L’aide de l’Etat à la presse au Mali : Une enveloppe insignifiante et introuvable !

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Dans le cadre de la célébration de la Journée Internationale de la Liberté de la Presse, la Maison de la Presse (PM) et ses partenaires ont initié une Semaine Nationale de la liberté de la Presse tenue du 3 au 7 Mai dernier. Dans cette mouvance, il a été organisé une conférence-débat le jeudi 6 Mai à la MP sous le thème : « Aide publique à la presse ; quelles perspectives ? ». Ainsi, ladite conférence a été animée par Dramane Aliou Koné dit ‘’DAK’’, président sortant de la MP avec à ses côtés Alexis Kalambry, directeur de Publication du Journal ‘’Mali Tribune’’ et Bandiougou Danté, président de la MP.

En effet, cette conférence-débat a marqué également la présence de Bassidiki Touré, président de l’ASSEP (Association des Editeurs de Presse Privée du Mali) et devant plusieurs Patrons de presse. Ainsi, le sujet étant délicat, le conférencier Koné a d’abord touché l’historique de l’aide à la presse commençant par l’aide directe. Il souligna que le principe de l’aide à la presse (Subvention publique versée aux organes de presse) a été adopté lors de la Conférence nationale et inscrit dans les lois portant délit de presse et régime de presse, notamment la dernière 00-046 du 7 juillet 2000 qui dit en son article 32 que ‘’l’Etat apporte une aide aux organes médiatiques qui contribuent à la mise en œuvre du droit à l’information et dans le cadre de leur mission de service public’’.

D’après lui, c’est en 1996 que l’Etat a commencé à l’exécuter dans le cadre d’un appui aux organes après la dévaluation du FCFA par un montant de 200 millions logé dans le budget de la présidence de la République. Elle était ainsi repartie initialement comme suit : 75 millions pour la presse écrite privée ; 75 millions pour les radios libres ; 10 millions pour l’ORTM, la même somme pour l’Essor, 30 millions pour la MP.

Selon lui, en 2012, le montant alloué aux médias a été de 91 millions soit moins de 50% de l’enveloppe de 200 millions. Toutefois, qu’il a été porté à 300 millions de FCFA entre 2017-2019. Mais, depuis deux ans, qu’aucune aide n’a été apportée malgré les démarches entreprises par les organisations faitières avec la MP en première ligne. « A partir de 2008, la clé de répartition a changé. Ainsi, les 200 millions sont partagés comme suit : 80 millions pour la presse écrite ; 80 millions pour les radios libres ; 34 millions à la Maison de la Presse ; 3 millions à l’ORTM et 3 millions à l’AMAP. Il faut mentionner que ces deux organes publics reçoivent déjà une subvention de l’Etat à hauteur de 70% de leur budget »a édifié le président sortant de la MP.

Dramane Aliou Koné fera savoi que le montant cumulé de 1996 à 2019 s’élevait à 3,2 milliards et que cette somme est partagée entre les rédactions. L’ancien président de la MP a précisé que jusqu’en 2003, c’est l’ASSEP et l’URTEL qui déterminaient chacune les critères du partage de leur enveloppe respective entre les différents organes. A cet effet, à partir de 2003, le Ministère de la Communication et des Nouvelles Technologies a mis sur pied une commission chargée de partager l’aide à la presse. Cette commission était composée des représentants de : Ministère de la Communication, Ministère de l’Administration Territoriale, Ministère des Finances, du Conseil Supérieur de la Communication qui a laissé la place à la HAC qui refuse de siéger, de l’ASSEP et de l’URTEL.

Ils fixent, dit-il, les montants en fonction d’un certain nombre de critères par un décret et un arrêté ministériel. Il s’agit donc entre autres : existence sous forme d’entreprise, de contrats de travail, d’immatriculation à l’INPS, du quitus fiscal, du bilan certifié, de la justification des fonds alloués de l’année précédente. Néanmoins, que ces critères n’ont presque jamais été rigoureusement appliqués.

En outre, M. Koné a fait quelques mises au point sur ce sujet. Il a dit que contrairement à certaines déclarations, que tous les directeurs ne se servent pas de l’aide pour s’enrichir ou pour acheter des voitures ou pour se marier. Cependant, que les organes de presse qui sont souvent très endettés sont obligés de s’acquitter de leurs dettes auprès des imprimeurs, de payer les arriérés de loyer, de payer les salaires des journalistes etc.

« Depuis 1996, c’est le même montant qui est toujours accordé aux journaux qui sont quand même passés de 23 à plus de 200 organes, suivant les années si l’on s’en tient aux rapports de la commission nationale d’attribution de l’aide publique, car, à chaque partage de l’aide, on enregistre de nouveaux organes qui remplissent les critères. Présentement, l’aide publique accordée aux médias privés couvre moins de 10% de leurs charges  contre 45% dans les années 1990» a synthétisé l’ex président de la MP.

