Les favoris de la compétition présidentielle pensent chacun aujourd’hui pouvoir gagner, même en cas de scrutin bâclé. Mais ceux qui seront éliminés au premier tour disposeront alors de nombreux arguments pour contester la validité des résultats et ne s’en priveront pas.
La situation présente permet-elle d’affronter les élections ? Emergent deux problèmes : le respect des engagements pris et l’acuité de l’insécurité. Quelle est l’importance de l’un par rapport à l’autre ? Est-ce le fait pour l’habitant des zones affectées par l’insécurité et qui est privé de toute liberté, dont les enfants sont empêchés d’aller à l’école, qui ne travaille pas assez de jours dans l’année pour nourrir ses gosses, de voter un candidat à l’élection présidentielle qui est une préoccupation dominante ? Permettez-moi de dire qu’il n’a pas vraiment pas la tête à l’élection ! Qui s’en préoccupe ? Les hommes politiques qui n’entendent point les choses de cette oreille, qui s’accrochent à l’idée que la fin de la transition dans le délai imparti sera le début de la fin de l’engrenage maléfique tournant à plein régime. On entend des propos du style : « la transition politique doit être la plus courte possible en vue de permettre au pays de renouer avec des financements extérieurs conséquents indispensables à son développement ». Derrière ce combat se cache, en vérité, la peur bleue de la vieille garde – les anciens caciques – de ne plus revenir au pouvoir.
Sur le qui-vive
A la limite, les tenants du pouvoir d’hier s’éloignent de plus en plus des aspirations populaires à l’heure où le Mali apparaît comme un vieil imperméable qui n’a plus de caoutchouc, une passoire qui laisse infiltrer des terroristes désireux de se « refaire » une nouvelle santé. L’écrasante majorité des populations clame haut et fort de faire passer l’efficacité de la lutte anti-djihadiste avant le sempiternel débat sur la tenue des élections. On l’objectera peut-être que le président renversé Ibrahim Boubacar Keïta a été élu dans des circonstances similaires. Eh bien ! Les cliquetis des armes, le bruit des engins explosifs improvisés, les clairons de sonnerie aux morts sur les cercueils des victimes des attaques n’ont jamais été aussi forts. Trois quarts du pays échappent au contrôle du gouvernement.
Les populations sont affolées, paniquées, c’est la terreur, ont-elles dit ! On n’ose plus aller aux champs, paître des animaux, en partie décimés, les greniers incendiés, la faim et la mort rodent en permanence. Ce n’est pas un coup de bluff visant à atteindre un but, les habitants de Ouatagouna, par exemple, n’ont qu’une hâte : partir. Tout le monde est sur le qui-vive. Ils tremblent de tous leurs membres. Et, il semble que ce soit partout pareil dans la commune. On peut multiplier à l’envie cet exemple.
Les terroristes se déplacent et agissent à leur gré. Tant qu’il ne sera pas prompt de les traquer et de les détruire dans leurs refuges de montagne et de forêt, la situation ne tournera pas en notre faveur. Sans doute, en effet, une question d’effectifs se pose pour renforcer et resserrer le dispositif de protection face à des ennemis fluides et parfaitement renseignés.
Risque d’un scrutin bâclé
Le temps joue contre nous et tout retard accusé dans le recrutement de 12.000 hommes supplémentaires et l’équipement des unités combattantes – promesses du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga – se soldera par des efforts beaucoup plus grands à entreprendre par la suite. Car il faut, plus que jamais, redouter une aggravation de la situation et l’apparition par contamination de nouveaux foyers dans les zones apparemment paisibles. Il faut le dire, il faut l’écrire, les autorités de la transition ont laissé filer le temps, pour découvrir ensuite que le calendrier est trop serré. Or l’inaction coûte plus cher que l’action. Une erreur qu’exploitent habilement les chapelles politiques pour appeler à siffler bientôt la fin de la transition.
Précipiter le pays aux élections dans les circonstances actuelles fait courir le risque de nouvelles contestations élections pouvant déboucher sur périlleuse crise politique. Du moins si on applique la recette de politiques attachés à l’identification consensuelle des circonscriptions électorales où le vote est possible. Plutôt facile à dire qu’à faire : quel candidat ou parti va parapher une décision écartant une circonscription où il est assuré de faire le plein de voix ?
Les favoris de la compétition présidentielle pensent chacun aujourd’hui pouvoir gagner, même en cas de scrutin bâclé. Certains peuvent même penser qu’une participation électorale très faible, et variable d’une région à l’autre, les avantagerait. Mais ceux qui seront éliminés au premier tour disposeront alors de nombreux arguments pour contester la validité des résultats et ne s’en priveront pas. D’ailleurs, l’histoire récente du Mali ne plaide pas en faveur d’un grand optimisme quant à la capacité des institutions de règlement des conflits postélectoraux de jouer leur rôle d’une manière acceptable pour tous.
Georges François Traoré
Source : L’Informateur