Le samedi 22 août dernier, une délégation de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), conduite par l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, est arrivée à Bamako.
L’objectif de ce déplacement était de prendre langue avec les putschistes et de rencontrer le président déchu, Ibrahim Boubacar Keïta. Pour l’homme au chapeau noir, c’est-à-dire Goodluck Jonathan, c’est la quatrième fois qu’il se rend sur les bords du fleuve Djoliba depuis le début de la crise sociopolitique à laquelle le Mali est en proie. L’élément déclencheur, on se rappelle, avait été les législatives contestées de mars-avril. La suite, on la connaît. L’armée en a profité pour déposer IBK. Ce samedi donc, l’on a enregistré la première visite de la CEDEAO post-IBK. Et le moins que l’on puisse dire est que celle-ci a été marquée par des propos qui sont plus proches de la carotte que du bâton. En tout cas, on a remarqué, peut-on dire, un relatif fléchissement de la part de la CEDEAO.
À vouloir exiger le rétablissement d’IBK, la CEDEAO risquait de s’aliéner la sympathie des maliens
Au départ, l’on pouvait noter sans ambages un discours qui pourfendait le putsch du mardi 18 août dernier et qui exigeait le retour d’IBK au palais de Koulouba. Au fil des jours, la CEDEAO semble avoir mis un peu d’eau dans son vin. Les propos de Jean-Claude Brou, membre de la délégation et président de la Commission de la CEDEAO, permettent de soutenir cette thèse. En effet, ce dernier perçoit la première visite post-IBK de sa structure au Mali, comme une recherche de solution « qui satisfasse non seulement le peuple malien, mais aussi qui soit bénéfique pour l’ensemble des pays de la sous-région ». Les choses sont claires. La CEDEAO se veut soucieuse des intérêts du peuple malien. De ce point de vue et par voie de conséquence, elle ne peut qu’accompagner ce peuple dans sa quête d’une démocratie vraie et d’une gouvernance vertueuse. Et personne ne peut nier que ces deux qualités étaient le cadet des soucis du président déchu. L’on peut même dire qu’en matière de mal gouvernance, son régime a détrôné celui du Général Moussa Traoré, du nom de ce président qui, en 1968, avait renversé le père de la Nation, Modibo Keita et avait gouverné le Mali de la pire des manières pendant plus de deux décennies. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le régime d’IBK est un frère siamois du régime de Moussa Traoré en matière de corruption, de passe-droits, de clientélisme politique et de manque de vision pour le Mali. La CEDEAO risquait donc de s’aliéner la sympathie du peuple malien si elle s’obstinait à exiger le rétablissement d’IBK dans ses fonctions.
D’ailleurs, l’on pourrait se poser la question de savoir de quelle légitimité il pourrait encore se prévaloir si ce scénario venait à se réaliser. En tout cas, il faut se rendre à l’évidence que la page d’IBK est bel et bien tournée. Et certains présidents des pays de la sous-région ont eu la lucidité de le reconnaître. Et personne ne doit leur jeter la pierre car, ils ont dit haut ce que bien des observateurs pensent bas. La CEDEAO est obligée donc de ranger ses tirades guerrières des premières heures du putsch sous peine de passer dans la conscience du peuple malien, pour une structure corporative des présidents des pays de l’Afrique de l’Ouest.
La CEDEAO doit prévenir les putschs, plutôt que de les guérir
Déjà, ils sont nombreux les Maliens qui la perçoivent ainsi. Pour déconstruire cette image, la CEDEAO doit impérativement revisiter ses textes de sorte à se donner tous les moyens d’éradiquer toutes les causes des putschs. Et l’on n’a pas besoin de se triturer les méninges pour les répertorier. On peut citer, en premier lieu, la tendance maladive des princes qui nous gouvernent à tricher et à ruser avec la démocratie.
Dans le cas du Mali, il faut rappeler que ce sont les manipulations des résultats des législatives au profit du pouvoir par la Cour constitutionnelle, qui ont servi d’élément déclencheur à la crise sociopolitique qui a emporté IBK. On peut aussi mettre dans le registre des causes, le phénomène honni du 3e mandat. Et le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoko Embalo, a eu le courage d’interpeller ses pairs sur la question. Bien sûr, certains d’entre eux étaient gênés puisqu’ils ne jurent aujourd’hui que par le 3e mandat. Aux causes politiques qui font le lit des changements violents de régimes, il faut ajouter celles liées à la corruption, aux passe-droits, à la gestion clanique du pouvoir d’État et l’on en oublie.
En tout cas, tant que la gouvernance politique et économique des pays de l’Afrique de l’Ouest, ne va pas rompre avec ces tares, la CEDEAO ne pourra jamais tourner la page des putschs. Elle a donc intérêt à revoir sa copie de sorte à prévenir plutôt qu’à s’évertuer à guérir. Aujourd’hui, par exemple, tout le monde, sauf bien sûr les présidents des pays de la CEDEAO, voit se profiler en Guinée, le scénario d’un chaos lié à l’entêtement d’Alpha Condé à s’accrocher à son trône. Malheureusement, il n’y a personne parmi ses pairs qui ose lui dire la vérité. Et tous attendent certainement qu’il pleuve sur Conakry pour fondre sur la Guinée afin de jouer au médecin après la mort.
Mariam Konaré
Source : Nouveau Réveil