En parlant des montants de l’aide dans les autres pays de l’UEMOA, DAK a affirmé que le Mali a été le premier a initié cette aide mais qu’aujourd’hui, nous sommes le dernier à cause de l’insuffisance de cette somme. Il a pris comme exemple les données de 2014 : « Mali : 200 millions de FCFA ; Sénégal : 1 milliards 200 millions de FCFA ; Côte d’Ivoire : 1 milliards 75 millions de FCFA ; Burkina Faso : 300 millions de FCFA plus des aides spéciales en négociation ; Benin-Togo : 500 millions de FCFA et Niger : 400 millions de FCFA ».

Concernant les aides indirectes, le conférencier a souligné que jusqu’ici, en dépit des inscriptions de la même loi 00-046 du 7 juillet 2000 qui stipulent dans le même article 32 que les organes peuvent recevoir une aide indirecte, cela n’a jamais été apporté aux organes de presse. Ajoutant que l’Etat peut subventionner les charges d’électricité, de téléphone et les charges sociales des organes de presse.  De même qu’un abattement fiscal sur les intrants d’imprimerie, notamment papier, encre, plaques et calques.

Les perspectives  

En terme de perspectives, DAK a assuré que depuis quelques années, le monde de la presse se bat à deux niveaux précisément : l’aide à la presse pour que le montant soit sensiblement revu à la hausse et l’aide indirecte qui pourra se manifester sous la forme d’exonération, de facilités en termes de voyages professionnels, d’hébergement etc.

Pour conclure, il a parlé des actions en cours qui sont la relecture de la Loi portant régime de presse avec l’inscription d’une aide publique obligatoire aux organes de presse ; l’engagement d’une procédure d’indexation de l’aide à la presse au budget de l’Etat etc.

Par Mariam SISSOKO

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 Situation de la presse malienne d’aujourd’hui

Les avis éclairés de quelques acteurs du métier

Notre pays a commémoré la Journée internationale  de la liberté d’expression de la presse du 3 au 7 Mai 2021 à la Maison de la presse. Au cours de cette semaine nationale plusieurs thématiques ont été abordées par les responsables de la presse sur les conditions de vie et de travail des journalistes maliens. Sur ce sujet nous avons recueilli pour vous les avis éclairés de quelques acteurs des médias.

Chahana Takiou : président du Groupe Patronal de la Presse

Il n’y a jamais eu une volonté politique de donner à la presse toute sa liberté, toute son indépendance

« Avec la démocratisation de notre pays, la presse est née avec le mouvement démocratique. Donc la presse malienne est née avec la politique. Au début des années 1990, 1991 la presse était très politisée. C’était une presse militante une presse engagée avec ” Les Echos” le premier journal à l’époque de la place qui appartenait à un homme politique qui est devenu plus tard le président de la République, Alpha Oumar Konaré. Il y avait d’autres organes, tels  ‘’l’Aurore’’, ‘’la Roue’’. C’était une presse engagée qui dénonçait, qui critiquait la dictature, qui montrait le mal vivre des Maliens, qui laissait entendre qu’il faudrait que la situation change pour que nous puissions avoir une très bonne école, pour que nous puissions avoir une bonne condition sanitaire, donc la presse est née avec la politique.

 Plus tard nous sommes rendus compte de ce dérapage du fait que la presse est fortement politisée et jusqu’aujourd’hui cette presse  est dans cette logique. Mais s’il y a eu, quelque part, une nette amélioration, il faut noter aussi un recul par rapport  à 92 parce qu’ à l’époque il n’y avait pas assez de journaux. Aujourd’hui on dénombre au moins 159 journaux plus de 450 radios. De ce fait, toutes les opinions sont là, sont exprimées aucune information ne peut être cachée.

Je pense que s’il faut faire un bilan de la presse notre presse vient de loin, parce que au début on n’avait pas de journalistes professionnels c’était des sortants des grandes écoles qui venaient dans la presse avec un certain dévouement et engagement. Par la suite, la Maison de la presse dirigée à l’époque par Saïdou Yattara, a organisé beaucoup de formations au bénéfice des journalistes. Aujourd’hui on voit que la plupart des jeunes en situation de chômage viennent dans la presse sans référence et sans répondre même aux critères d’un journaliste, parce que pour être journaliste il faut au moins avoir une maîtrise ou d’être diplômé d’une école de journalisme. 

Si moi je dois accuser quelqu’un je vais accuser le pouvoir public, il n’y a jamais eu une réelle volonté politique d’accompagner la presse. Il n’y a jamais eu une volonté politique de donner à la presse toute sa liberté, toute son indépendance, parce que les lois ne sont pas respectées par le pouvoir public lui-même.  L’aide publique qui permet d’accompagner si peu qu’il soit la presse, nous sommes l’un des premiers pays en Afrique Occidentale a décrété cette aide publique de deux cents millions, mais chaque année cela diminue. Alors qu’en Côte d’Ivoire et Senegal, ils sont dans le milliard pour aider l’ensemble de la presse.

