Dans un nouveau rapport, Human Rights Watch dénonce « les atrocités commises contre les civils à Ogossagou le 14 février 2020 ». L’organisation pointe du doigt une « milice ethnique » qui a massacré plus de 35 villageois après le retrait de l’armée. L’organisation demande aux autorités maliennes d’arrêter et de poursuivre les responsables de ces crimes odieux. Alors que les forces onusiennes, sous la bannière de la Minusma n’ont rien pu faire aussi pour protéger les civiles conformément à leur mandat.
En effet, le vendredi 14 février 2020, ce village (situé dans la région de Mopti) a été le théâtre d’une attaque d’une rare violence. Bilan : Plus de 30 victimes et de nombreux blessés.
Selon Human Rights Watch : « le massacre dans le village d’Ogossagou a eu lieu quelques heures après que les chefs de village ont alerté les responsables gouvernementaux que l’armée malienne avait quitté un poste créé à la suite du massacre de 150 personnes dans le même village, perpétré le 23 mars 2019, et une heure après qu’un convoi de forces de maintien de la paix des Nations Unies avait traversé le village. » : « Des hommes armés appartenant à l’ethnie dogon ont pourchassé des civils dans la brousse et les ont tués, décapitant et mutilant certains, ont déclaré des témoins à Human Rights Watch. La plupart des victimes étaient des hommes du village appartenant à l’ethnie peule. Une femme peule âgée et quatre enfants ont également été tués, et 19 villageois sont toujours portés disparus. Des témoins ont donné à Human Rights Watch les noms de 20 hommes dogons qu’ils ont reconnus comme faisant partie des assaillants, la plupart issus du quartier dogon d’Ogossagou, dont certains auraient participé aux tueries de mars 2019. « Des milices ethniques qui n’ont apparemment aucune crainte d’être tenues pour responsables de leurs actes ont à nouveau tué et mutilé des dizaines de civils », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel au sein de Human Rights Watch. « Le deuxième massacre à Ogossagou a été particulièrement horrible car l’armée malienne et les forces de maintien de la paix de l’ONU auraient pu l’empêcher. »
Une responsabilité partagée par l’État
Human Rights Watch a interrogé 18 personnes au Mali en février et mars, dont 10 témoins de l’attaque, des chefs de la communauté peule, des responsables des institutions maliennes chargées de la justice et de la sécurité, ainsi que des diplomates étrangers.
En réponse à des lettres de Human Rights Watch, le gouvernement par le biais de courriers transmis par le ministère de la Défense et des Anciens Combattants et par le ministère de la Justice et des Droits de l’homme a indiqué que des « dysfonctionnements tactiques » avaient conduit au massacre. Le gouvernement a ajouté que des « sanctions disciplinaires » ont été immédiatement prises, dans l’attente de l’issue d’une enquête qui était en cours. La mission de l’ONU a séparément déclaré qu’une enquête sur l’incident d’Ogossagou était en cours.
Le 13 février, les militaires de l’armée malienne se sont retirés de leur poste à Ogossagou sans fournir d’explication aux villageois peuls. En quelques heures, ces derniers ont observé une accumulation d’hommes armés dans le quartier dogon. Des villageois d’Ogossagou et des chefs de la communauté peule à Bamako, la capitale du Mali, ont déclaré avoir urgemment appelé à maintes reprises des autorités maliennes de haut niveau, dont plusieurs ministres, ainsi que la mission de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSMA, afin de les avertir du risque d’une attaque imminente. Un convoi de forces de maintien de la paix de l’ONU a traversé le village une heure avant l’attaque, cherchant apparemment le village d’Ogossagou, mais il est parti après que des hommes dogons les aient vraisemblablement mal dirigés, selon des témoins.
Peu après 5 heures du matin le 14 février, l’attaque a commencé. « Ils ont fouillé la brousse, cherchant des gens à tuer », a expliqué un témoin. « Ils ont trouvé mon ami à quelques mètres de l’endroit où je me cachais… Ils l’ont traîné dehors, lui ont tiré dessus puis ils ont mutilé son corps. » Un autre témoin a affirmé : « Je les ai vus sortir Bocarie, 47 ans, d’une maison. ‘S’il vous plaît, au nom de Dieu, ne me tuez pas ! », a-t-il supplié, mais ils l’ont tailladé avec une machette et l’ont égorgé. »
Le massacre n’a cessé que trois heures plus tard, après que les troupes maliennes et les forces de maintien de la paix de l’ONU sont arrivées sur les lieux. Un agresseur a été appréhendé mais les autres se sont enfuis.
Les habitants d’Ogossagou ont exprimé leur indignation face au manque de protection et au manque de justice pour le massacre précédent. « Si ceux qui ont tué en 2019 avaient été mis en prison, cette deuxième attaque n’aurait pas eu lieu », a déclaré un témoin. « Que dois-je dire à une femme qui a perdu deux enfants lors de l’attaque de l’année dernière et son seul enfant restant dans celle-ci ? », a demandé un ancien.
