Gouvernance au Mali : Le bilan de l’année écoulée et les perspectives pour 2021 en débat

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Le Palais de Koulouba
Le Palais de Koulouba

La question de la gouvernance de notre pays était au centre de l’émission grand dialogue de la radio studio tamani. Une émission dirigée par Mouhamadou Touré, qui avait comme invités sur son plateau, le professeur et sociologue, Dr. Bréhima Ely Dicko, l’économiste chercheur, Pr. Mamoutou Soumaré et Mme Mariko Korotoumou Théra, directrice de l’ONG FEDEV. Ils se sont prononcés sur des faits marquants de l’année 2020 et ont, par ailleurs, émis des vœux de réussite pour la nouvelle année 2021. La question économique et sécuritaire, l’éducation, la corruption, les élections ont été les principaux sujets de l’émission.

Dans son intervention sur le bilan de l’année 2020, le professeur et sociologue, Dr. Bréhima Ely Dicko s’est d’abord focaliser sur la crise sécuritaire qui commence à atteindre les autres parties du Mali. Ensuite, il a touché quelques faits importants qui ont marqué le pays durant 2020, notamment la crise scolaire. « Si les enfants ne partent pas à l’école pendant plusieurs mois, demain, ce sont eux la relève. Que deviendra le Mali? », s’est-il interrogé. Il a, en plus, fait mention de la grogne sociale qui n’est que la conséquence des frustrations. Pour lui, les législatives de mars-avril n’ont fait qu’aggraver la situation. Il a, en outre, parlé du décès de nombreuses  personnalités. « L’année 2020 a été éprouvante pour l’ensemble des Maliens », a-t-il conclu.

L’état des finances, plus précisément des transferts monétaires connaîtront des chutes importantes,  selon Pr. Mamoutou Soumaré. « Les travailleurs émigrés maliens font des virements entre 300 et 500 milliards de Francs CFA, ce sont des virements officiels. Les 150 000  Maliens qui sont en France sont en majorité confinés. Il va y avoir une chute des transferts monétaires », a-t-il averti. Aussi, dit-il, la covid-19 augmentera le nombre de personnes pauvres à un ou deux millions supplémentaires. « On a décidé de payer le kilo du coton à 200F, les agriculteurs dans la région de Sikasso, Koutiala ont décidé de ne plus cultiver le coton. Les prévisionnistes prévoient que cette année, la Cote d’Ivoire va même produire plus que nous. On a été dépassé il y a  quelque temps par le tout petit Bénin avec 191 000 km2 de superficie. Le coton fait vivre 3 millions de personnes. Au Mali, l’or, c’est environ 15 000 salariés pour toutes les mines », a souligné l’économiste chercheur.

Pour professeur Soumaré, la diminution du train de vie de l’Etat est plus importante que la question de la corruption. « Quand une Toyota V8 passe devant vous, c’est 88 millions, ça correspond à 400 ans de ce que gagne un pauvre au Mali. Les autorités se promènent dans les V8 en longueur de journée. La gouvernance n’est pas uniquement la lutte contre la corruption, c’est tout ce qui permette de diminuer la pauvreté. Il y a 43% de la population qui vivent avec moins de 175 000F CFA par an », a-t-il expliqué.

Le constat fait par la directrice de l’ONG FEDEV du bilan de l’année 2020 a été le déplacement de la crise sécuritaire du nord vers le centre du Mali. Ce déplacement, aux dires de Mme Mariko Korotoumou Théra, a pris une connotation ethnique, notamment entre les peulhs et les dogons. « C’est l’absence de l’Etat qui a laissé la place à des milices qui pullulent de partout, de s’accaparer le monopole de la violence dans le pays », a-t-elle dit, avant de soulever la question de la mise en œuvre de l’accord d’Alger.

Se prononçant sur le plan économique, la directrice de l’ONG FEDEV a fait remarquer la destruction de l’économie locale qui a une répercussion sur l’économie nationale. « Nous nous retrouvons dans une situation de perte en capital humain. L’opacité de la gestion autour de la richesse du pays, notamment la richesse du sous sol malien. Il y a aussi les violences basées sur le genre dans les zones d’insécurité où il n’ y a pas de prise en charge. Dans un monde d’inégalité, il est impossible de penser à un lendemain meilleur», a-t-elle souligné. A ces dires,  de juin à août 2020, les personnes en situation de vulnérabilité ont augmenté de plus de 30% ; de 4,8 millions, nous sommes aujourd’hui à 6,8 millions. Pour Mme Mariko Korotoumou Théra, le tableau de l’année 2021 n’est pas reluisant. Toutefois, elle dit retenir quelque chose de bon durant l’année 2020. « Il y a eu ce sentiment de patriotisme qui s’est réveillé chez les Maliens et qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui. La logique voudrait qu’une transition favorise une refondation de l’Etat », a-t-elle dit.

