La Guinée s’apprête-t-elle à vivre une nouvelle journée sanglante ? A trois semaines du scrutin présidentiel, et malgré l’interdiction de manifester, le Front national de défense de la Constitution (FNDC), le mouvement citoyen qui s’oppose au troisième mandat du président Alpha Condé, appelle le peuple à la «résistance» et l’invite à «désobéir à cette décision illégale».
Ce mardi, les Guinéens sont de nouveau appelés à se réunir à Conakry, la capitale, et ses alentours lors d’une série de marches pacifiques pour faire barrage au «coup d’Etat civil» d’Alpha Condé. «Le scrutin du 18 octobre n’est qu’une mascarade électorale. C’est une injustice insupportable qu’on ne peut cautionner», s’insurge Abdourahmane Sano, coordinateur national du FNDC, contacté par Libération. Il dénonce la répression utilisée par le pouvoir «de manière la plus atroce possible à travers la violence et l’intimidation pour créer un climat de peur».
Depuis octobre 2019, le collectif a fait descendre des milliers de Guinéens dans les rues pour tenter d’empêcher Alpha Condé, 82 ans, de briguer un troisième mandat qu’il juge anticonstitutionnel. Les partisans du chef de l’Etat considèrent de leur côté que les compteurs des mandats – limités à deux – ont été remis à zéro depuis l’adoption, en mars, de la nouvelle Constitution.
Malgré les mises en garde, Alpha Condé a mis fin au suspense, début septembre, confirmant qu’il sera candidat à la présidentielle. «Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre», a-t-il mis en garde en langue malinké, mardi, rappelant que ses onze adversaires «ont fait un bloc pour [le] combattre».
Pour l’écrivain et militant franco-guinéen Tierno Monénembo, «le gouvernement, déjà sur des braises ardentes à cause des protestations sociales quasi quotidiennes, craint l’embrasement général que pourrait provoquer une nouvelle manifestation du FNDC». Il y a un an, plusieurs dizaines de personnes avaient été tuées lors de manifestations contre la réforme de la Constitution exigée par le chef de l’Etat.
Violences interethniques
A l’approche du scrutin, de nombreux observateurs redoutent une nouvelle flambée de violences dans un pays où l’appartenance ethnique est considérée comme un facteur de vote déterminant en Guinée. «Ces propos traduisent la volonté d’Alpha Condé de déporter le débat sur le terrain ethnique, avec le risque d’alimenter des clivages au sein même de la population», ont écrit les avocats du FNDC, William Bourdon et Vincent Brengarth, dans une lettre adressée à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda.
En mars, les controverses autour du double scrutin avaient déjà ranimé des tensions communautaires et ethniques. Selon Human Rights Watch, les affrontements entre partisans du gouvernement et de l’opposition ont été suivis de violences dans toute la ville entre le 22 et le 24 mars, faisant au moins 32 morts, dont 3 enfants. «Les victimes ont déclaré que la violence, qui s’est étendue à d’autres quartiers de la ville, répondait souvent à des critères ethniques, avec des groupes composés de Guerzés armés, un groupe considéré comme sympathisant de l’opposition, faisant face à des groupes composés de membres des ethnies konianké et malinké, majoritairement considérés comme sympathisants du parti au pouvoir», écrit l’ONG.
Les dirigeants du FNDC ont également accusé les autorités de poursuivre plus agressivement les membres de l’ethnie guerzé et d’autres groupes ethniques considérés comme proches de l’opposition, tout en libérant des détenus malinkés. Les forces de l’ordre ont pour leur part «failli à leur responsabilité de protéger la population des violences, tout en commettant elles-mêmes des violations des droits humains».
Pour Tierno Monénembo, nul doute qu’il faut s’attendre à de nouvelles violences ce mardi : «Ici, une manifestation fait des dizaines de morts. Cela fait près de soixante ans que les Guinéens vivent dans ce cycle infernal, tout en étant délaissés par la communauté internationale.»