Doit-on négocier avec Iyad et Koufa ? Embarras au sommet de l’Etat

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Iyad et Amadou Kouffa (G-D)
Iyad et Amadou Kouffa (G-D)

La question des bons offices avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa est quasiment un tabou au sein du gouvernement, dont la gêne traduit un paradoxe embarrassant, entre les positions officielles de l’État et l’exhortation au dialogue qu’exprime une partie de l’opinion publique.

Le gouvernement a apporté en milieu de semaine dernière un démenti cinglant aux informations relatives au mandat à qui que ce soit à l’offre de dialogue avec les groupes terroristes liés à al-Qaïda. Ni le Haut Conseil islamique (HCI) ni aucune autre instance, dit un communiqué, diffusé jeudi 21 octobre, qui indique tout de même prendre acte que des bonnes volontés se sont manifestées pour mener des négociations. L’annonce de mission de bons offices avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa a eu le don de hérisser le poil du chef du gouvernement. « Aucune organisation nationale ou internationale n’a été mandatée officiellement à ce jour pour mener une telle activité ».Et d’ajouter « lorsque le gouvernement de la République du Mali le gouvernement de la République du Mali jugera opportun d’ouvrir des négociations avec des groupes armés de quelque nature que ce soit, le peuple malien sera informé par les canaux appropriés ». Par ailleurs, le gouvernement a affirmé avoir appris « par voie de presse» que l’Etat aurait ouvert des négociations avec des chefs jihadistes.

Forte demande

L’idée n’est pas nouvelle. Début décembre dernier, sur la chaîne France 24, le Premier ministre malien d’alors Moctar Ouane a fait bouger en exprimant le souhait « d’engager le dialogue avec tous les enfants du Mali sans exclusivité ». Objectif : « Être en phase avec la volonté des Maliens et tenir compte des réalités nationales. »

La lutte antiterroriste est dans l’impasse, l’Etat et ses partenaires peinent à contenir la poussée jihadiste qui a exacerbé la violence intercommunautaire. Ainsi, certains Maliens appellent à des négociations entre le gouvernement et les chefs jihadistes. Dialoguer avec les djihadistes, apparaît comme une solution viable pour rompre avec la crise sécuritaire déclenchée depuis 2012 ? De plus en plus de Maliens épousent ce point de vue. En quelques années, leur posture a nettement évolué. Avant, ce dialogue était inimaginable mais est devenu une demande forte exprimée lors de la conférence d’entente nationale, et ce vœu n’a pas été pris en compte sous le président Ibrahim Boubacar Keïta.

Ces appels au dialogue se heurtent à la résistance de partenaires extérieurs et d’une frange de la population qui se fonde sur des expériences de compromis locaux toutes soldées par un échec des mois après.

Le Haut conseil islamique, avec la bienveillance des autorités de la transition, avait mandaté des chefs religieux pour tenter de discuter avec les jihadistes, en vue notamment de conclure un cessez-le-feu et d’atténuer les violences contre les civils.

Du 27 mars au 3 avril 2017, des centaines de représentants des dix régions du Mali ont participé à une Conférence d’entente nationale pour promouvoir la paix et la réconciliation dans ce pays déchiré par la guerre. Dans leur rapport final, les délégués ont exhorté le gouvernement malien à ouvrir le dialogue avec les insurgés jihadistes, en particulier Iyad Ag Ghaly, un rebelle touareg devenu chef du Jama’at Nusratul al-Islam wal Muslimine (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM), une coalition de groupes jihadistes formée en 2017, et Amadoun Koufa, chef de la Katiba Macina, membre du GSIM. Parmi les dizaines de recommandations formulées par les délégués, celle-ci a été l’une des plus remarquées.

Question tabou

Depuis, des pressions auraient été exercées par des représentants diplomatiques français sur l’ancien Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga, alors en charge du mandat des bons offices octroyé à Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique, en vue d’établir un premier contact avec les groupes jihadistes et de jauger de la faisabilité d’un possible dialogue. C’est ce qui a conduit à la nomination de Soumeylou Boubeye Maïga pour le remplacer, ce dernier avait été jugé « plus conforme aux exigences françaises sur la question ».
Sur la possible ouverture de pourparlers, dans un entretien accordé au journal Le Monde, le président Ibrahim Boubacar Keïta répondait : « Pas question ! », et évoquant la question du mandat du président du Haut Conseil Islamique : « Je l’assume en tant que chef de l’Etat, mais j’étais bien loin de l’approuver. Nous avons mis fin à cette mission ». Lorsque Soumeylou Boubeye Maïga est entré en fonction de premier ministre en décembre 2017, le mandat de bons offices n’est pas reconduit, et la question devient quasiment un tabou au sein du gouvernement, dont la gêne traduit un paradoxe embarrassant, entre les positions officielles de l’État et l’exhortation au dialogue qu’exprime une partie de l’opinion publique.

Dès janvier 2018 cette demande s’est inscrite dans un contexte où l’aire géographique de la violence s’est étendue dans les régions frontalières et dans le centre du pays, couplée à l’évolution de la nature des violences avec plus d’atteintes aux populations civiles dans une proportion de 1 à 10 entre 2016 et 2018. Les attaques successives de casernes militaires par des groupes jihadistes (revendiquées par le JNIM et l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS)) durant l’automne 2019, et particulièrement celles de Boulkessi et d’Indelimane (en octobre et novembre 2019), qui ont causé la mort de plus de 130 militaires maliens, ont constitué un tournant dans les rapports de force et ont grandement fragilisé la présence militaire malienne dans ces zones où l’État est défié au quotidien.
La nouvelle a soulevé une salve de critiques de la part de ceux qui estiment que le moment n’est pas opportun, vu que le rapport de force est largement en faveur des jihadistes qui vont dicter les contours d’un éventuel accord.

Georges François Traoré

Source : L’Informateur

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