommier. Elle a également eu des entretiens avec les responsables de la DGABE.

La DGABE tient, en lieu et place du sommier, une situation appelée «fichier centralisateur» contenant les informations sur la date d’acquisition du véhicule, du type, du numéro de châssis, du numéro d’immatriculation, de la date de mise en circulation, du service d’affectation et des observations. Ce «fichier centralisateur» ne donne pas d’information sur la valeur d’acquisition, le coût d’entretien, le parcours du matériel dans le patrimoine de l’Etat, la réforme.

Par ailleurs, aucun texte ne précise la forme et le contenu du sommier. En effet, le sommier de consistance est un instrument efficace à même de donner une idée réelle de la consistance matérielle du patrimoine de l’Etat, à condition, toutefois qu’il soit correctement et régulièrement servi. Or, il est constaté dans les faits que les dispositions réglementaires relatives à la tenue de ce sommier n’indiquent pas le contenu et la forme de la tenue dudit sommier. Ce qui fait que l’absence de sommier ne permet pas un suivi efficace du matériel roulant de l’Etat nécessaire pour une bonne prise de décision.

Les véhicules des missions diplomatiques et consulaires ainsi que les engins à deux roues de l’État ne sont pas admis dans le parc du matériel roulant

Dans ce chapitre, la mission a constaté que les véhicules détenus par les missions diplomatiques et consulaires du Mali à l’étranger ne sont pas intégrés dans le « fichier centralisateur » du parc automobiles de l’État tenu par la DGABE. Ainsi, le ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale a fourni à l’équipe de vérification une liste de 289 véhicules, dénombrés dans quarante-huit missions diplomatiques et consulaires, qui ne figurent pas dans la situation transmise par la DGABE.

La mission a également constaté que la DGABE ne tient ni le sommier de consistance du parc motos, ni aucune autre situation faisant état dudit parc.

A titre illustratif, l’équipe de vérification a dénombré 1 732 motos dans les situations fournies par neuf départements ministériels, qui ne figurent dans aucune situation produite par la DGABE.

Ainsi, l’équipe de vérification a demandé, d’une part, à la DGABE de lui fournir le sommier de consistance des biens en service de l’État, et d’autre part, à des départements ministériels, l’inventaire de leurs véhicules au 30 juin 2018, pour rapprochement.

Elle a ensuite rapproché, l’inventaire des véhicules, fourni par les départements ministériels au fichier centralisateur de la DGABE.

La non-admission des véhicules dans le parc de l’Etat augmente le risque de disparition de ceux-là mais également pourrait biaiser les décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de nouvelles acquisitions.

Le service des Domaines n’établit pas le certificat de propriété des véhicules de l’Etat

Ainsi, la mission a demandé au Ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme (Ministre en charge du service des Domaines, par courrier n°0026/2019/BVG du 28 janvier 2019, la situation des certificats de propriété des véhicules de l’Etat, délivrés par le service des Domaines pendant la période sous revue. A la date de production du présent rapport, aucune documentation n’a été produite à la mission par ledit ministère.

La mission s’est également entretenue avec le Directeur National des Domaines. Il en est ressorti, que ce certificat est plutôt établi par la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DNTCP) et non par le service des Domaines.

Aussi, l’équipe de vérification s’est entretenue avec le personnel de la Division des assurances de la DNTCP. Il en est ressorti que cette division établit pour les véhicules l’« attestation de propriété de l’Etat».

Cette attestation de propriété délivrée dans le cadre de l’assurance des véhicules de l’Etat, conformément aux dispositions de l’article 218 du Code des Assurances des Etats Membres de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (Code CIMA), ne remplace pas le certificat de propriété au sens de l’article 70 du code domanial et foncier.

La non-production du certificat de propriété par le service des Domaines ne permet pas de disposer d’une situation fiable des véhicules pour une prise de décision efficace.

La DGABE n’a pas fait immatriculer des véhicules de l’État

La mission a constaté l’existence de véhicules appartenant à l’Etat mais non immatriculés.

Il s’agit d’une irrégularité au cadre règlementaire car le Décret n°00-533/P-RM du 26 octobre 2000 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de la Direction Générale de l’Administration des Biens de l’État, dispose en son article 11 que la Sous-Direction du Patrimoine Mobilier est chargée d’assurer le recensement du matériel et des équipements de l’Etat, procéder à leur immatriculation et suivre leur mouvement.

De même, le Décret n°2017-0240/P-RM du 13 mars 2017 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de la DGABE en son article 18 prévoit que la division matérielle de transport est chargée de préparer les dossiers d’immatriculation, d’affectation, de mutation et de réforme des véhicules de l’Etat.

La mission a examiné les informations contenues dans la base de données de la DGABE et les documents à bord des véhicules lors du contrôle d’effectivité.

Il est ressorti de ces travaux que des véhicules existent dans la base de données de la DGABE avec le numéro de châssis comme seule référence alors qu’ils sont utilisés par des services de l’Etat depuis plus de 3 ans pour certain.

Des véhicules n’ont pas été retrouvés lors du contrôle physique.

Suite aux contrôles d’effectivité, la mission n’a pas retrouvé certains véhicules alors qu’ils existent dans la situation fournie par la DGABE.

