Huit mois aux affaires avaient persuadé les militaires à croire que leurs idées représentaient l’intérêt général. A huit mois de la présidentielle, ils constatent avec regret que le pays fait du surplace, un euphémisme pour ne pas dire qu’il s’enfonce davantage dans les profondeurs de l’abîme.
La confiance et l’admiration que les Maliens avaient eues au début de la transition politique pour les militaires au pouvoir se sont considérablement effritées en raison de leur propension à se partager la dépouille de l’Etat – le théâtre des opérations négligé au profit des postes administratifs jadis occupés par les civils- , de l’avancée des djihadistes qui sèment la mort et la désolation sur leur passage, du marasme économique et de la multiplicité des conflits sociaux. Le Mali est aussi caractérisé par un recul des libertés publiques. La maladie à coronavirus est le prétexte tout trouvé pour interdire voire réprimer les manifestations pacifiques.
La contradiction fondamentale – pour les militaires en tout cas – se situe entre la conscience de la diversité des opinions sur la marche à suivre et la tendance à vouloir tout imposer eux-mêmes sur le plan des réformes politiques et institutionnelles, de l’animation des organes de la transition, ou encore entre l’inclusivité voulue et le strict attachement à leur volonté de tout régenter. Emerge une objection générale qui leur est faite : l’absence d’une légitimité et d’une philosophie sociale, morale et politique au niveau des relations avec les chapelles politiques, les officines de la société civile tend à rendre difficile l’établissement d’un consensus fondé sur la nouvelle architecture institutionnelle et à donner l’illusion qu’on peut réussir parce qu’on sous-estime les oppositions idéologiques et sociales.
Dix mois aux affaires avaient persuadé les militaires à croire que leurs idées représentaient l’intérêt général. Bien qu’ils aient pris du temps à l’admettre, ils pourraient disposer d’un contrepoids pour modérer leur impétuosité occasionnelle. Ce qui est le plus important, ce n’est point le partage de gâteau, mais l’instauration d’un équilibre et des réformes qui emportent l’adhésion du plus grand nombre. Bien évidemment, un équilibre qui ne serait guère un faux-semblant. Pour accroître les chances d’une inclusivité sincère, il faut que le risque de désaccord, également limité, mais également sincère, soit sincèrement accepté par les militaires. Il ne peut en être autrement. A huit mois de la présidentielle, le constat est quasi-unanime que le pays fait du surplace, un euphémisme pour ne pas dire qu’il s’enfonce dans les profondeurs de l’abîme.
Moctar Ouane bon pour la touche
Ce constat a semble-t-il conduit le président de la transition, Bah N’Daw, à souhaiter la mise en place d’un gouvernement de large ouverture. Pourrait-il avoir chaussures à ses pieds ? Il compte arracher du Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), fer de lance de la contestation contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, des concessions majeures – sa renonciation à la dissolution du Conseil national de transition- tout en donnant des gages de bonne foi en obtenant la démission du gouvernement, c’est-à-dire couper la poire en deux. La coalition hétéroclite a mordu à l’hameçon. Le M5-RFP qui préférait veiller au grain et amorcer une « rectification de la transition » en battant le pavé dès le 5 juin prochain, date anniversaire du début du soulèvement populaire contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta renversé le18 août dernier a donné son aval à une entrée au gouvernement Ouane 2. En clair une grosse épine tirée du pied du président de la transition qui cherchait à éviter à tout prix un tel scénario. Tout comme Bah N’Daw redoutait comme la peste ou le choléra une jonction des forces contestataires, précisément le M5 et la principale centrale syndicale, l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) qui a entamé depuis lundi une grève de cinq jours reconductibles.
La perche tendue faisait d’ores et déjà saliver des formations politiques membres de la coalition qui commençaient à étaler ses divisions sur la place publique.Des curriculums vitae pleuvent sur la table du Premier ministre reconduit Moctar Ouane.
On ne saurait dire qu’au gouvernement sortant figé, l’opinion oppose son aspiration à son renouvèlement. A titre d’illustration, le mépris condescendant du ministre sortant du Travail et de la Fonction publique, Me Harouna Toureh, ses volées de bois vert contre les syndicats qu’il menaçait de représailles tantôt ou qu’il expédiait d’un revers de main ont convaincu beaucoup qu’il est inapte à la fonction ministérielle.Et puis, la primature aurait mérité un autre chef que Moctar Ouane qui n’a pas réussi à décoller. Le jeu de ping-pong avec les militaires au pouvoir et les personnalités très influentes en est la principale raison. Sa reconduction peut apparaître comme une sécurité à deux doigts des élections. Mais cette sécurité est trompeuse : elle devient vite sclérose. Le dogme auquel s’attache l’esprit des militaires est le théorème prestige = qualité. Une analyse fine autorise à cet égard le doute. D’un côté on a vu des hommes de prestige, de grands noms, aboutir à un résultat discutable ; de l’autre, c’est un chef d’orchestre à la réputation mitigée et des membres du gouvernent quasi inconnus qui nous ont donné des réalisations très appréciées des populations. La reconduction de Moctar Ouane réside dans sa forte propension à s’accommoder des militaires. Il a avalé beaucoup de couleuvres et prêt à en avaler davantage.
Bah N’Daw perd du crédit
La manœuvre peut s’apparenter à une volonté du président de la transition de remettre la main. De son champ, le destin l’a propulsé à la tête du pays. Se considérant redevable de ceux qui ont permis cette prouesse, il a laissé faire, au point que le char s’est embourbé et l’évocation de son seul nom suffit à soulever un concert de désapprobation, de rejet et de moquerie.
Les temps ont vraiment changé. Pendant les tout premiers mois de la transition, il était de bon ton de magnifier cet homme précédé d’une solide réputation d’incorruptible. L’idylle a été de très courte durée. Bah N’Daw a perdu une bonne partie du crédit accumulé au fil des ans dans le naufrage de son détachement. D’un air amusé, il a assisté impuissant à ces nominations de militaires à des postes clés administratifs. S’il est réellement mû par un désir d’émancipation, il va falloir s’engager à promouvoir à la fois la sécurité et la liberté, la stabilité et le changement. Des défis certes difficiles à relever, mais plus que jamais indispensables si on veut réussir la transition et éviter demain de retomber dans les mêmes travers.
Georges François Traoré
Source : L’Informateur