Faisant le diagnostic sur des faits de l’an 2020, Dr. Bréhima Ely Dicko a soutenu que les Maliens, à un moment donné, se sont mis ensemble autour d’un objectif commun. « La justice a fait son travail avec des arrestations. Sur la mise en œuvre de l’accord d’Alger on n’a pas véritablement avancé. On a aujourd’hui plus de 361 000 déplacés internes, rien que dans la périphérie de Bamako.  7 camps de déplacés composés de femmes, de veuves et d’enfants sont laissés à eux-mêmes.  Il y a plus de 126 000 réfugiés dans les pays voisins », a-t-il fait savoir.

Au cours de ses explications, l’économiste Soumaré a souligné deux choses sur le rapport du vérificateur. « Il y a la perception que les gens en ont et il y a la réalité dans les rapports. Les gens prennent le montant globale qui est défini en disant qu’il y a 300 milliards qui ont été détournés. Le vérificateur n’a jamais dit qu’il y a 300 milliards détournés au Mali. Il faudrait approfondir l’éthique au niveau de la fonction publique », a-t-il préconisé.

En ce qui concerne les défis de l’année 2021, la restauration du pouvoir est un défi majeur. La directrice de l’ONG FEDEV soutient ce défi de taille. « Il est essentiel aujourd’hui pour le Mali que l’autorité de l’Etat s’instaure, mais cela ne peut pas se faire sans une bonne gouvernance. Que les uns et les autres s’y mettent. Celui qui a le pouvoir, c’est celui-là qui peut imposer le changement », a-t-elle proposé.

Les attentes sont énormes aux dires de Dr. Bréhima Ely Dicko. « C’est en 2022 qu’on est supposé avoir des élections, qu’on le veuille ou pas, la transition va finir par les élections, la refonte du système électorale. Les Maliens ont proposé un organe unique détaché de l’Etat et il faut le faire avec les parties politiques. Cette élection ne sera libre, crédible et transparente que lorsqu’on aura un seul organe qui va s’occuper des élections, qui va voir les questions de fichier électoral », a-t-il avisé. Un autre élément signalé par Dr. Dicko est la question sécuritaire et la tenue des élections à la date indiquée. « Il faut sortir des hypothèses, même s’il faut faire les élections à certains endroits par vote électronique. Il faut aller vers des mesures qui rassurent. Depuis le 6 octobre, Farabougou est assiégé par des terroristes, plus de 20 personnes ont été tuées. Il y a eu une frappe aérienne à Bounty on ne sait pas qui l’a faite », a-t-il ajouté.

Dr. Dicko juge également incompréhensible que le marché, les sotramas, les mosquées de Bamako soient remplis et que les écoles soient fermées. « Il faudra un moment s’assumer, donner des masques aux gens, il faut rouvrir les écoles. Dans toutes les localités, beaucoup de filles arrivent à se maintenir à l’école parce que l’école est ouverte, mais si elle est fermée, toutes ces filles vont être victimes de mariages précoces. L’UNICEF a dit qu’en raison de l’insécurité, 2 millions d’enfants ne partent plus à l’école. Vous prenez le coronavirus, vous fermez toutes les écoles, c’est la catastrophe assurée », a-t-il conclu. S’agissant d’une probable avancée de la lutte contre le fléau de la corruption en 2021, Pr. Soumaré estime qu’il faut que tous les dossiers qui se trouvent au niveau du pole économique connaissent une avancée. « L’important ce n’est pas d’arrêter les gens, il faut qu’on arrive à un résultat. Que la justice aille au bout. Tant qu’il n’ y aura pas de condamnation, il n’ y aura pas de résultat », a-t-il clamé. L’engagement constant de la population demeure le seul moyen pour imposer le changement. C’est du moins l’avis de la directrice de l’ONG FEDEV. Selon elle, cet engagement du peuple malien doit être entretenu pour imposer le changement aux autorités.

L’urgence aujourd’hui, d’après Bréhima Ely Dicko, est sans doute l’avancée sur l’accord d’Alger et discuter avec la CMA, l’ouverture des écoles, travailler avec les hommes politiques pour reprendre le système électoral. Pour sa part, Pr. Soumaré estime qu’il faut un leadership qui soit conscient des enjeux du Mali (économiques, politiques, sécuritaires, éducatifs). De son coté, Mme Mariko Korotoumou Théra juge nécessaire l’ouverture de la transition aux différents acteurs afin d’aider les autorités transitoires à atteindre les objectifs fixés.

Décrypté par Sidiki Dembélé

Source : Le Républicain

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