Aussi, aucun document relatif à leur mise à la réforme, n’a été fourni à la mission, par les services détenteurs desdits matériels roulants.

La mission a effectué des contrôles physiques en présence d’un représentant du bureau comptable de la Région de Koulikoro et celle de Ségou.

Des dispositions encadrant les rôles et responsabilités du ministre en charge des Finances et celui en charge des Domaines, relatives à la vente du matériel roulant admis à la réforme, sont contradictoires.

La mission a constaté une incohérence entre les dispositions législatives et règlementaires relatives à l’attribution des rôles et responsabilités des principaux responsables en charge de la vente à l’amiable du matériel roulant admis à la réforme. En effet, l’autorisation de vente à l’amiable du matériel roulant reformé de l’État est attribuée à deux différents ministres.

D’une part, l’Ordonnance n°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier, modifiée (ratifiée par la Loi n°02-008 du 12 février 2002) attribue cette responsabilité en son article 70 au Ministre en charge des Domaines : « … Tout bien meuble de l’État admis à la réforme selon les règles de la comptabilité-matières est mis à la disposition du service des Domaines qui décide de sa destruction ou de sa cession. La vente est faite par adjudication publique. Exceptionnellement, elle peut intervenir à l’amiable après autorisation du ministre chargé des Domaines ».

D’autre part, cette prérogative est également attribuée au ministre en charge des Finances par le Décret n°10-681/P-RM du 30 décembre 2010 et le Décret n°2019-0119/P-RM du 22 février 2019, tous portant règlementation de la comptabilité-matières, qui précisent respectivement en leur article 32 et 68 que les ventes doivent être effectuées aux enchères avec publicité préalable. Toutefois, le ministre en charge des Finances peut autoriser par décision, des ventes à l’amiable.

Cette incohérence rend difficile l’interprétation du partage des rôles et responsabilités, ce qui crée une confusion entre les deux autorités intervenant dans la réforme des matériels roulants. Une telle contradiction ne permet pas à la DGABE de jouer pleinement son rôle central.

La DGABE ne dispose pas de manuel de procédures

Selon la mission, la DGABE ne s’est pas dotée de procédures formelles pour encadrer la gestion de ses activités. L’Instruction n°00003/PRIM-CAB du 21 novembre 2002 du Premier ministre, relative à la méthodologie de conception et de mise en place de système de Contrôle Interne dans les Services Publics, fait obligation à tous les services publics d’élaborer et de mettre en œuvre un « manuel de procédures de contrôle interne».

La mission a demandé le manuel de procédures pour examen. Elle n’a pas obtenu de suite de la part de la DGABE à la date du présent rapport. Or, le manuel constitue un outil important dans l’exécution formelle des tâches et leurs supervisions par le personnel de la DGABE. Pour ce faire, il indique le circuit de traitement des opérations en spécifiant notamment les tâches à faire, les niveaux de responsabilités, les différentes étapes de traitement, les lieux de réalisation et les modalités d’exécution.

En l’absence d’un manuel, les véhicules peuvent être affectés sans procédures et critères préalablement définis. De plus, cette absence ne permet pas le traitement uniforme, par le personnel, des dossiers d’admission des véhicules dans le patrimoine de l’Etat. L’inexistence d’un manuel de procédures entraine des disparités dans la manière de traiter les opérations par le personnel.

En somme, la présente vérification fait ressortir le non-respect des dispositions législatives et règlementaires, en matière de gestion du matériel roulant de l’Etat, et de l’inexistence d’un texte définissant les documents exigibles  pour l’admission d’un véhicule dans le patrimoine de l’Etat. De même, la DGABE ne remplit pas toutes les missions que lui confère son ordonnance de création. En effet, l’une des plus importantes insuffisances réside dans le fait que la DGABE ne dispose pas encore, d’une part, des éléments de politique en matière de gestion du patrimoine mobilier corporel, et d’autre part, de manuel de procédures.

L’élaboration d’une politique permet d’harmoniser le processus d’acquisition des véhicules et de réduire au minimum le risque de perte ou de détérioration des matériels et matières de l’Etat. Il est impérieux de définir dans un texte, les documents nécessaires pour l’admission d’un véhicule dans le parc de l’Etat.

S’agissant du sommier, il n’est pas tenu et aucun texte ne précise sa forme et son contenu.

La centralisation des états récapitulatifs trimestriels, quant à elle, n’est pas faite. Cependant, cette insuffisance n’est pas du seul ressort de la DGABE. Sa production ne sera effective et régulière qu’avec l’accompagnement de l’ensemble des bureaux comptables.

L’Etat devrait responsabiliser et impliquer davantage la DGABE ainsi que les bureaux comptables pour faciliter la gestion et le suivi des matériels roulants.

Sous cet angle, eu égard à l’immensité des ressources allouées, par l’Etat, pour l’acquisition du matériel roulant et le risque de déperdition, il est urgent que le Ministère chargé des Finances prenne des mesures décisives pour l’élaboration des éléments de la politique de l’Etat en matière de gestion du patrimoine bâti et du patrimoine mobilier corporel et incorporel de l‘Etat et qu’il mette en place des procédures formelles de gestion du matériel roulant.

Dieudonné Tembely

Source: L’Evènement

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