Et  l’autre problème de la presse, c’est la précarité dans laquelle vivent les journalistes, une radio ou un journal qui n’est pas rentable ne peut pas payer ses journalistes. Une radio ou un journal qui n’a pas de dividendes ne peut pas bien payer ses journalistes, parce qu’un journal ou une radio c’est d’abord une entreprise qui doit gagner de l’argent, qui doit avoir de la dividende.  L’Etat doit créer les conditions pour que les entreprises de presse puissent évoluer positivement, avoir de l’argent et payer les journalistes. La grande majorité des recettes de la presse provient surtout de la publicité et les annonces, mais au Mali c’est l’ORTM et l’AMAP qui prennent tous, ce qui n’est pas normal. Il doit y avoir une loi pour réglementer la publicité. L’ORTM est un organe public, même si elle fait rentrer zéro franc, l’État fera les prises en charge, ce qui n’est pas le cas de la presse privée. La presse privée a besoin d’un accompagnement de l’État pour que celles-ci soient des entreprises viables afin de payer décemment les journalistes qui y travaillent. La grande difficulté de notre presse aujourd’hui ce n’est pas seulement la formation car il y eu beaucoup de formations et il y a beaucoup d’écoles de journalisme, mais tant qu’on vit on se remet en question, on se forme. Le problème aujourd’hui c’est la précarité, la convention collective des journalistes qui fait défaut, ce qui joue sur l’exercice de notre profession. Tout ceci constitue une question de volonté politique, il faudra que l’État soit courageux, qu’il ose s’affirmer et s’assumer pour légiférer. Sinon les réseaux sociaux sont partout au monde, il faudra canaliser les uns et les autres car nous sommes dans une République, dans un système démocratique où nous travaillons sur la base des normes étatiques”.

Oumou Fofana : journaliste reporter au journal ‘’Mali Tribune”

“La situation des journalistes au Mali est vraiment inquiétante…

“La situation des journalistes au Mali est vraiment inquiétante parce que malgré le fait que la liberté d’expression est clamée partout, mais nous ne sommes pas libres de nos écrits. Il arrive souvent que  nos directeurs de publication annulent nos écrits car ils sont des partenaires avec certaines structures. On critique un peu leur insuffisance en tant que journaliste, on a droit de relayer l’info alors il faudrait bien qu’on nous accorde les infos qu‘il faut en temps réel. Surtout dans le cadre de la justice on a beaucoup de problème pas mal de journalistes ont été récemment interpellés devant la justice, c’est vraiment inquiétant. Parce que pour qu’on évite d’être interpellé devant la justice il faudrait bien que  nous sachons nos limites avec la justice. Avec les mêmes services judiciaires on a des difficultés, même pour avoir accès à certaines informations, même si elles ne sont pas confidentielles. Ce faisant, il est temps que la situation soit améliorée et que l’aide à la presse ne soit pas juste une loi mais que cela  soit traduit en actes, car nos situations sont vraiment inquiétantes. En tant que journaliste on est obligé de regarder de gauche à droite pour subvenir à nos besoins. De ce fait, si les autorités pouvaient au moins jeter un regard sur notre situation, ce serait encore mieux”.  

Boubacar Kanouté : président de l’Union des Journalistes Reporter du Mali

30 ans de misère, ça suffit

‘’Les journalistes maliens vivent dans un contexte de désordre, de fortes inquiétudes  mais aussi de désespoir, plus particulièrement ceux qui ne sont pas des patrons d’organe de presse (les reporters), souffrent le martyre.       

Le désordre parce que le métier est envahi par des propriétaires de téléphones Android de 50 000 fcfa, autoproclamés journalistes qui piétinent toutes les règles de déontologie et d’éthique du journalisme. C’est aussi le manque de respect de ces normes qui affecte la presse par certains nouveaux types de journalistes appelés sous le couvert de “journalistes citoyens et/ ou révolutionnaires”. Des termes graves qui, si on n’y prend pas garde, risquent à jamais de salir ce noble métier. Car il n’y a pas deux codes qui encadrent ce métier. On est soit journaliste, on s’y conforme, ou on choisit de devenir  autre. Trente ans après, les journalistes reporters maliens ne se sentent toujours pas dans une fonction. Ils continuent toujours à courir derrière les perdiems pour subvenir aux besoins de leur petite famille. Pas de salaires, ou souvent misérable, pas de protection sociale, aucune garantie de meilleure perspective. Et dire que nous sommes le 4ème  pouvoir. Alors, qu’on  donne tout notre pouvoir aux trois autres pouvoirs (exécutifs, législatifs et judiciaire ). Trente ans de misère, ça suffit’’.

Propos recueillis par Fatoumata Coulibaly

Source : Le Sursaut

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