Manœuvre destinée à museler les libertés individuelles et collectives selon les uns, stratégie visant à redorer le blason terni par la montée en flèche de l’insécurité dans les villes et campagnes de l’avis des autres.
L’état d’urgence, en vigueur depuis samedi dernier, est jugé suffisamment préoccupant pour être acceptable de tous. Les déclarations oscillent entre les reproches acrimonieux et une compréhension guidée par le souci d’endiguer la vague déferlante de la pandémie de coronavirus et l’insécurité qui sévit dans les villes et campagnes.
Les détracteurs de la mesure y voient une manœuvre destinée à museler les libertés individuelles et collectives si chèrement acquises. L’analyse ponte tend à prouver que toute tentative de juger d’un œil, fut-il impartial, de l’évolution politique, du climat social et sécuritaire du pays, serait interprété comme un travail de sape de la transition, au lieu d’y voir un miroir où lire les oppositions, les déchirements, les suggestions. Loisible de découvrir à la suite des commentaires que les pressions en faveur d’un engagement militaire et policier ferme contre l’insécurité rampante sont désormais utilisée comme atouts par le pouvoir en place qui les traitait avec la plus parfaite mollesse. A l’imprévisibilité délibérée de cette stratégie, faite d’ambigüité et de surprise, avait précédée une autre qui la renforce ou l’affaiblie : la nomination de 17 gouverneurs militaires de régions, une cinquantaine de préfets et de sous-préfets.
Relents d’entraves aux libertés
Les doutes suscités par la mesure d’état d’urgence, si elle vise les objectifs sécuritaires et sanitaires, au milieu des dialogues de sourds instaurés avec la classe politique et les milieux syndicats, tout comme les variations imprévisibles du Conseil national de la transition dans le sillon qu’il s’était tracé, justifient les relents d’entraves aux libertés individuelles et collectives.
Elle pouvait engendrer un consensus national si elle avait fait l’objet de large concertation, mais son résultant le plus probant fut d’aggraver les divisions. Les organisations de la presse sont vent débout. Son de cloche différent du côté de l’ancien Premier ministre Moussa Mara accroché à l’argument selon lequel rien de nouveau sous le soleil. Le ministre de l’Administration et des collectivités territoriales ne fait que recourir à une disposition légale. Seulement, qu’il aurait dû faire l’économie des détails afférents qui ont certainement heurté des sensibilités.
L’état d’urgence, tout en créant des difficultés pour tous, peut améliorer la situation du pays, renforcer la tendance peu visible du gouvernement à combattre les djihadistes et à assurer la sécurité. Aux jeux de ceux qui applaudissent des deux mains la mesure, le gouvernement est disposé à plus de réalisme dans l’appréciation du péril et de subtilité dans les actions à conduire sur le terrain afin de minimiser les effets néfastes tant redoutés.
Les citoyens, du point de vue de quelques personnes rencontrées au hasard dans les rues, acceptent volontiers de se plier à des exigences sécuritaires mais pas au prix de violations des libertés collectives et individuelles. Tout manquement grave et répété serait assimilé à une dictature militaire rappelant les années noires du régime du général Moussa Traoré.
Confiance en berne
La confiance et l’admiration que grand nombre de citoyens avaient eus au lendemain du renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta sont affaiblies par le déficit d’écoute des tenants actuels du pouvoir, vérifiable depuis le début de la mise en place de la transition. Qu’il s’agisse de la désignation du président de la transition, de la nomination du gouvernement et de la désignation des membres du Conseil national de la transition. La quasi-inaction contre les djihadistes qui ont encerclé Farabougou et étendu leur terreur sur plusieurs localités du pays alors que les militaires étaient occupés à se partager la dépouille de l’Etat renforçaient les conclusions que la dimension sécuritaire était le benjamin de leurs soucis.
Au milieu de ces convulsions dramatiques, les tombeaux des Askia, les promenades dominicales à pirogue ou à dos de dromadaire, les masques dogons ne fascinent plus les touristes qui boudent la destination Mali. Conséquence : les économies locales broient du noir, les finances de l’Etat sont en déroute. Et de lourdes menaces planent sur les exploitations agricoles de l’Office du Niger et le ravitaillement des zones de consommation que sont les centres urbains. Dès lors, les autorités considérées avec méfiance aujourd’hui, après avoir roulé dans la farine presque tous les partenaires, tentent de redorer le blason terni, provoquer une réaction mêlée d’admiration et de soulagement en se donnant tous les instruments efficaces au combat et mettant les dernières touches aux préparatifs de victoire fulgurante sur les ennemis.
Georges François Traoré
En cadré :
Le Conseil des Ministres s’est réuni en session extraordinaire, le vendredi 18 décembre 2020, par visioconférence, sous la présidence de Monsieur Bah N’DAW, Président de la Transition, Chef de l’Etat.
Après examen des points inscrits à l’ordre du jour, le Conseil a :
– entendu une communication ;
– et adopté un projet de texte.
AU CHAPITRE DES MESURES LEGISLATIVES ET REGLEMENTAIRES AU TITRE DU MINISTERE DE L’A
DMINISTRATION TERRITORIALE ET DE LA DECENTRALISATION
Sur le rapport du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, le Conseil des Ministres a adopté un projet de décret déclarant l’état d’urgence sur le territoire national.
La situation sécuritaire du pays est marquée par la persistance des actions terroristes et des risques d’atteinte grave à la sécurité des personnes et de leurs biens.
A cette situation sécuritaire s’ajoute l’expansion exponentielle de la maladie à coronavirus dans plusieurs villes du pays.
En vue de faire face à ces deux préoccupations majeures, l’état d’urgence est déclaré pour compter du samedi 19 décembre 2020 à zéro heure sur toute l’étendue du territoire national.
Le projet de décret adopté permettra ainsi aux autorités administratives compétentes :
– de réglementer ou d’interdire la circulation des personnes, des véhicules ou des biens dans certains lieux et à certaines heures ;
– d’instituer des zones de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ou interdit ;
– d’interdire le séjour dans tout ou partie d’une ou de plusieurs circonscriptions administratives, à toute personne cherchant à entraver de quelle que manière que ce soit l’action des pouvoirs publics ;
– d’interdire, à titre général ou particulier, tous cortèges, défilés, rassemblements et manifestations sur la voie publique.
Bamako, le 18 décembre 2020.
Source : L’informateur