Enquête : les dessous de la procédure d’arbitrage de B2Gold contre l’État du Mali

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La société malienne Menankoto SARL, filiale du canadien B2Gold, a déposé une requête d’arbitrage contre la République du Mali, le 24 juin, devant le CIRDI à Paris, suite à la décision du ministre des Mines, Lamine Seydou Traoré (Photo), de l’évincer du permis dans lequel elle affirme avoir investi 27 millions de dollars et a découvert un gisement important. Le ministre aurait écarté Menankoto SARL pour octroyer le permis à Little Big Mining, une société contrôlée par Aboubacar Traoré. Cet homme d’affaires s’est vu aussi octroyer le permis d’exploration de Bakolobi via une autre de ses sociétés, “Baris Travaux”, au détriment là aussi de B2Gold.

Coïncidence sans doute, cette attribution du permis d’exploration de Bakolobi s’est faite le jour même de la démission du gouvernement. À se demander, susurre-t-on dans les milieux d’affaires, si le ministre était en poste au moment où il signait cette attribution. Dans le secteur minier, ces deux attributions font en tout cas jaser. Pour cause, les deux sociétés attributaires n’ont pas d’expérience avérée dans le domaine minier comme le montre des attestations de greffe du registre du commerce de Bamako parcourues par Financial Afrik. De telles largesses du ministre des Mines peuvent-elles avoir eu lieu sans le feu vert de la Junte ? La proximité du ministre des Mines avec son homologue de La Défense, le tout puissant Sadio Camara, acteur clé du régime et du dernier coup d’État, y est-elle pour quelque chose dans cette affaire où le Mali joue sa réputation d’Etat garant des investissements et de la propriété privée ?

Face à ce qu’elle considère comme une violation manifeste de ses droits, B2Gold a d’abord essayé le règlement à l’amiable. Mais le limogeage d’une part de l’ancien Premier ministre, Moctar Ouane (lequel avait retiré le permis Menankoto octroyé à Little Big Mining par arrêté n°2021-2428/PRIM-CAB du 21 mai 2021), et, d’autre part, la reconduction du ministre des Mines dans le gouvernement issu du putsch, ont condamné cette éventualité. Ce sera donc l’arbitrage, indique-t-on de sources proches de la société canadienne, agissant en vertu de la convention signée avec la République du Mali.

Deuxième producteur d’or du Mali, B2Gold déclare avoir généré environ 580 millions USD en taxes et dividendes pour le pays depuis le début de l’exploitation de la mine de Fekola en 2017. L’investissement total de l’entreprise canadienne est supérieur à 1 milliard USD.

La règle du «premier arrivé, premier servi» renversée

Le Permis Menankoto a été renouvelé pour la première fois pour deux ans par l’arrêté n° 2017-0395/MM-SG du 21 février 2017 puis pour la deuxième fois par l’arrêté n° 2019-0315/MMP-SG du 20 février 2019 (pour deux ans également), dans le cadre du Code minier de 2012. Le deuxième renouvellement arrivait à expiration le 3 février 2021 à minuit.

La Société Menankoto SARL a alors demandé une prorogation d’un an pour finaliser son étude de faisabilité, conformément aux dispositions de l’article 38 du Code Minier de 2012, demande qui a été déposée et enregistrée le 16 octobre 2020 auprès de la Direction de la Géologie et des Mines et du ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau. La demande de prorogation, bien que juridiquement fondée, a été refusée le 6 novembre 2020 par la Direction de la Géologie et des Mines au motif que le Code Minier 2019 s’applique désormais au Permis Menankoto et qu’il était nécessaire que la société éponyme déposât une nouvelle demande de permis au titre dudit code.

La Société Menankoto déclare s’être conformée aux instructions du ministère des Mines et de la Direction de la Géologie et des Mines, sans préjudice de ses droits au titre de la Convention Menankoto et du Code Minier 2012, et a été le premier demandeur à présenter, le 4 février 2021, dès l’ouverture des locaux de la Direction de la Géologie et des Mines, une demande de nouveau permis de recherche au titre du Code Minier 2019 couvrant le périmètre du Permis Menankoto. Conformément au principe du «premier arrivé, premier servi» de l’article 32 du Code Minier 2019, étant le premier demandeur de ce permis, la Société Menankoto devait se voir attribuer le permis sollicité.

Mais c’est alors que B2Gold était en attente de se faire attribuer le permis qu’une réunion s’est tenue dans les locaux de la Direction de la Géologie et des Mines, le jeudi 25 février 2021, avec pour objet la revue d’un projet de convention d’établissement entre l’État et une société dénommée Little Big Mining SARL, inconnue au bataillon. Cette société s’est vue attribuée le Permis Menankoto à la quasi-surprise générale.

