Qui sont ses coupables? La question mérite d’être posée, vu l’état de faillite de la République du Mali de 2012 à aujourd’hui. En effet, les premiers coupables sont les présidents politiques et non politiques de l’ère démocratique. Sous le régime du premier président malien démocratiquement élu, l’année 1994 a coïncidé avec l’apothéose de la rébellion malgré la signature du pacte national en avril 1992. On a dénombré 13 attaques en janvier, 5 en février, 19 en mars, 14 en avril, 26 en mai, 38 en janvier, 26 en juillet, 38 en août, 18 en septembre, 19 en octobre soit au total 277 attaques.
Alpha Oumar n’a pas compris qu’il n’existait qu’une seule solution qui est de donner des instructions fermes afin que l’ordre et la sécurité soient rétablis au plus vite. C’est de cette manière qu’ont agi ces deux prédécesseurs à savoir Modibo Keïta et Moussa Traoré. Au lieu de cela, Alpha a misé sur le pacte national qui était sans financement conséquent. Dans ces conditions, que pouvait-il faire pour préserver l’intégrité territoriale lorsqu’il venait de finir le démantèlement de l’armée, qu’il estimait inutile et dépensière. Il a oublié qu’un pays pour exister doit avoir le monopole de la violence. La table ronde qui a suivi cette phase de violence a desservi la cause nationale et a cautionné celle des partisans de la rébellion. Pour justifier la rébellion, Alpha Oumar Konaré l’a qualifiée de « déficit de solidarité ». Il a par conséquent préconisé le dialogue, tout en ne sachant pas que ledit dialogue allait être inopérant.Alpha Oumar Konaré en partant a remis le pouvoir à ATT en 2002 après l’intégration de 2500 rebelles dans l’armée nationale.
Si Moussa Traoré a eu à travers un langage franc et ferme à garantir les intérêts du Mali, tel ne fut pas le cas d’Alpha Oumar Konaré qui a effectué en 10 ans de pouvoir 57 voyages sur la Libye qui a soutenu indirectement les rebellions dans le nord du Mali. Quant à Amadou Toumani Touré il a pour une question de sécurité mis ses avoirs dans une banque libyenne. Avec la mort de Kadhafi, il a perdu cette fortune. Notons que 2500 rebelles ont été incorporés dans l’armée nationale du temps d’ATT dans des conditions qui n’ont honoré personne ni les rebelles intégrés, encore moins leurs compagnons d’armes dont ils sont venus grossir les rangs. En effet, les éléments intégrés se plaignaient d’être affectés dans le sud et d’y être victimes de différentes sortes de discrimination. Quant aux soldats originaires du sud, ils pouvaient supporter difficilement des hommes qui il y a seulement quelques mois étaient leurs ennemis sur différents champs de bataille. Mais le signe le plus grave, de la déliquescence assez prononcée de l’armée nationale, est que des officiers originaires du sud rechignaient à servir dans les garnisons du nord, réussissaient à se maintenir au sud avec le concours complaisant de la haute hiérarchie. Cette donne a été de nature à faciliter aux rebelles de l’Adagh la réalisation de leur dessein. En effet, avant la révolte, du fait de la réticence des officiers originaires du sud à servir dans le nord d’un côté et du laxisme de la hiérarchie, toutes les garnisons du septentrion se sont retrouvées sous contrôle d’anciens rebelles intégrés dans l’armée avec des grades ne reflétant nullement leur mérite. Le bataillon de Kidal, réparti entre les deux camps militaires de la localité, a été placé sous l’autorité d’un officier sudiste avec comme second, des officiers Touaregs. À Ménaka, l’ensemble du commandement était assuré par des officiers Touaregs et un officier d’état-major touareg. Ces différents officiers, sur un territoire qui leur est acquis, ont échappé au contrôle de la haute hiérarchie militaire. Aussi, l’effet de surprise qu’ils ont provoqué le 23 mai 2006 a été facilement compréhensible.
Les camps de Tessalit et d’Aguelhok se sont ralliés au mouvement. Pour ramener la paix en définitive, un accord dit d’Alger a été signé le 4 juillet 2006 avec les rebelles. Il ne contenait aucune revendication indépendantiste, mais au contraire une disponibilité affirmée à négocier. Dans ces conditions, le gouvernement a su exploiter cette situation tout en évitant au peuple et à son armée un conflit inutile, coûteux et meurtrier. Mais pour combien de temps ?À l’époque le président du RPM, Ibrahim Boubacar Kéïta, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2002, était également président de l’Assemblée Nationale. À ce titre, avec ses collègues députés membres de la majorité présidentielle, il a fait voter une motion de soutien à l’accord d’Alger. Les députés ont chargé IBK de remettre personnellement au président de la République ladite motion. Cependant, par la suite, le RPM a jugé le contenu de l’accord contraire aux intérêts du Mali et a réagi en trois temps : d’abord, à travers une déclaration de son Bureau Politique National, ensuite en interpellant à l’Assemblée Nationale le ministre de l’Administration territoriale et, enfin, en envisageant de saisir la Cour Constitutionnelle.
