Les empreintes indélébiles du célèbre conteur africain contemporain, Amadou Hampâté Bâ, nous servent toujours de voie afin de comprendre les agissements des hommes dans leur posture pour la défense de la patrie comme ils aiment bien le dire. « Petit Bodiel et autres contes de la savane », ce livre auquel je fais référence pour illustrer le contexte actuel malien, est un document publié en 1977. Il raconte bien évidemment l’histoire d’une famille de lièvres. L’acteur principal étant Petit Bodiel, il était si paresseux, gourmand et fripon qu’il provoquait le désespoir de sa mère. Habité par le désir de la puissance et de la reconnaissance, il rêvait d’être le Roi de la savane. Il demanda l’aide de Dieu qui lui procure des pouvoirs et des ruses nécessaires afin qu’il puisse atteindre son but. C’est ainsi qu’il parvint à berner les animaux les plus imposants et les plus forts en les manipulant…
Dans la circonstance actuelle, voyez bien ce texte dans le bon sens car ce sont les avantages de la Ruse qui nous intéressent.
Ce bref rappel permet de bien contextualiser les faits et gestes d’un grand érudit de ce 21eme siècle. Mahmoud Dicko, l’Imam est un théologien exceptionnel. Il sait qui est l’homme et comment faire de lui un acquis sans le moindre effort. Une attitude qu’il tire aussi certainement du livre de Gustave Le Bon, publié en 1895 intitulé « La Psychologie des foules ».
Pour l’appel de rassemblement de ce vendredi 5 juin, l’Imam se sert de son bras droit, Kaou Djim, pour démarcher deux grandes formations, le FSD et le mouvement Mali Kura. But : fédérer les efforts contre la mauvaise gouvernance. Une conférence de presse est mise à profit pour faire une déclaration dont la colonne vertébrale est la démission du Président de la République. Pour la raison, beaucoup de maux sont égrenés. La déclaration attire presque tous les mécontents. Les rangs se grossissent.
Mais le flou qui planait, l’Imam est-il pour le coup de force ? Un acte qu’il sait pertinemment contraire à la constitution. Sur le plateau de Renouveau, Dicko met sa ruse en branle tout en précisant qu’il n’a pas appelé à la démission du Président. Kaou Djim peut-il parler sans l’aval de Dicko ? Difficile d’y croire ! Avant ce jour, s’il n’était pas mis d’accord avec cette déclaration, il devait la rectifier. Chose pas faite. Après le passage de Dicko sur Renouveau, Kaou Djim a toujours continué à dire que leur sortie, c’est pour le départ d’IBK. Dicko n’a toujours pas pipé mot. Ce qui veut dire qu’il cautionnait la démarche.
Fait ambigu encore. Dans une de ses déclarations, Dicko appelait à la mobilisation et disait même qu’il allait diriger la prière de ce vendredi 5 juin à la place de l’indépendance. Une manière d’attirer plus de manifestants, surtout les musulmans. A l’heure de la prière, il n’était pas là. La foule à perte de vue a prié sans lui.
Après avoir prié dans sa mosquée à Badalabougou, il se présente sur le lieu du rassemblement. Dans ses prises de paroles, il renforce son amour à l’endroit des manifestants déchainés. Dicko étale tout sur la mauvaise gestion et utilise des mots durs contre le Président à la limite des menaces, présente ses excuses à tout le peuple malien, en son nom et celui du chérif de Nioro, pour avoir composé avec IBK en 2013. Il sait bien que le Malien n’aime que ces genres de choses. Tonnerre d’applaudissement. Les réseaux sociaux sont inondés par la nouvelle.
Ensuite, Dicko fait l’éloge du tonitruant opposant Oumar Mariko. Un acte qui met ce dernier et ses fidèles aux anges. Et pour boucler la boucle, il évoque le cas Soumaïla Cissé détenu entre les mains des inconnus depuis deux mois. Les partisans de Soumi et tous ceux qui voient en cette situation l’incapacité du régime à sécuriser les personnes et leurs biens l’applaudissent et disent désormais, ANBE GNOGON BOLO, ‘’ qu’ils sont ensemble.
Ainsi, Dicko devient l’homme incontournable de la scène. Tous ceux qui sont contre le régime se retrouvent autour de lui. Il s’est imposé en Roi.
Ce vendredi faisait vraiment peur, mais Dicko a profité de sa ruse pour faire l’affaire des deux camps, manifestants et gouvernants. Plus de peur que de mal pour le régime. Les institutions. Trois jours après, le régime est toujours là.
Désormais, IBK doit composer avec Dicko ; écouter ses bons conseils et les mettre en œuvre. En tout cas, s’il veut finir le reste de son mandant sans ennui.
Boubacar Yalkoué
Source : Le Pays