Mahmoud Dicko et Chérif Bouyé de Nioro, tels des gladiateurs des temps anciens, avaient annoncé la couleur à l’adversaire parce que le code d’honneur dans un combat à la loyale est de ne pas agir par surprise. Le message est bien arrivé à ses hauts destinataires qui, comme à leur habitude, ont écrasé l’initiative de la marche de leur mépris. Dans des ripostes bricolées à la hâte, leurs services ont appelé les Maliens à vaquer sereinement à leurs activités. Non sans étriller, au passage, les deux chefs religieux en des termes injurieux. “Mercenaires”, “hommes d’argent”… sont entre autres gracieusetés servies à leur encontre. Et pourtant ni l’un ni l’autre malgré l’âpreté de leurs critiques contre le régime, le président et son premier ministre, aucun d’eux n’a eu recours à des attaques personnelles.
Puis, la fièvre injurieuse a laissé place à l’intimidation administrative de l’interdiction des marches en temps d’état d’urgence. L’arrêté scélérat du gouverneur du District de Bamako fut diffusé sur tous les supports pour dissuader les téméraires.
Le dernier étage de la fusée anti-marche fut le déploiement, vendredi en milieu de matinée, des éléments de la police anti-émeutes sanglés de tenues et de “gilets pare-balles” qui en disent long sur la détresse des jeunes gens.
Toutes ces mesures dérisoires ont trouvé leurs limites à la première vague de déferlement des manifestants entre 13h30 et 14h, une foule qui n’a cessé de grossir jusqu’au mot de clôture de l’imam Dicko. Il est heureux de constater que les chefs des corps dédiés au maintien d’ordre ont très vite compris que même sous la forme de gesticulation, la présence des forces de sécurité pouvait mettre le feu aux poudres et de les avoir fait replier discrètement et à temps.
Sur le plan politique, le premier mandat de IBK s’était symboliquement achevé le 21 mai 2014 après l’équipée sanglante de Moussa Mara suivie d’une guerre qui tourna au désastre en une demi-journée pour l’armée malienne. Les déclarations spartiates du candidat IBK sur les questions militaires et sécuritaires tout au long de la campagne, le discours martial du même IBK devenu président de la République refusant de se “laisser trimballer” ou de voir “un rebelle se hisser à sa hauteur” avaient nimbé le personnage d’un mythe qui s’écroulait brutalement et violemment à Kidal. Depuis lors, ce n’est pas seulement son président, c’est le Mali tout entier qui a été trimballé en se voyant imposer des accords dits de paix, des accords de défense, avec des rebelles en surplomb et qui toisent une République qui ne leur reconnaissait pas le droit de se hisser à sa hauteur.
La suite politique, économique, social du mandat est connu. Elle fut disséquée sous toutes ses coutures, à l’occasion de la dernière élection présidentielle.
Pour ce second mandat, le 21 mai est arrivé le 05 avril 2019. Heureusement, aucun coup de feu n’a été tiré et personne n’est mort! Mais la charge symbolique de la désacralisation du régime est tout aussi forte que celle de la guerre-éclair de Kidal. Pour un président qui revendique une victoire électorale à 67%, se prendre une telle mobilisation sept petits mois après, c’est plus fort qu’un retournement de situation ou de tendance. C’est un redoutable défi, voire un pari impossible pour garder un élan populaire pour les 4 ans 5 mois à venir et cela dans un pays qui n’a jamais eu autant besoin de se rassembler qu’aujourd’hui.
Dans le Focus du lundi 11 février 2019, soit vingt-quatre heures après le meeting de l’imam Dicko au stade du 26 mars, nous écrivions que le succès de ce rassemblement plaçait IBK devant le choix de garder sa confiance en un premier ministre confronté à l’hostilité de la classe politique et une partie significative des forces sociales ou tenter l’aventure d’une construction politique nouvelle.
Le coup de fil à Soumaïla CISSÉ suivi de deux entretiens, puis étendus à d’autres responsables politiques a fait un temps illusion sur la perspective d’un changement de pied à Koulouba. L’histoire nous apprendra un jour le dessous des cartes, mais dans l’opération, le chef de file de l’opposition est sans doute de bonne foi allé loin en associant les anciens présidents de la République ou chefs d’État par leurs conseils pour la sortie de crise par un Dialogue national. La tiédeur incompréhensible de IBK lui a presque fait perdre la face.
Mais pour le chef de l’Etat, l’interpellation politique du 10 février est devenue un ultimatum du 05 avril. Entre-temps, la position des deux têtes de l’Exécutif s’est largement érodée: Ogossagou, Dioura, Koulongo, difficiles négociations avec le FMI, hypothèque sur le renouvellement du mandat de la MINUSMA… Le premier ministre garde la confiance du président pour de bonnes raisons à coup sûr, mais il ne produit pas de résultats indiscutables sur les grands dossiers.
Au même moment, en face, l’actualité des crises multiples conforte Bouillé et Mahmoud Dicko, alliés hier du pouvoir, irréductibles opposants aujourd’hui dans leurs critiques contre la gouvernance. Mais il serait simpliste de réduire cette marée humaine de vendredi à de la chair à canon dans le duel opposant les deux dignitaires religieux au pouvoir. Cette foule immense est le fruit d’une jonction des colères dans un pays où tout le monde est fâché pour diverses raisons.
Aucun scénario de sortie de crise ne garantit des jours heureux pour la suite du mandat. L’avenir se résume en deux maximes pour IBK. Il peut dire “je préfère mourir avec mes idées que de vivre avec celles des autres” (garder son premier ministre). Ou, en bon latiniste, faire droit à la sagesse qui veut que: “vox populi vox dei”! Faisons-nous plaisir ainsi qu’au président par une dernière locution latine qui résume bien son équation personnelle: “Ad augusta per angusta” qui veut dire pour les profanes: “vers les sommets par des chemins étroits”!
Sambou Diarra