Pour IBK et son groupe parlementaire, cet accord était un danger pour la stabilité du pays et l’harmonie inter-communautaire. Pour ce faire ils avaient envisagé de saisir la Cour Constitutionnelle du Mali. Cette option a été abandonnée par la suite. En définitive, en prenant position contre l’accord d’Alger, le Collectif des Ressortissants du Nord à l’image du RPM a apporté la preuve que cet accord était loin de faire l’unanimité. Les maliens n’ont pas compris qu’au lieu de combattre une mutinerie dans l’Adagh, le gouvernement a capitulé en choisissant de négocier et signer un texte violant certains articles de la constitution, rendant caduques certaines dispositions du pacte national.
Malgré la signature de cet accord d’Alger en 2006, la descente aux enfers de l’Etat a continué de plus belle avec le développement du trafic de drogues, de cigarettes, connu de tous sans aucune réaction de l’État. À cela est venue se greffer l’implantation des salafistes dans le nord du Mali sans aucune réaction de l’État. Pour faire face à la situation, les pays de la région composés de l’Algérie, de la Mauritanie, du Niger et du Maliont créé un Comité d’État-major Opérationnel de Coordination (CEMOC). Dans la pratique, les autres pays membres de la CEMOC reprochaient au Président ATT de ne pas faire assez pour s’opposer aux islamistes, toute chose qui a entrainé la non-fonctionnalité de ce comité. Les régimes qui se sont succédé au Mali avant l’instauration de la 3ème République ont tous refusé la création d’association à bases ethniques et régionalistes. Mais avec la 3ème République, cela a été permis, d’où la naissance du Mouvement National de l’Azawad (MNA), en février 2009. Il deviendra par la suite le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) le 15 octobre 2011 avec comme objectif final de sortir le peuple de l’Azawad de l’occupation illégale du territoire Azawadien par le Mali. Le MNLA a été par la suite instrumentalisé par Nicolas Sarkozy en encourageant certains rebelles qui constituaient la garde prétorienne de Kadhafi à l’abandonner au profit de la création de la République d’Azawad au nord du Mali. Ce deal a déstabilisé le régime d’ATT et le Mali avec lequel les relations s’étaient dégradées pour trois raisons essentielles.
Première raison : Face aux menaces contre les intérêts français au Niger et en Mauritanie (mines de fer et de cuivre, uranium, l’important potentiel de richesses minérales dans le nord du Mali, etc.), ATT n’a pas réagi.
Deuxième raison : Les autorités maliennes ont refusé de céder la base militaire de Tessalit aux étrangers depuis Modibo Keïta à ATT. La demande de Sarkozy a été refusée également par ATT, car il savait que les Maliens ne lui pardonneraient jamais le retour de l’armée française à Tessalit.
Troisième raison : L’immigration clandestine venant du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger et du Mali n’était pas vue d’un bon œil par les autorités françaises, d’où une radicalisation des autorités de la droite française contre ce phénomène pour lequel, elles ont pensé qu’ATT, n’en faisait pas suffisamment. ATT a manqué de perspicacité, d’intransigeance et s’est mis dans l’omerta face à la pression de la France sur lui. Il n’a pas voulu relater au peuple la pression qu’il subissait de la part des autorités françaises. Ce qui devrait arriver est arrivé le 6 avril 2012, c’est-à-dire la chute de l’État à la suite de plusieurs batailles successivement perdues par les Forces Armées Maliennes dans le nord. En effet, la série de batailles perdues par les FAMA à cause de la stratégie de défense appliquée par ATT a entrainé une mutinerie de l’armée à Kati provoquant ainsi sa chute et celui de son régime le 22 mars 2012.
Cette situation a été le premier versant de notre faillite. Le deuxième versant repose sur le comportement de la classe politique de l’ère démocratique,c’est-à-direà partir de 1992. Pendant la période de 1992 à 2012, la classe politique comptait deux camps. Celui de la majorité et celui de l’opposition. Cette opposition était bien active pendant les deux mandats d’Alpha Oumar Konaré au moment où les régions du nord semblaient moins mouvementées. Sous les deux mandats d’ATT, l’unanimité s’est transformée en modèle de gestion sans aucune contradiction. Ce système a apaisé le climat social, mais au détriment de l’intégrité du pays. Le Mali n’a pas échappé aux conséquences de la crise Libyenne, faute de vision à long terme.
