Le 29 octobre 2018, un drame s’est produit à Doumazana en commune I du district de Bamako. Une brigade de vigilance composée de jeunes du quartier a pris trois jeunes bouchers pour des voleurs et leur a donné la mort. Quelques heures après, il s’est avéré que les trois personnes lynchées par les éléments de la brigade de vigilance étaient des jeunes bouchers qui se rendaient à l’abattoir à l’aube. Une vraie bavure populaire. Le quartier se relève difficilement du choc suscité par cette tragédie qui a emporté, en un laps de temps, trois frères. En guise de protestation, les bouchers de Doumazana ont observé une grève de 72 heures. Le 5 novembre dernier, ils ont été suivis par leurs collègues de l’ensemble du district. Une journée sans viande dans les marchés de la capitale !
Loin d’être un cas isolé, ce drame est la manifestation la plus parfaite de la faillite de l’Etat. Une faillite qui a poussé une partie de la population à opter pour une « justice populaire ». Aujourd’hui à Bamako et dans certaines localités de l’intérieur, il suffit de crier “au voleur” pour qu’une foule déchaînée passe à l’offensive en attaquant l’intéressé ou au pire des cas, en le brûlant, sans aucune autre forme de procès. Personne ne serait alors en sécurité avec le recours à la justice populaire. Cette pratique est condamnable et intolérable. Elle ne se justifie nullement dans un Etat de droit car, nul n’a le droit de se faire justice dans une République. Selon un adage, on ne peut pas refuser de laver ses yeux parce qu’ils sont crevés.
Cette justice populaire qui pousse les citoyens à exécuter les présumés voleurs doit nous interpeller tous, mais essentiellement les gouvernants. Elle interpelle fortement ceux et celles qui rendent la justice au peuple malien. Le recours à la justice populaire prouve à suffisance, que cette partie du peuple n’est pas satisfaite de la façon dont les litiges sont tranchés dans nos cours et tribunaux. Globalement, la justice est devenue dans ce pays un instrument de promotion de l’injustice. Les syndicats de magistrats qui ont suspendu leur grève illimitée après plus de trois mois de cessation de travail, se sont rendus certainement compte que leur mouvement de grève n’a pas bénéficié d’un soutien auprès de la population.
Il faut qu’on arrête de se voiler la face. Il y a une colère populaire dans ce pays. Il suffit d’une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres. A Moribabougou, le 5 novembre dernier, les populations ont brûlé un camion Benz qui a écrasé la tête d’une femme en état de grossesse. Des cas comme celui-ci sont nombreux à travers le pays. Les pouvoirs publics se comportent comme si tout était normal. Leur myopie les empêche de voir la réalité et leur surdité d’entendre les cris de colère des populations. Jusqu’où ira la colère populaire ?
Déjà en 2014, le Professeur Issa N’Diaye écrivait dans sa tribune « Faut-il désespérer du Mali d’IBK ?» ceci : «Il est illusoire de croire que le Mali est dans une situation pré-révolutionnaire même si les conditions objectives semblent favorables. Les conditions subjectives sont loin d’être réunies. L’état de préparation politique, idéologique et organisationnel est plus qu’insuffisant. Le risque d’agitations sociales incontrôlées nous conduira certainement vers un autre coup d’État. Or, l’histoire nous montre largement que les coups d’État ne sont pas une solution. Ils finissent par se retourner toujours contre les forces sociales qui les ont soutenus. Le cas malien ne saurait constituer une exception».
Par Chiaka Doumbia