Autrefois considéré comme un sacrilège, le divorce est devenu de nos jours le quotidien des couples au Mali et plus précisément à Bamako. Qu’est ce qui explique la croissance de ce phénomène autrefois qualifié de déshonneur au sein de la société ?
Au Mali, la dissolution judiciaire d’un mariage est obtenue par le divorce qui peut être prononcé soit par entente, soit par rupture commune.
La matière est réglementée par les articles 325 du code des personnes et de la famille. Cependant, le tribunal compétent de divorce est celui du dernier domicile commun des époux ou celui de l’époux défendeur.
Dans la capitale malienne, plus le nombre de mariages est élevé, plus le nombre des divorces qui s’ensuit est hallucinant.
Certains couples, après deux mois de mariage ou moins d’une année, se présentent devant le juge pour mettre fin à leur union sacrée. Ces derniers temps, le divorce a connu une recrudescence sans précédent à tel point qu’on l’assimile à un phénomène à la mode. De façon générale, la plupart des divorces seraient causés par l’infidélité, le manque d’attention, des comportements violents…
En 2020, Studio Tamani dans un article avait cité 140.000 cas de divorces recensés au Mali. Ce chiffre donne froid au dos. Toutefois, ce chiffre est difficile à vérifier. Selon le magistrat Abdrahamane Mahamane Maiga, ce manque de statistique fiable est dû au fait que les services judiciaires ne sont pas informatisés.
Coup d’œil en commune I
En commune I du District de Bamako, notre rédaction après une enquête a recensé 352 cas de divorces confirmés de la période allant du 3 janvier 2021 à la de décembre 2021.
A noter que nous n’avons pas pris en compte les cas de divorces qui sont en cours et dont les décisions finales paraîtront très prochainement.
Lorsqu’on jette un coup d’œil sur le tableau d’information au sein du tribunal de grande instance de la commune I qui se situe à Boulkassoumbougou, on peut aisément remarquer que la plupart des demandes de divorces proviennent des femmes.
Qu’est ce qui explique cela ? Autrement, comment mettre fin à ce phénomène ?
Une personne ressource au sein de ce tribunal a affirmé que le caractère privé des divorces favorise son émergence car seules les personnes concernées et le juge sont présents.
Selon lui, les autorités doivent faire en sorte que les audiences de divorce soient publiques, c’est-à-dire ouvertes à tout le monde. « Malheureusement les audiences pour le divorce sont tenues à huis clos. Si elles étaient publiques, je vous assure que le nombre baisserait considérablement car aucun couple n’accepterait de divulguer son problème devant un public ». La source prétend cependant que la plupart des causes du divorce évoquées par les parties en conflit sont fallacieuses, bidons et insuffisantes pour prétendre à une quelconque séparation.
Toujours selon notre contact, l’acculturation et le changement de culture seraient à l’origine de ce que nous vivons aujourd’hui. Il est indéniable de mieux se connaître pour la réussite de toute relation entre des personnes. Fin connaisseur de la chose, il affirme avec certitude que la durée de certains mariages est de 6 mois. Une information à la fois incroyable et inconcevable. Toutefois, il pense que ce fléau pourrait connaître une baisse significative si chaque partie essaie de faire des concessions et accepte de pardonner les erreurs du partenaire.
L’avis d’un sociologue sur la question
Bréma Ely Dicko, sociologue, a donné son avis éclairé d’expert sur cette épineuse question. Selon sa version, le divorce est un phénomène universel. Il affirme également que les causes sont multiples et évolutives. ‘’A la base de ces divorces se situe un problème de communication, la pauvreté, les coups et blessures, l’alcoolisme du mari mais aussi le rôle des beaux parents’’, explique-t-il
Notre sociologue avance que l’absence d’enfants dans le couple peut être aussi un autre facteur de divorce.
Par ailleurs, il affirme que le refus de la femme de vivre en polygamie peut donner lieu également à une séparation. Concernant le rôle des beaux-parents, il estime qu’une belle mère qui s’implique trop dans le couple de son fils peut être mal perçue par l’autre partenaire qui se sentira victime.