L’occasion a été offerte à la France pour y reprendre pied. Elle n’a pas manqué de la saisir, surtout si l’on sait que dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme, les États-Unis d’Amérique convoitaient la base de Tessalit depuis des années. Compte tenu de ces considérations, François Hollande a interdit l’accès de Kidal à l’armée malienne. Elle a opéré une percée vers le chef-lieu de l’Adagh, ensuite elle a atteint la localité d’Annéfis. L’armée malienne a été bloquée dans sa progression par les troupes françaises qui lui ont intimé l’ordre de se replier sur Gao. La France a donc fait revenir la direction du MNLA de son exil et l’a royalement installée à Kidal. Elle a imposé au Mali de négocier avec les rebelles organisés et choisis par elle. Elle avait besoin de ces négociations pour deux raisons : se faire un allié des rebelles (MNLA et HCUA) maintenant regroupés au sein de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) pour retrouver ses otages et permettre l’organisation d’une élection présidentielle pour désigner des institutions légales avec lesquelles traiter. Le fait que Hollande ait interdit Kidal aux FAMA a été le piège qui a mis le Mali sous la coupe réglée de la France.
De fil en aiguille, le Mali a été traîné à la table de négociation à Alger après les avènements du 21 mai 2014.La France avait créé « la question de l’Adrar » pour trouver une solution définitive aux rébellions touarègues dont la gestion avait connu une nette évolution de 1958 à 2018. Cependant, notons qu’à partir de 1991, la situation a changé, au détriment de l’unité et de la stabilité du Mali. La France est partie, par les voix plus ou moins officielles, soutenir la nécessité de la partition du Mali, même si le mot « partition » n’a pas été prononcé. Dans sa prise de position, peut-être ne le savait-il pas, Jean Yves Ledrian a conforté Iyad Ag Ghaly quand ce dernier, dans la plateforme politique d’Ansar Eddine, a recommandé, pour qu’il n’y ait plus de rébellion au Mali, de « faire chambre à part ». Parmi tous les présidents de l’ère démocratique IBK, semble être celui qui a bradé le plus notre intégrité territoriale jusqu’à aller presque à la partition du Mali.
Mais la classe politique qui devrait être le garant de notre intégrité territoriale empêchant ainsi de brader notre indépendance est fautive. À part quelques partis non alimentaires, tels que l’URD, CNAS-FASO HERE, le SADI, etc. qui ont réagi au moment et par les termes qu’il fallait pour arrêter la fuite en avant.
Sous IBK, la majeure partie des partis politiques continuent à faire le griot politique, en plongeant davantage dans l’abîme le pays. Tout ce qu’un chef dit et fait est bon pour eux et le pays. Ce qui est archi faux. Nous les avons entendus dire qu’il n’y a pas d’accord parfait dans l’histoire des guerres. Cela est vrai, mais il y a des accords inapplicables pour un peuple qui se respecte. Par rapport au projet de révision constitutionnelle en 2017, le peuple s’est levé pour dire non. IBK, paniqué, a renoncé à ce tripatouillage constitutionnel. En conclusion, ce sont les partis de la majorité qui sont à la base de la crise malienne pour avoir refusé de défendre les intérêts de la République.Pas plus tard que le jeudi 17 octobre 2019, les partis du Front pour la Sauvegarde de la Démocratie ‘’FSD’’ signataire de l’accord politique de gouvernance et les forces démocratiques pour la prospérité (FDP-Malikoura) étaient en face d’IBK à Koulouba. Leur chant était que ces deux forces sont dirigées par des hommes et des femmes d’honneur qui acceptent désormais de se réunir autour d’IBK pour l’essentiel. Ce n’est pas ce même monsieur qui a mis encore le Mali dans l’œil du cyclone truffé d’amoncellement de périls existentiels et sociétaux ?
Il en sera toujours ainsi, tant que les responsables politiques ne disent pas la vérité au dirigeant du jour et au peuple malien. Un président qui a occupé tous les postes administratifs et politiques pendant l’ère démocratique peut-il venir en face de son peuple et lui dire que je ne savais pas que la situation était ainsi. Cela est une insulte au peuple et aux partis politiques. Il ne mérite même plus qu’il soit écouté à plus forte raison de faire le griot pour lui.
Ce n’est donc pas pour rien que les dialogues politiques à la base demandent à revoir les conditions de création des partis politiques et de limiter le nombre existant actuellement. Il s’agit d’un point de vue, des partis dont les dirigeants sont des griots politiques.
Badou S KOBA
Source : Le Carréfour