Les incidents meurtriers de violence communautaire dans le centre du Mali ont augmenté régulièrement depuis 2015, lorsque les groupes armés islamistes se sont déplacés du nord vers le centre du Mali. La violence a opposé des groupes ethniques d’autodéfense des communautés agraires bambaras et dogons, qui se sont formés en réponse à la présence insuffisante des forces de sécurité de l’État, contre des communautés nomades peules ou fulanies, accusées de soutenir les islamistes armés
Depuis 2015, Human Rights Watch a documenté le meurtre de plus de 800 civils dans le centre du Mali lors de dizaines de massacres à grande échelle de civils peuls perpétrés par des milices dogons et bambaras, ainsi que de nombreux assassinats, y compris des massacres, de civils commis par des hommes peuls armés et des groupes armés islamistes. L’épicentre de la violence est situé dans la région de Mopti, et le cercle de Bankass, la zone administrative où se trouve Ogossagou, a été particulièrement durement touché depuis 2019 avec des dizaines de représailles d’agriculteurs et d’éleveurs de tous les groupes ethniques.
Les autorités maliennes devraient de toute urgence arrêter et poursuivre de manière appropriée les responsables du massacre du 14 février, notamment ceux qui ont planifié et orchestré l’attaque, selon Human Rights Watch. Les autorités devraient désarmer toutes les milices responsables de violences, notamment à Ogossagou, et réinstaller les résidents vulnérables qui souhaitent quitter le village. : « Les autorités maliennes et le parlement, ainsi que les Nations Unies, devraient enquêter sur le rôle de l’armée malienne et des forces de maintien de la paix de l’ONU, et prendre des mesures disciplinaires appropriées à l’encontre de toute personne ayant fait preuve de négligence au regard de ses obligations de protéger les civils à Ogossagou », a conclu Corinne Dufka.
Et le mandat de la Minusma ?
Deux chefs de village ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient appelé le personnel de la MINUSMA et une ligne téléphonique d’urgence de l’ONU à Mopti peu après le départ de l’armée malienne du village le 13 février. Ils ont indiqué s’être entendu répondre que des forces de maintien de la paix allaient être envoyées dans le village. Plusieurs personnes connaissant les opérations de l’ONU ont déclaré qu’un groupe de plusieurs dizaines de Casques bleus sénégalais était stationné sur une base temporaire à Dialassagou, à 30 kilomètres au sud d’Ogossagou. Le mandat de la MINUSMA comprend la garantie de la sécurité et de la protection des civils.
Trois témoins ont expliqué qu’aux alentours de 4 heures du matin le 14 février, environ une heure avant le début de l’attaque, un convoi d’au moins quatre véhicules de l’ONU est passé par Ogossagou – sur la route qui sépare les quartiers peul et dogon – mais ne s’est pas arrêté dans le quartier peul, alors même que plusieurs villageois ont demandé de l’aide avec des lampes-torches.
« J’ai vu quatre ou cinq véhicules blancs sur la route », a expliqué un habitant. « Nous avons dit :’Dieu merci, ils sont arrivés’. Mais à notre grande surprise, ils ne se sont pas arrêtés pour nous parler. Nous ne les avons plus revus jusqu’à ce qu’ils se présentent avec l’armée vers 8 heures du matin, plus tard dans la matinée. »
« Deux d’entre nous sont sortis et ont fait des signaux avec nos lampes torches pendant plusieurs minutes, mais [les véhicules de l’ONU] sont passés devant nous », a ajouté un autre habitant. « J’ai vu les feux de freinage pendant que le convoi s’arrêtait à l’extrémité du village – en face du quartier dogon. Nous pensions qu’ils s’étaient arrêtés – mais ensuite, quelques minutes plus tard, ils ont continué. Nos cœurs se sont serrés. »
Les trois mêmes témoins ont déclaré que lorsque la MINUSMA est arrivée dans le village après le massacre, des habitants ont demandé aux forces de maintien de la paix pourquoi elles ne les avaient pas protégés. Un témoin a expliqué : « J’ai dit à l’ONU : ‘Nous vous avons fait signe, mais vous ne vous êtes pas arrêtés ! Pourquoi ?’ Le commandant sénégalais a déclaré qu’ils n’avaient pas vu les lampes torches et avaient demandé à un groupe de Dogons aux abords de la ville où se trouvait Ogossagou, mais que les Dogons leur avaient répondu que c’était plus loin sur la route. » Les témoins pensaient que les hommes dogons avaient délibérément mal dirigé les forces de maintien de la paix.
Le 16 mars, Human Rights Watch a reçu un e-mail du directeur de la communication stratégique et de l’information de la MINUSMA, notant : « La protection des civils et la promotion des droits humains sont une priorité absolue pour la MINUSMA. La MINUSMA a ouvert une enquête sur les événements du 14 février 2020 à Ogossagou où des civils ont été tués. Les conclusions de l’enquête seront rendues publiques très prochainement. »
Mémé Sanogo
Source : L’Aube