Des manifestants tiennent une banderole « Non au référendum » en
référence au référendum sur le projet de révision de la constitution (juin
2017).
Le projet de révision constitutionnelle au Mali commence à révéler des
dessous qui ne réconcilieront pas de sitôt nos compatriotes avec la
communauté internationale qui a dans notre pays le visage de la MINUSMA et
de l’opération BARKHANE. Passons sur la cécité, voire l’indélicatesse d’un
gouvernement qui a décidé de faire un forcing insensé sur l’avant-projet qui a
tourné au fiasco avec le président de la République installé dans une salle de
banquet qui sonnait creux faute d’interlocuteurs en face.
Ce qui devient insupportable, c’est la pression de plus en plus ouverte de nos
“amis” pour faire de la révision constitutionnelle la tête d’agenda des priorités
du pays. Le Centre du Mali est à feu et à sang, avec une grave menace de
génocide ! Rien de mieux qu’un référendum constitutionnel pour le bien de la
Nation! L’école part-elle en vrille, avec une année condamnée à être blanche?
Une nouvelle Loi Fondamentale serait du plus bel effet!
Le pays lui-même menace-t-il de s’effondrer sous le poids de l’insécurité, des
fractures socio-religieuses, des tensions de trésorerie d’un Etat impécunieux ?
Une bonne rasade de référendum constitutionnel remettrait le malade
d’aplomb !
Devant l’incompréhension des Maliens, M. Annadif, patron de la MINUSMA
nous explique doctement que “la révision constitutionnelle ne doit pas
être perçue comme une demande extérieure… Elle est de plus en plus
perçue comme une demande collective des Maliens. Elle est utile pour
l’ancrage démocratique du Mali”. Il faut croire que nous sommes un
peuple bête pour ne pas nous rendre à une telle évidence !
Au plus fort du mouvement “Antè A bana”, la France de Macron était sur la
même ligne de l’apologie du référendum là où le bon peuple du Mali
s’inquiétait pour son unité et sa sécurité mise à mal déjà dans la région
Centre.
La critique contre la présence étrangère au Mali se nourrit d’arguments
idéologiques très largement contestables, de raisons liées à son inefficacité
tout à fait compréhensibles nonobstant les limites du mandat invoquées par
l’ONU pour sa défense. Mais sept ans après le déclenchement d’une crise dont
trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (France, Grande-
Bretagne, États-Unis d’Amérique) portent la très lourde responsabilité à
travers la destruction de la Libye, on peut légitimement se demander: que
nous veut la Communauté internationale, pour rester dans l’euphémisme ? La
tragédie d’Ogossagou est intervenue au moment où les 15 membres du
Conseil de sécurité, pour parler comme aux assises, étaient en transport à
Bamako pour évaluer le processus de paix au Mali. Ces braves diplomates
n’ont exprimé aucune émotion particulière au point d’indigner l’opposition
républicaine qui s’est fait fort de leur rappeler, au cours d’une séance de
travail, que la sur-priorité du Mali était de sortir de la spirale meurtrière au
Centre même si la mise en œuvre de l’Accord d’Alger restait un engagement
d’État à satisfaire.
Tout se passe comme si l’adoption d’une nouvelle Constitution reconnaissant
l’Azawad comme une “réalité historique et mémorielle”, créant un Sénat pour
quelques notables et chefs de tribus, octroyant de larges transferts de
compétences aux régions du Nord et subsidiairement aux autres sortirait le
pays, comme par magie, des graves problèmes de survie qui l’assaillent! Ou il
faut croire que l’Accord dit d’Alger en général, et la future Constitution en
particulier renferment des clauses que nous ignorons pour notre plus grand
bien!
Nous savions déjà que de Serval à Barkhane, l’intervention française a sans
doute freiné l’avancée djihadiste vers le Sud mais elle aussi permis à la
France de réaliser l’objectif stratégique d’une continuité territoriale de son
dispositif militaire de Dakar à N’Djamena en passant par Bamako et Niamey,
Djibouti étant à un vol d’oiseau pour assurer l’ouverture sur la Mer Rouge.
Les bons sentiments de “sauveur” du Mali peuvent faire bon ménage avec la
défense des intérêts nationaux. Sinon en matière de lutte contre les
djihadistes, Kadhafi faisait bien mieux que l’armada occidentale.
La Libye à laquelle Sarkozy a rendu sa liberté et octroyé la démocratie est
aujourd’hui le berceau de toutes les tragédies saharo-sahéliennes. Mais tout
n’est pas perdu pour autant ! En attendant de re-construire un Etat en Libye,
on enserre un peu plus les États affaiblis du Sahel dans des mailles politico-
militaires rendues nécessaires par la menace de la présence chinoise dans
des secteurs névralgiques comme le pétrole au Niger et au Tchad. C’est une
exploitation aujourd’hui marginale en quantité mais une vulnérabilité à terme
pour les intérêts occidentaux.
Les Maliens savent les richesses minières du Nord du pays et ils sentent
confusément que les constructions politiques en cours pourraient viser le
confort des partenariats futurs à établir avec les autorités (locales?) en
charge des territoires concernés dans le cadre d’une bonne “décentralisation”.
Autrement, on ne comprendrait pas cette focalisation maladive sur la
Constitution. Le garant de la Constitution est le Président de la République et
tous ceux qui s’agitent en faveur du référendum ont été témoins des graves
dysfonctionnements électoraux à l’occasion du scrutin présidentiel. Si
l’ambition est d’améliorer la démocratie, aidez d’abord la classe politique à
doter le pays d’une liste électorale fiable, d’une loi électorale crédible et de
juges constitutionnels au-dessus du soupçon ! La solution à aucune de ces
questions n’est intrinsèquement liée à une révision de la Constitution.
Sur le plan sécuritaire, quelle ne fut notre stupéfaction d’entendre la
MINUSMA affirmer qu’elle va renforcer la main des FAMAs au Centre, après
les massacres d’Ogossagou et surtout après que les Américains aient
publiquement objecté sur la pertinence de la mission onusienne avec, en
creux, la remise en cause de leur contribution financière. C’est la diplomatie à
la hussarde de Donald Trump qui fait bouger les lignes dans un sens
favorable à la protection des populations civiles. Il faut aussi saluer la
demande courageuse des députés et autres élus français qui se sont
interrogés à haute voix sur la survenue de telles atrocités dans un pays qui
enregistre une si forte présence de leurs troupes!
Les Maliens n’ont sans doute pas les moyens de se sortir seuls de leur
situation mais nos amis peuvent apprendre à nous écouter plutôt que de
décider à partir de New-York la marche à suivre et à la trique!
Aujourd’hui, c’est moins l’Accord que la gouvernance du pays qui est en
cause. On se demande comment un référendum à l’heure actuelle ne pâtirait
pas de l’impopularité abyssale du régime ? Et si le Non l’emporte dans un
scrutin référendaire mal préparé et non consensuel, la Communauté
internationale passerait-elle outre la volonté populaire ? Ou au contraire,
prendrait-elle acte de la mort de l’Accord dit d’Alger ? Pour toutes ces raisons,
il est urgent d’attendre !
C H Sylla
Source: L’aube