Outre ces facteurs, notre sociologue reconnaîtra que l’effet des médias c’est-à-dire Facebook et WhatsApp joue un rôle important dans la plupart des séparations de nos jours. « Nous pouvons remarquer qu’avant les années 2000 ce problème n’existait que très peu, mais présentement, avec l’émergence des réseaux sociaux, cela a créé beaucoup de frustrations dans bon nombres de couples ».
Il estime que ces facteurs font que les femmes sont moins attentives à l’éducation des enfants et cela est source de conflit à l’intérieur du couple.
Monsieur Dicko va plus loin en affirmant qu’avant les années 2000, la plupart des femmes mariées à cette époque encaissait sans broncher aux différents sévices qu’elles subissent et cela pour garantir l’avenir des enfants.
« Le nombre de divorces était moindre avant ce 21ème car les femmes se basaient sur la soumission et le pardon, en bambara Mougnou ni Sabaly ».
Toujours selon sa version, avec la ratification de plusieurs accords par le Mali à l’endroit de la femme a constitué un déclic pour elles. Pour lui, avec toutes les lois qui les protègent, les femmes ont beaucoup plus de recours au divorce de nos jours. « Avec les différentes lois qui les protègent et la multiplication des ONG et autres structures qui les protègent, les femmes ont de nos jours des moyens de s’exprimer ouvertement ».
Pour y remédier, notre chercheur estime que les différents partenaires doivent se connaître avant de formuler le vœu de se marier. Il juge qu’une meilleure connaissance des intéressés peut jouer positivement sur les unions. Par ailleurs, il prône pour une communication au sein des couples qui peut éventuellement faire éviter le pire.
Témoignages de deux personnes divorcées
AB, une jeune femme dont le divorce a été récemment prononcé s’explique: « Au début de ma relation avec mon mari, tout allait pour le mieux. Avant de nous unir devant le maire nous étions en couple pendant près de 3 ans ». Notre interlocutrice affirme avoir divorcé après une année de mariage. « Une année après le mariage, je vivais le calvaire car l’homme que j’avais épousé n’existait plus ».
Elle déclare qu’avant d’opter pour le divorce, l’homme qu’elle avait connu était devenu violent et l’insultait constamment. Selon ses affirmations, son homme s’était métamorphosé en un monstre qui ne lui montrait aucun respect. D’après elle, les injures qu’elle subissait était moindre comparées aux différentes infidélités de son ex-époux. Elle va plus loin en affirmant que ce dernier pouvait passer trois jours sans dormir à la maison. Devant ces écarts de conduite, notre jeune dame qui préfère garder l’anonymat pense que la meilleure décision pour son bien-être était de rompre avec son homme.
Par ailleurs, Mamadou Sidibé également divorcé avance des arguments en défaveur de son ex-épouse.
Selon sa version, avant le début de leur mariage, sa femme l’avait fait savoir qu’elle n’avait pas d’affection pour lui car c’était un mariage arrangé entre famille.
« Je savais qu’elle n’avait pas d’amour à mon égard mais c’était une proposition de mon père alors j’ai accepté. Je pensais qu’avec le temps, elle allait consentir à m’aimer mais malgré tous mes efforts c’était inutile » déclare-t-il. Selon notre interlocuteur, cette union était basée depuis le départ sur du faux et il affirme qu’il avait déjà deviné la finalité de ce mariage. « Malgré les nombreux cadeaux que je lui offrais, elle ne m’a donné aucune chance. J’ai fait de mon mieux pour la mettre à l’aise en l’amadouant de mon mieux » lance-t-il.
Selon lui, la seule option possible pour lui était de divorcer après 2 ans de mariage sans enfant. Il conclut en affirmant que les jeunes filles de nos jours ne connaissent pas la vraie valeur d’un mariage.
En somme, de ces divorces peuvent découler des conséquences comme le rejet d’étamer un autre mariage, être la cible de critiques de la part des uns et des autres ou pire, engendrer un traumatisme chez les enfants dont les parents sont séparés.
Comparativement aux autres pays de la sous-région, une étude montre que le Mali connaît un taux de divorce relativement faible par rapport à ses voisins.
Cependant, il est plus qu’impérieux pour l’Etat de prendre des mesures fortes pour contrer ce phénomène dégradant.
Ahmadou Sékou Kanta
Source : L’Observatoire