“Il y a urgence à amplifier a créer les conditions d’un dialogue apaisé sur l’avenir de la politique menée par la France au Sahel.”
SAHEL – “Le dialogue est une vertu”, dit-on chez moi au Mali. L’appel au dialogue du sommet Afrique-France organisé en octobre à Montpellier en présence d’Emmanuel Macron relevait dès lors d’un certain devoir culturel.
Après huit ans d’intervention militaire française dans mon pays, ce fut l’occasion de questionner le rôle et les responsabilités de la France dans les crises que vit le Sahel aujourd’hui. Car entre larmoyer sur les préjugés qu’on a de la relation de l’Afrique avec la France et profiter d’une occasion de porter notre voix et d’exprimer nos pensées sur cette relation, j’ai d’office choisi la seconde option.
Il était temps. En huit ans d’opérations militaires, jamais la France ne s’est réellement mise à l’écoute des populations sahéliennes, de sa jeunesse et de ses sociétés civiles. Le sommet de Montpellier a permis de créer un virage social dans la mesure où il a ouvert une brèche dans cette intervention armée. De débattre d’une vision française qui voit les opérations militaires au Sahel comme une aide, alors qu’il s’agit avant tout de réparer l’erreur française commise en Libye et de ses conséquences au Sahel, avec la forte probabilité d’en commettre une autre.
L’intervention militaire n’a jamais réglé un problème, et le Sahel ne fera pas l’exception.
Adam Dicko
Il faut allier solution militaire et développement local, économique et social des zones affectées par l’insécurité. Garantir une gouvernance inclusive, combattre les inégalités et reconstruire un contrat social aujourd’hui brisé. Mais pendant huit ans, des acteurs ont été exclus des grands sommets où l’avenir du Sahel était décidé. Montpellier doit être la base d’une dynamique nouvelle dans laquelle les sociétés civiles et la jeunesse africaine sont considérées comme des interlocuteurs à part entière pour redéfinir notre relation à la France.
Sans nul doute, c’est au Sahel que cette nouvelle dynamique doit se concrétiser. Ces dernières semaines ont été marquées par des tensions grandissantes sur l’action de la France dans la région, avec des convois de Barkhane devenant la cible du mécontentement populaire au Burkina Faso et au Niger. Il y a urgence à amplifier la dynamique lancée à Montpellier en créant les conditions d’un dialogue apaisé sur l’avenir de la politique menée par la France au Sahel.
Je me suis rendu compte ces dernières semaines que nombre de voix de la société civile française partage cette vision et sont frustrées de l’absence de débat public sur les actions menées par leur pays au Sahel depuis bientôt 10 ans. Autant les Sahéliens souffrent de la relation déséquilibrée avec la France, autant les citoyens français aussi encaissent cette coopération qui se joue sur leur dos. Mes dernières expériences m’ont fait croire que les regards sont souvent convergents et le ras-le-bol est des deux côtés.
2022, année à haut risque pour le Sahel
Y aura-t-il un avant/après Montpellier dans la relation de la France avec notre continent? Je l’espère. Ma participation au sommet a été autant critiquée qu’elle a été applaudie, mais l’anticonformisme qui me définit fait que j’agis en fonction de mes propres convictions. Je devais faire entendre la voix de la société civile, c’est ce que je crois avoir fait. Mais Montpellier n’est pas une fin en soi.
Il faut d’abord que les engagements de Montpellier soient traduits en action: dépasser la question de l’aide au développement, aller vers la coopération, oser parler des intérêts et les redéfinir dans un pari gagnant-gagnant. Il faut que le fonds pour la démocratie annoncé par le président Macron soit un fonds co-construit et participatif avec les pays africains, les diasporas et pourquoi pas avec d’autres partenaires dans une approche multilatérale.
Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir de mon pays et du Sahel. L’instabilité progresse et les populations souffrent toujours plus. Le prochain sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine qui se tiendra sous présidence française en février prochain, doit être l’occasion de poursuivre ce dialogue avec les sociétés civiles et considérer les acteurs locaux comme des interlocuteurs fiables à même de redéfinir les relations entre nos deux continents sur des valeurs humaines.
L’avenir de Barkhane – dont la restructuration doit s’opérer début 2022 – doit être l’objet d’un réel débat public, en France comme dans nos pays.
À cet égard les élections françaises en 2022 doivent être l’occasion d’un vigoureux débat démocratique sur les orientations de la politique étrangère française dans la région. Débat qui doit se faire à l’écoute des populations du Sahel, premières touchées par les crises que vivent nos pays.
SOURCE: https://www.huffingtonpost.fr/