Au Burkina Faso, l’attaque de villages peuls a fait dimanche 8 mars officiellement 43 morts. Le gouvernement parle d’hommes armés non identifiés, alors que les coupables sont déjà identifiés. Pour Leslie Varenne, directrice de l’Iveris, cette tuerie prouve que le Sahel est en proie à une superposition de crises, l’ennemi ayant de multiples visages.
Lors du désormais célèbre sommet de Pau du 13 janvier dernier, où les chefs d’État du G5 Sahel et Emmanuel Macron se sont réunis, de nombreuses décisions ont été prises. Parmi celles-ci, il a été décidé d’un changement stratégique majeur: désigner clairement une zone –celle dite des Trois frontières– et un ennemi à cibler prioritairement –l’État islamique* dans le Grand Sahara (EIGS) et Ansarul Islam.
L’Élysée se félicite déjà de «l’amélioration dans la zone des Trois frontières» et de «la logique de reprise de contrôle d’un terrain qui avait été perdu», en prenant soin toutefois d’exclure le Burkina Faso.
Si mesuré qu’il soit, cet optimisme paraît néanmoins extrêmement prématuré. Certes, il n’y a pas eu d’attaque de grande envergure dans cette zone depuis celle du 10 janvier dernier à Chinegodar au Niger où 89 militaires ont été tués par l’État islamique*. Pour autant, cela n’a pas une grande signification. Une période de deux mois est beaucoup trop courte pour en tirer des conclusions. D’une part, les djihadistes de la bande sahélo-saharienne opèrent par cycle et se préparent pendant des semaines avant de passer à une offensive d’ampleur. D’autre part, les groupes sont mobiles, mouvants et se réorganisent vite. D’après le journal algérien El Watan, la création d’un nouveau groupe serait même en préparation dans le centre du Mali: l’État islamique* de Nampala. En outre, une «pause» des groupes terroristes sur un territoire ne signifie pas pour autant une amélioration pour les populations civiles en raison d’une multitude d’acteurs concourant à la dégradation sécuritaire. Cette situation extraordinairement complexe montre les limites de la désignation d’une zone à reprendre et d’une cible prioritaire à atteindre.
Qui sont les «HANI»?
Le dernier rapport d’International Crisis Group sur le Burkina Faso, «Sortir de la spirale des violences», analyse de manière très claire les divers ressorts de l’insécurité et les causes des drames vécus par les populations. Dans ce pays, la grande majorité des attaques n’est pas revendiquée par les deux principaux groupes djihadistes qui opèrent dans cet État, l’EIGS et Ansarul Islam. Ces événements, cinq par jour en moyenne, qui vont de l’incendie d’un marché ou d’une école à l’assassinat de civils dans un village à l’assaut d’un poste de police, de gendarmerie, au meurtre d’un notable en passant par des morts par engins explosifs, sont toujours rapportés par les autorités et la presse comme ayant été commis par des hommes armés non identifiés (HANI).
Qui se cache derrière ce vocable? Un melting pot dans lequel se trouvent de vrais djihadistes, des coupeurs de route, des trafiquants, des personnes qui, comme dans toutes les situations d’absence d’État et de grand désordre, en profitent pour régler de vieux comptes, notamment autour des conflits fonciers. On trouve ainsi des Koglweogos, cette milice composée majoritairement de burkinabè de l’ethnie mossie dont l’ennemi principal est la communauté peule, et des Peuls qui se vengent, créant ainsi un équilibre de la terreur.
Conflits intercommunautaires ou violence d’État?
Lors de son audition au Sénat, le 5 février 2020, le général François Lecointre, chef d’État-Major des armées, a déclaré:
«C’est aussi une guerre de conviction auprès de la population: il faut absolument éviter que la population peule ne bascule définitivement dans les rangs ou en appui de l’EIGS et que ce conflit ne dégénère en conflit interethnique. C’est l’une de nos craintes.»
Le 14 février dernier, la commune d’Ogossagou a été une nouvelle fois attaquée par les Dogons, 31 personnes rescapées du premier massacre ont été tuées et 20 sont portées disparues. Comment comprendre que l’armée qui stationnait dans ce village depuis presque un an ait décidé de quitter les lieux quelques heures seulement avant l’attaque et qu’elle soit revenue le lendemain matin juste après les tueries, les pillages et les incendies?
Fuir les exactions, c’est aussi laisser ces territoires à la merci des djihadistes
Toutes ces crimes sont documentés. Lors d’une conférence de presse à Bamako, le 28 février dernier, des associations peules sont longuement revenues sur ces exactions. Elles ont expliqué, preuves à l’appui, comment après l’attaque le 26 janvier dernier du camp de la gendarmerie de Sokolo, revendiquée par le Iyad Ghali (JNIM), les forces de défense et de sécurité maliennes s’étaient «vengées», sans autre forme de procès, sur les habitants peuls des communes de Diabaly, Sokolo et Dogofory.