La CEDEAO est un partenaire stratégique du Mali. Elle a toujours été au chevet du Mali depuis 2012. Mais, a-t-elle été à hauteur de souhait dans ses multiples médiations au Mali ? J’en doute vraiment, car les faits sont têtus. En 2012, en pleine crise sécuritaire, comme par le passé en 1991, elle a péché par sa lenteur. Elle a tardé à rassembler les contingents de ses membres pour soulager la souffrance des Maliens. Le retard dans le déploiement des forces des pays membres de la CEDEAO a surement contribué à la détérioration de la situation au nord Mali.
En effet, ATT avait appelé à la mise en place d´un « plan sous régional » de lutte contre les forces terroristes depuis 2006. Taxant à l´époque les terroristes d´étrangers venus du Maghreb, il s´est offusqué du déficit de coopération régionale, chacun disait-il « se plaint de son voisin et les actions isolées sont vouées à rester ponctuelles ». Très déçu, il dira enfin au cours de la même interview ceci : « J´ai appelé en septembre 2006 à une conférence sahélo-saharienne pour la paix et le développement en présence des chefs d´État, personne ne m´a écouté pendant quatre ans » !
Malgré quelques avancées dans le domaine de l´intégration sous régionale, la CEDEAO à mon humble avis est restée non seulement tributaire pendant longtemps de la conception de souveraineté-barricade (Innocent E. Manzan, 2011) qui annihile tous les efforts de gestion collective des crises et conflits, mais aussi tourmentée par des interférences internationales. Nicolas Sarkozy avait mis toutes ses forces dans la balance pour torpiller l’initiative sous régionale en faveur de la résolution de la crise libyenne dont nous sentons encore les ressacs.
Ce qui est vrai pour la CEDEAO l´est davantage pour l´Union africaine. Manquant de vrai leadership et engluée dans ses propres contradictions, l´Union Africaine a elle aussi brillé par sonimmobilisme livrant ainsi le Mali a son sort. Au 20e sommet de l´Union africaine tenue à Addis-Abeba, le Président Yayi Boni, Président sortant de l´UA a déploré dans son discours « la lenteur de l´organisation à agir pour le Mali ». Le Président Idriss Deby Itno agacé par la lenteur du déploiement interpella ses homologues de la CEDEAO réunis en sommet à Yamoussoukro le 28 février 2013 en ces termes : « Nous devons prendre nos responsabilités face à l´histoire. L´heure n´est plus aux discours »« l´ennemi n´attend pas », « Nous appelons l´état-major de la CEDEAO à plus de célérité en accélérant l´envoi des troupes dans la zone libérée ».
Auparavant, ce fut à Laurent Fabius de préciser lors du sommet ouest-africain du 19 janvier 2013, que l´opération française : « n´a pas vocation à se substituer à l´action de la MINUSMA ». Il exhorta donc les responsables de la CEDEAO à déployer les troupes : « le plus vite possible ». À cette époque, la MINUSMA n´avait pu déployer que 8.000 soldats dans les zones libérées. Les premières troupes de la CEDEAO n´arriveront au Mali que le 17 janvier, 2013 soit une semaine après l´intervention française. Les soldats nigériens et tchadiens ainsi que le bataillon de El Hadj Gamou atterrissent les premiers à Gao en provenance de Niamey.
En laissant la France et le Tchad faire le boulot à sa place, l´organisation sous-régionale a montré ses limites. Il montre clairement que les États de l´Afrique occidentale après plus de 50 ans d´indépendance ne sont toujours pas capables de coopérer pour sécuriser et protéger leurs populations sans impulsion extérieure.
Les crises maliennes ont montré une fois de plus que l´application des décisions de grands ensembles supranationaux créés par les États-Nations africains se heurtera toujours, faute de reconnaissance ou d´interpénétration des peuples à un mur d´incompréhension. L´implication de la CEDEAO dans la crise malienne a été souvent interprétée comme une immixtion voire même une humiliation au lieu d´être perçue si elle était bien appropriée comme un devoir et si les résultats étaient probants.
Aujourd’hui, comme en 2012, elle met en garde et menace les putschistes alors qu’elle était là depuis le début de la crise à travers ses différentes missions. Le schéma de sortie de crise qu’elle a proposé était en inadéquation avec les aspirations et les attentes des principaux protagonistes. Comme en 2012, elle n’a pas réussi en 2020 à éviter le coup d’État qui vient de déposer IBK. Elle l’aurait évité, si elle avait écouté les Maliens et agi à temps. Hélas. Est-il raisonnable de punir un peuple rendu famélique et grabataire par des politiques publiques incertaines ? Au lieu des oukases, elle ferait mieux d’aider le Mali à sortir de la crise en l’accompagnant dans le strict respect de ses institutions et de la volonté populaire. Les coups d’État ne naissent pas comme un coup de pistolet. Leurs racines sont à chercher dans le malaise national, l’absence de communication et de dialogue, le déficit de confiance et de légitimité des dirigeants politiques.
Aux responsables de la CEDEAO, je dirai que le temps est venu de s´atteler davantage à la construction d´une Afrique de l´Ouest des peuples pour mieux légitimer leur présence. Se faisant, elle s´éloignera petit à petit de l´image de « Rambo de pacotille » dont on l´affublait il y a quelques années.
Birama Diakon
Anthropologue
Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako
Source : Le Pélican