Une fois cumulées, la nouvelle loi électorale et la Charte de transition révisée ouvrent une brèche qui permet théoriquement à l’actuel président de briguer la magistrature suprême.
Au Mali, le Conseil national de Transition (CNT), l’organe législatif provisoire, a adopté le vendredi 17 juin 2022, une nouvelle loi électorale qui permet, une fois cumulée avec la version révisée de la charte de transition datant de février dernier, au colonel Assimi Goïta de se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Cette possibilité n’a pas fait l’objet de débats houleux, lors de l’adoption de la nouvelle loi électorale par le CNT qui a apporté 92 amendements au projet proposé par le gouvernement, sur un total de 219 articles.
Au moment où se dessine le chronogramme de retour à l’ordre constitutionnel normal dans notre pays, c’est un véritable pavé que la société civile a jeté dans la mare, alors que toute l’attention des acteurs était portée sur les divergences entre le gouvernement et le Conseil national de transition (CNT) concernant la nouvelle loi électorale adoptée le 17 juin dernier par l’organe législatif de transition et qui vient d’être promulguée par le chef de l’État. Il s’agit de l’éligibilité des militaires au terme de la transition en cours à Bamako. Une nouvelle disposition chargée de poudre à canon, qui risque de mettre le feu aux poudres, si l’on n’y prend garde, étant entendu qu’au départ, il n’était pas question que les dirigeants de la transition puissent prétendre à un quelconque poste électif au terme de leur intérim. De fait, la Charte de la transition interdit clairement au président de se présenter aux prochaines élections censées signer la fin de sa mission.
Le colonel Assimi Goïta a définitivement tombé le masque
Mais la subtilité est qu’aux termes de la nouvelle loi, la possibilité est offerte aux militaires membres des organes dirigeants de la transition, de se présenter à condition de rendre leur démission quatre mois avant la tenue des élections. Aussi, la version révisée de la charte adoptée le 21 février 2022 par le CNT prévoit aussi qu’en cas de vacance de la présidence de la Transition « pour quelque cause que ce soit » c’est le président du CNT qui le remplacerait.
En bloc, le cumul de la loi électorale et de la charte de transition amendée rend possible la candidature d’Assimi Goïta à la prochaine présidentielle s’il démissionne à la fois de la Présidence et de l’armée, quatre mois avant la date du scrutin.
Lors du vote de la nouvelle loi électorale (115 voix pour, 3 contre et aucune abstention), cette probabilité n’a pas été évoquée. Le débat s’est essentiellement cristallisé autour de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), dont la composition a été largement modifiée sur fond de divergences entre le CNT et le gouvernement. De 7 membres, dont 4 nommés par le Premier ministre dans le texte initial proposé par le gouvernement de Choguel Kokalla Maïga, la composition de l’AIGE est passée à 15 membres, dont trois nommés par le président et un seul par le Premier ministre. Les partis politiques et la société civile doivent en désigner sept. Les autres sont nommés par divers pouvoirs publics.
« L’acte que nous venons de poser est historique. Nous venons de doter le Mali d’une nouvelle loi électorale. Ce n’était pas gagné d’avance, le chemin était parsemé d’embûches, mais nous y sommes parvenus », s’est félicité le colonel Malick Diaw, président du CNT.
Le fait est que cette nouvelle disposition serait sans doute passée inaperçue dans l’océan des amendements que la loi électorale a subis, n’eût été la vigilance de la Mission d’observation des élections au Mali (Modèle Mali), composée d’experts de la société civile, qui a relevé la supercherie dans son dernier rapport. On voit donc venir Assimi Goïta. Et l’on peut même se demander si ce n’est pas à dessein que le débat était focalisé sur les autres points de divergences entre l’Exécutif et l’organe législatif, à l’effet de faire passer insidieusement la pilule. Toujours est-il que le scénario qui se dessine, et l’on en serait pas étonné, est de voir le locataire du palais de Koulouba larguer les amarres de la transition à quelques encablures de la prochaine présidentielle, pour se porter candidat. D’autant que dans la version révisée de la charte, le terrain a été balisé de sorte qu’en cas de vacance de la présidence de la transition « pour quelque cause que ce soit », le président du CNT, qui n’est personne d’autre que son frère d’armes, le colonel Malick Diaw, puisse le remplacer. Si ce n’est pas une façon d’assurer ses arrières pour mieux franchir… le fleuve Djoliba à la conquête du fauteuil présidentiel dans une volonté de légitimation de son pouvoir par les urnes, cela y ressemble fort. Mais le pari paraît risqué. Et pour Assimi Goïta, et pour le Mali.
En attendant, le moins que l’on puisse dire, c’est que le colonel Assimi Goïta a définitivement tombé le masque. Mais en donnant l’impression de jouer le jeu pour finalement montrer un tel visage de malignité, Assimi Goïta ne rend pas service au Mali. Car, au-delà de la mauvaise foi et de la volonté manifeste de conserver le pouvoir, c’est une loi très explosive qui expose son pays à d’énormes risques de déflagrations internes.
Assimi Goïta gagnerait à marcher sur les pas du général ATT ou encore du colonel Salou Djibo
Et la classe politique et la société civile ne devraient pas tarder à tirer les longs couteaux. D’autant qu’en dehors de cet amendement, des voix s’élevaient déjà au sein de la classe politique, notamment le M5-RFP, pour « suggérer au président de la transition de ne pas promulguer la loi amendée par le CNT », arguant du fait que la presque centaine d’amendements apportés par le CNT « dénaturent profondément » le texte initial. C’est dire si la nouvelle loi est loin de faire l’unanimité, et comporte en elle-même les germes d’une crise pré et post-électorale d’envergure. Mais, si à la crise sécuritaire déjà très préoccupante, devait s’ajouter une crise politique qui pourrait davantage exacerber les tensions sociopolitiques, on se demande si Assimi Goïta n’aurait pas creusé la tombe du Mali, en promulguant une telle loi. Car, non seulement ça risque de cailler au propre comme au figuré à l’interne avec tous les risques de voir fuir les partenaires, mais cela pourrait ne pas arranger non plus les rapports du pays avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui est toujours en attente de signaux positifs pour lever ses sanctions. Le Mali n’a pas besoin de ça. Dans le contexte actuel qui est le sien, il a plutôt besoin d’aller à ces élections dans la sérénité, avec l’accompagnement de la communauté internationale pour l’aider à sortir de la mauvaise passe qu’il traverse. C’est le seul combat qui vaille pour les dirigeants de la transition. C’est pourquoi, s’il veut entrer dans l’histoire par la grande porte et c’est tout le mal qu’on lui souhaite, Assimi Goïta gagnerait à marcher sur les pas d’aînés comme le général malien Amadou Toumani Touré (ATT) ou encore le colonel nigérien Salou Djibo. Deux officiers supérieurs restés célèbres dans l’histoire pour avoir su rétablir la démocratie dans leurs pays respectifs au terme des transitions qu’ils ont menées à la suite de coups d’État. Toute chose qui ne l’empêche en rien de revenir plus tard sur la scène politique. Mais s’il choisi le scénario à la Guéi, ce général ivoirien « venu balayer » le palais présidentiel pour mieux s’y installer, l’histoire pourrait se charger de lui rappeler que les mêmes contorsions politiques conduisent toujours aux mêmes résultats désastreux. Ce serait bien dommage.
Jean Pierre James
Source : Nouveau Réveil