Dans cet entretien, le Dr Jeff Dorsey, agroéconomiste américain, travaillant au Mali depuis près d’une vingtaine d’année, fait une analyse de la situation à l’Office du Niger. Partisan de la promotion des produits d’exportation, il trouve que le Mali n’est pas un pays pauvre mais appauvri par les mauvaises politiques.
Tout d’abord, le Dr Jeff Dorsey nous indique que son histoire avec l’Office du Niger a commencé en 2004 lors d’une mission avec le Dr. Souleymane Kouyaté, l’actuel Recteur de l’Université de Ségou. C’était pour calculer la rentabilité des principales cultures dans la zone de l’Office du Niger. «Là, nous avons établi que les cultures maraichères et le riz étaient rentables et nous avons recommandé aux plus grandes institutions de microfinance de s’installer dans la zone et de financer les productions paysannes», nous confie-t-il.
Parlant de l’histoire même de l’Office du Niger, il affirme que l’ON est née de l’observation en 1919 de l’Ingénieur Emile Bélime. Pour lui, ce dernier avouait qu’en construisant un barrage sur le fleuve Niger qu’on pourra hausser le niveau de l’eau du fleuve, suffisamment pour le faire arrivé à un million d’hectares dans la zone centrale du Mali. Selon lui, le projet se justifiait pour la production du coton irrigué et ainsi faire plus rentable l’industrie textile française. Cela en concurrence avec la production cotonnière anglaise à Gézira avec les eaux du Nil.
Après la proposition de l’Ingénieur Bélime, les agronomes du colon n’ont pas trouvé une variété du coton bien adapté à la production irriguée au Mali. D’ailleurs, les conditions dans la zone n’étaient guère attractives pour encourager la main d’œuvre à venir s’installer dans la zone. Donc, c’est seulement grâce au travail forcé et la migration obligatoire des gens de la Haute Volta et d’autres lieux au Mali que la main d’œuvre est venue dans la zone de l’Office.
Donc, pour le Dr Dorsey, après l’échec du coton irrigué et pour justifier sa continuation, l’Office a remplacé le coton avec le riz et la canne à sucre. «Ni l’un ni l’autre ne sont pas très rentables dans les conditions du Mali. Le rendement moyen du riz, c’est au tour des 4 tonnes par hectare, pas les 6 tonnes que l’Office dise avoir comme moyenne. Le rendement pour la canne à sucre est très bas, moins de 70 tonnes. Ce qui fait que sa production n’est pas rentable non plus ; toute chose qui explique les prix élevés pour le sucre. Les deux cultures aussi requièrent beaucoup d’eau», nous explique le Dr Jeff Dorsey.
En outre, dans la zone Office du Niger, le Dr Dorsey développe en avouant que pendant l’hivernage, il y a beaucoup d’eau, suffisant pour irriguer quelques 250 milles hectares, mais pas pour un million d’hectares. Il y a aussi, les demandes pour remplir le barrage de Manantali qui sont fortes. Aussi, dit-il, «en saison sèche, il n’y a même pas l’eau nécessaire pour l’agriculture et pour laisser passer un flux environnemental de 40 mètres cube par seconde». En plus, le Dr Dorsey explique qu’en moyen 15% seulement de la terre irriguée en saison des pluies peuvent l’être en saison sèche. C’est aussi pendant cette saison que les petits producteurs ont besoin de beaucoup d’eau pour leur production de riz de contre saison et pour les cultures maraichères pour augmenter leurs revenus. Ces dernières sont très rentables est requiert peu d’eau. En comparaison, la canne à sucre requiert trois fois d’eau que les cultures maraichères.
Notons que sauf dans quelques zones du sud, le Mali est un pays désertique. Par contre, les cultures principales de l’Office proviennent des pays humides comme le Brésil et les pays du sud asiatique qui ont de fortes pluviométries. Il faut retenir que le sucre a besoin de 1500 mm d’eau ; or à Niono, la moyenne pluviométrique est de 504 mm ; c’est-à-dire un tiers de ce qui est demandé. Ce qui explique que le Mali doit importer la plupart de son riz et presque la totalité du sucre.
A la question de savoir si le Mali est un pays pauvre et comment doit-il payer ces importations, le Dr Jeff Dorsey trouve que le Mali n’est pas un pays pauvre. Mais, un pays appauvri par les mauvaises politiques comme celle de demander aux bailleurs de subventionner 70% des coûts opérationnels de l’Office. Cela au lieu de consacrer ces ressources à l’amélioration de l’élevage qui est un secteur d’exportation plus important, laissant de côté l’or, et dans le développement de petits périmètres irrigués à faveur de petits producteurs et avec une bonne gouvernance pour ces vrais agriculteurs.
Une vaste opération d’expansion du système de l’Office du Niger est proposée avec un peu plus de 100 000 hectares à plus de 400 000 hectares. Est-ce que c’est justifier ? «Non» répond le Dr Jeff Dorsey, «cette expansion n’est pas justifiée». Pour lui, que le système de l’Office perde deux tiers de l’eau qu’il prend du fleuve Niger. «Ensemble avec l’abstraction pour l’énergie, cela affecte la crue dans le Delta Intérieur du Niger et les bourgoutières qui sont à la base de la production des animaux qui sont tellement importantes pour les revenus du pays et pour éviter les conflits qui sont d’actualité» martèle-t-il. Le Dr Dorsey pense que le Gouvernement et les bailleurs doivent centrer leurs efforts vers la réduction des pertes énormes d’eau du système en revêtant les murs des canaux de béton. Pour lui, l’expansion des petits périmètres irrigués est justifiée ; toujours que cela va bénéficier aux petits producteurs de la zone et non aux élites locaux et aux faux agriculteurs qui n’ont jamais eu une daba entre les mains.
A retenir que le Dr Jeff Dorsey, est un agroéconomiste américain basé à Bamako-Mali et Miami, Etats-Unis. Il travaille au Mali depuis plus de 10 ans. Il a travaillé notamment dans le Projet d’Irrigation d’Alatona en 2009 et 2010 où il a dirigé le volet de finances rurales. Il est expert en économie agricole et surtout des cultures irriguées comme le riz et des cultures telles que le maraichage. Il a étudié le canne à sucre qui est produit près de Miami tel qu’au Mali dans les conditions peut favorables pour sa production et à un prix défavorable aux consommateurs dans tous les deux pays. Il faut le rappeler, il est pour la promotion des produits d’exportation comme les mangues, les légumes et tubercules. Aussi, il est un conseiller aux producteurs d’Alatona dans leur lutte pour la récupération du périmètre et pour réduire les conflits entre la population peulh de la zone et d’autres ethnies.
Par Dieudonné Tembely
Source: L’Evènement