Les charmes du diable (12) : Désir réprimé

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Sous les dehors brillants d’une femme comblée par la vie, la déchéance morale était immense. A force de vivre au contact de sa belle-mère l’épouse de son frère était incapable du moindre élan de générosité, de l’aimer. Il habillait son désir réprimé sous un déguisement de rêve.

Quatre violents coups de marteau, précédés du labeur d’une scie à métaux, faisaient sauter les verrous. La porte s’ouvrait. Aussitôt le maître et son apprenti faisait le chemin à l’envers, sans rien demander. La prestation de service était gracieuse.

Les jeux de Bina se mouillaient d’une larme de joie, de reconnaissance. Il franchissait la porte d’un air calme, ferme, tournant et retournant ses lunettes noires entre ses doigts de la main droite. Son destin était scellé. Si les fluctuations douloureuses avaient propulsé du plomb dans le cœur de son frère Sory, il se serait fort de consoler la femme éplorée. Même s’il était allé en quête d’un eldorado dans le pays de cocagne, il espérait colorer cette aventure en disparition funéraire dans le sable chaud du désert ou au fond des océans… et épouser celle qu’il aimait discrètement.

Ses attentions pour Korotoumou, la pitié subite qu’il allait donner à son malheur, le soin qu’il espérait aller au devant de ses moindres désirs se chargeraient de vaincre ses éventuelles réticences. Korotoumou  n’étant plus soutenue par l’espoir de retrouver un jour son mari. Ainsi, lui pourrait s’installer dans la luxueuse villa bâtie au village. De sa mansarde en banco à la villa cossue, la vie lui sourirait, lui tendait ses bras moelleux. Du fenestron du salon, il se contenterait de répondre par un hochement de tête aux salutations intéressées des passants, ces admirateurs qui n’oublient point dans leurs bénédictions kilométriques de jouir un jour d’un tel privilège. Eux pouvaient toujours rêver, oubliant qu’il était plus facile de faire passer un dromadaire par le chat d’une aiguille que de leur faire quitter du tréfonds de la misère pour les hisser au firmament du bonheur. Mais, le rêve n’est nullement interdit.

L’habillage venu du cerveau

Bina commençait à envisager les réactions des autres. Jusque-là, il s’était centré sur son propre plaisir égoïste. Lui qui avait subi une rude éducation, passé par les étapes d’initiation bamanan au korè, namakorokoun, komo ne devrait tomber dans le piège humiliant de la spontanéité, de la précipitation qui empoisonne la vie. Il devrait se conformer aux convenances, histoire d’échapper aux pressions sociales. « Tu peux faire ceci ; tu ne peux pas faire cela ; ceci est bien ; cela est mal ; ceci est moral ; cela ne l’est pas ; etc. » En clair, l’éducation de l’homme y avait intégré des interdictions, ou des permissions.

Bina songeait à renoncer volontairement et consciemment à son désir condamné par ses convictions de faire passer son frère de lait pour mort dans le double dessein de coucher dans le lit moelleux et de parader dans le salon feutré. Son désir réprimé, son cerveau se chargeait de l’habiller autrement, mais sous un déguisement de rêve. Sous nos tropiques, les rêves sont considérés comme avertissements ou conseils divins. Il est possible que la prémonition existe, il est possible que l’avenir, déjà décidé aujourd’hui se présentent à certaines personnes sous des conditions diverses.

Affalé dans le lourd fauteuil disposé près du lit dans l’entrepôt, il était avalé par un sommeil, réparateur de la nuit blanche. Le rêve s’était présenté sous forme de symbole. Bina haïssait son frère. Poussé plus loin, il était logique que la haine de Bina consécutive à la disparition de son frère allât jusqu’au désir – conscient ou inconscient – de voir enfin éliminer Sory, donc mort. Or, d’après l’analyse si la tristesse muée en haine était consciente, le « désir de mort » était inacceptable par sa morale.

Le rêve paraissait d’une implacable simplicité. Bina se trouvait dans une chambre dorée. Sur la table était placé un cercueil ouvert. Son frère entrait dans la chambre, se dirigeait vers le cercueil. Sory regardait longuement Bina, crachait par terre et entrait dans le cercueil où il se figeait comme un cadavre. Bina commençait de rire… et se réveillait épouvantée.

Catastrophe conjugale

La richesse, le luxe n’apportaient pas tout : il aurait fallu une tendresse discrète. Et, sous les dehors brillants d’une femme comblée par la vie, la déchéance morale était immense. A force de vivre au contact de sa belle-mère, qui était la mère de Bina, elle était incapable du moindre élan de générosité, d’aimer le frère de son mari d’un amour sincère. A la différence de son frère dont la fortune tenait lieu de blason, lui était pauvre comme un rat d’église.

Fanta était au bord d’une catastrophe conjugale lorsqu’elle avait lâché à plusieurs reprises à des années d’intervalle un torrent de mots. « Je n’en peux plus, je suis épuisée moralement et physiquement … jamais mon mari ne prend ma défense quand sa mère m’attaque … il se tait, il n’ose pas et pourtant je sais qu’il m’aime… mais je vais en arriver à le détester… il est semblable à sa mère… on dirait qu’elle a déteint sur lui… sa mère ne cesse de me critiquer,  de dire que je dois m’habiller comme ceci, que je dois cuisiner comme cela…elle est toujours derrière moi… elle me surveille… je n’ose pas répondre sinon c’est la bagarre avec elle et mon mari… si mon mari a le moindre bobo, cela semble être ma faute… elle semble croire que je ne le soigne pas assez… ce sont sans cesse des insinuations à ce sujet… me lever le matin devient un vrai cauchemar quand je pense que je dois passer toute la journée avec  elle et que mon mari ne rentrera que le soir, voire deux ou trois fois  dans le trimestre… elle fourre son nez dans tout… mon mari a peur… même ses médicaments traditionnels sont infusés par sa mère, y compris le choix de nos habits de fête… faire sa bouillie tous les matins est toute une histoire comme si j’étais une incapable complète… je suis dans un état de colère rentrée qui me vide… »

L’intimité est chose délite à réaliser et demande énormément de compréhension. Or, il n’y a pas de compréhension réelle sans équilibre et disponibilité d’esprit. Le mariage exige l’amour, non pas l’amour de soi, mais de l’autre. Des femmes et des hommes arrivent au mariage avec certaines notions dures comme du béton : la cohabitation avec les beaux-parents s’apparente aux portes de l’enfer qui s’ouvrent. Sans omettre la propension de ces derniers de tout contrôler.

Bina se sachant autoritaire pouvait s’accommoder d’une femme faible ou d’une femme enfant, qu’il pouvait « protéger » et dominer. Une autoritariste cherche généralement un homme enfantin, timide, etc. En vérité le cortège de mariages manqués est long et triste. Car très souvent un compromis boiteux maintient la situation sur l’agressivité, sur les rancœurs, sur les mépris.

A suivre

Georges François Traoré  

Source : L’informateur

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