Au passage, la règle du “premier arrivé, premier servi” est renversée. En effet, la demande de la Société Menankoto a été déposée et enregistrée le 4 février 2021 et celle de la société Little Big Mining SARL a été déposée le 5 février 2021 comme l’atteste la direction des Mines et de la Géologie et un constat d’huissier que Financial Afrik a pu consulter. Contacté par nos soins, le porte-parole du ministre réfute l’ordre des demandes, estimant (sans étayer ses propos de preuves concrètes) que c’est bien Little Big Mining SARL qui a été la première à enregistrer la demande. «Le deuxième renouvellement du permis est arrivé à expiration le 4 février 2021 et non le 3 février de la même année, contrairement à ce qu’affirme la société Menankoto SARL qui veut induire l’opinion en erreur. Par l’indication d’une date erronée d’expiration du permis initial, la société Menankoto veut justifier une demande d’attribution d’un nouveau permis (et non de prorogation) qu’elle a introduit le 4 février 2021, date à laquelle l’ancien permis produisait encore ses effets », renchérissent de leur côté les dirigeants de Little Big Mining SARL.

Pourtant il est clairement admis que la doctrine administrative malienne considère d’une manière constante qu’un permis expire la veille de sa date d’anniversaire, soit en l’espèce le 3 février à minuit, et la DNGM refuse d’enregistrer une demande avant l’expiration d’un permis.

Le ministre en flagrant délire de contradiction

Le ministre aurait d’ailleurs lui-même suivi cette doctrine administrative établie dans le cadre du permis Bakolobi, un permis différent pour lequel une filiale de B2Gold a également déposé une demande le 21 janvier 2021 (qui a été initialement octroyé à son précédent détenteur le 21 janvier 2013), et l’a attribué à la société Baris Travaux qui en avait fait la demande le même 21 janvier 2021. Le ministre a donc bien considéré que le permis expire le 20 janvier (la veille de sa date d’anniversaire) à minuit. Selon les sources bien informées, en ce qui concerne Bakolobi, la demande de la société Baris Travaux a été enregistrée avant celle de la filiale de B2Gold suite à des manœuvres visant à faire patienter le représentant de B2Gold pendant plus de 3 heures, le temps d’enregistrer la demande de Baris Travaux avant celle de la filiale de B2Gold.

La Société Menankoto a immédiatement fait part de son inquiétude sur ces faits à la Direction de la Géologie et des Mines et au ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau. Sans effet puisque par lettre du 3 mars 2021 adressée à Menankoto, le ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau a rejeté la demande de permis de la filiale canadienne et indiqué que le périmètre en question était occupé par une demande de permis de recherche d’un tiers en cours de traitement par la Direction de la Géologie et des Mines. Comment donc se fait-il que cette lettre ne soit pas signée par la Direction de la Géologie et des Mines ? B2Gold Corp, société mère du groupe B2Gold, a immédiatement contesté ce refus du ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau.

De guerre lasse et après recours pour excès de pouvoir contre la décision du ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau déposé le 6 avril 2021, suivi d’une requête en référé administratif pour obtenir la suspension de la décision de rejet de la demande de la Société Menankoto, puis d’un recours devant la Cour Suprême, B2Gold se tourne désormais vers l’arbitrage international. Le 15 mars 2021, Menankoto SARL a notifié au ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau un différend au sens de l’article 31 de la convention d’établissement du 23 juillet 2013, laquelle prévoyait en cas de différend, une procédure d’arbitrage si aucun règlement amiable ne devait aboutir.

Loin de faire marche arrière, le ministère malien des Mines coulera  sa décision dans le marbre. Ainsi, un arrêté du  ministre lui-même octroyant un permis de recherche sur le périmètre de Menankoto Sud a été signé le 24 mars 2021 au bénéfice de Little Big Mining SARL. Ce permis a ensuite été annulé par le Premier ministre, le 21 mai 2021, pour illégalité.

Entre deux coups d’Etat

Par lettre en date du 18 juin 2021, le ministre des Mines, tout juste renommé au même poste dans le nouveau gouvernement issu du deuxième coup d’Etat, a notifié une nouvelle fois à Menankoto SARL le refus d’octroyer le permis du fait, argue-t-il, de l’existence de l’arrêt de la cour suprême rejetant le référé. L’argument du ministre tient-il quand on sait que la cour ne s’est à aucun moment prononcé sur le fond de l’affaire et que Menankoto SARL s’était désistée de la procédure, devenue sans objet suite au retrait du permis par le Premier ministre, limogé depuis. A croire que le contrôle de cette mine d’or aurait des relents politiques et militaires entre Koulouba et Kati.
Les enjeux sont énormes pour le gouvernement de transition obligé de faire face, à son corps défendant, à une procédure d’arbitrage d’autant plus préjudiciable à son image qu’il s’agit d’une affaire qui comporte des zones d’ombre.

Source : www.financialafrik.com

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