Les Maliens ont trouvé un allié sûr dans la gestion du dossier brûlant de la capitale de la 8è région administrative du pays. Le président nigérien Issoufou Mahamadou semble décidé à joindre sa voix à celle du Mali pour trouver une solution convenable à ce que le président Ibrahim Boubacar Keïta a appelé le «problème de Kidal», dans l’interview qu’il a accordée à l’ORTM à l’occasion de l’An I de son second quinquennat.
Il y a quelques semaines, le chef de l’Etat nigérien avait sonné le tocsin dans une interview en désignant la capitale de l’Adrar des Ifoghas comme un repaire des terroristes qui attaquent périodiquement son armée non loin de la frontière entre nos deux pays. Il a réitéré cette accusation samedi à l’occasion de sa visite de travail et d’amitié au Mali. C’est donc la preuve s’il en fallait que sa sortie, d’il y a quelque temps, n’était nullement une simple digression au détour d’une analyse sur la situation sécuritaire dans le Sahel. «Je maintiens ce que j’avais dit, le statut actuel de Kidal est une menace pour la sécurité intérieure du Niger», a lancé le président Issoufou (voir l’article ci-contre).
Nul doute que le sujet a occupé une bonne place au cours des échanges entre les deux chefs d’Etat lors du séjour de quelques heures du président Issoufou chez nous. Nanti d’un allié, le président Keïta pourrait à loisir imposer le sujet au cours des rendez-vous diplomatiques qui pointent à l’horizon. Le sommet de la Cedeao, prévu à Ouagadougou le 14 septembre prochain, est une occasion pour inscrire le dossier Kidal dans l’agenda de l’organisation régionale. Cela tombe à point nommé car ce sommet sera consacré à la perspective de l’élargissement du G5 Sahel à tous les pays de la Cedeao ainsi qu’au Cameroun. Porté par l’organisation régionale ouest-africaine, l’épineux dossier de Kidal retiendra sûrement l’attention des grands de ce monde lors de la prochaine assemblée générale de l’ONU à la fin du mois.
Jusqu’ici, le Mali peinait tout seul à faire comprendre que la situation d’exception accordée à Kidal constituait une anomalie préjudiciable au retour définitif de la paix dans notre pays. Du coup, Kidal est devenu un caillou dans la chaussure de nos gouvernants ; une arête au travers de la gorge des Maliens. Cette situation traduit le sentiment de goût d’inachevé de l’intervention française en 2013 dans notre pays. A y regarder de plus près, la situation de Kidal n’est que l’expression de l’ambiguïté que la France se plait à cultiver dans ses interventions à l’étranger. L’ADN de la politique extérieure de l’ancien colonisateur, c’est de garder deux fers au feu.
Pendant que les Maliens applaudissaient l’intervention de l’armée française pour stopper l’avancée des groupes terroristes, une étonnante déclaration de Jean-Yves Le Drian, alors ministre français de la Défense, avait fait l’effet d’une douche froide : «Les Touaregs sont nos amis». Comme si ces Touaregs n’étaient pas partie intégrante du peuple malien.
Cette sortie préfigurait en fait l’intention de la France de créer une enclave autour de Kidal. Ses formidables moyens diplomatiques et médiatiques ont été mobilisés pour accréditer la thèse que l’armée malienne se livrerait à des massacres pour se venger des «amis Touaregs». Sur les différentes chaînes de «France médias monde», une campagne a été savamment orchestrée contre les exactions réelles ou supposées de l’armée malienne contre les Touaregs. Ensuite, le MNLA fut remis en selle et réinstallé à Kidal avec l’aide du pouvoir de Blaise Compaoré qui avait fait du Burkina Faso un refuge pour les islamistes et autres indépendantistes de tout poil qui écumaient le désert malien. Toujours dans la stratégie de garder deux fers au feu, en plus du MNLA, il fallait conserver le contact avec les djihadistes. Le HCUA fut donc créé de toutes pièces, extrait des entrailles de la nébuleuse djihadiste. Une façon de garder le lien avec Iyad Ag Ghali car les Français ont longtemps caressé l’espoir de conserver une influence sur le chef djihadiste afin de garder allumée la flamme de l’irrédentisme dans le Nord du Mali, même pacifié. C’est ce lien congénital que le président nigérien pointe du doigt aujourd’hui. «Il y a des mouvements qui ont signé l’Accord pour la paix et la réconciliation et qui sont de connivence avec les terroristes. Cette situation doit être dénoncée», a martelé Mahamadou Issoufou samedi à Koulouba. En écho, le président Ibrahim Boubacar Keïta a mis en garde les signataires de l’accord qui ne jouent pas franc jeu.
A l’évidence, la stratégie consistant à tisser des liens avec tous les protagonistes de la crise n’a pas fonctionné. A vouloir instrumentaliser les islamistes, on s’expose au réveil brutal que ceux-ci ont leur propre agenda. Ils n’ont pas manqué de tirer profit des faiblesses de la politique des Etats, poursuivant l’extension de leur sphère d’influence. Aujourd’hui, après avoir consolidé leur contrôle sur une bonne partie des immensités désertiques, ils ont entrepris de conquérir les zones plus densément peuplées, provoquant la résistance des populations qui ne goûtent guère l’islam radical ; ce qui a engendré des conflits meurtriers ayant secoué la Région de Mopti cette année.
L’enclave de Kidal, source de l’expansion du terrorisme en Afrique de l’Ouest : l’argument pourrait prospérer s’il était soutenu par la Cedeao dont la majorité des pays est menacée aujourd’hui par le phénomène de l’insécurité. Le chef de l’Etat nigérien en sa qualité de président en exercice de la Cedeao dispose d’une voix forte pour pousser la roue dans ce sens. Son pays a payé un lourd tribut aux incursions des terroristes qui trouvent refuge dans la zone de Kidal après leurs forfaits. L’attaque meurtrière qui a causé la mort de 28 soldats nigériens en mai dernier a peut-être achevé de convaincre nos voisins de l’Est qu’il fallait aider le Mali à démanteler le sanctuaire installé sur notre territoire.
L’aide de nos voisins, voire de la région ouest-africaine ne portera ses fruits que si nous disposons d’une armée suffisamment forte, capable de jouer sa partition. Le tintamarre autour des marchés de nos équipements militaires n’est pas pour rassurer.
B. TOURÉ
Source : L’essor