Lettre ouverte à Monsieur Bah N’Daw, président de la transition, chef de l’état : Poser les bases d’une gouvernance vertueuse au Mali

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Konimba Sidibé, président du MODEC
Konimba Sidibé, président du MODEC

Monsieur Le Président de la Transition,

Beaucoup de Maliennes et de Maliens se posent aujourd’hui la question suivante:

Le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) et les autorités de la transition (le Président et le Gouvernement de transition) sont-ils sur la voie de poser les bases d’une gouvernance vertueuse au Mali ?

Au regard de tout ce qui s’est passé depuis le début de cette transition, la réponse est clairement non.

Qu’on ne nous dise pas que cette question est prématurée car chaque journée perdue à ce sujet est une victoire des corrompus et corrupteurs qui sont à l’assaut de l’appareil d’État, depuis la chute de l’ancien Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, pour préserver le système. Ces gens sont dans la logique du «toujours plus» car «Ils n’en ont jamais assez pour en avoir trop eu». La Transition n’a jusqu’à présent montré aucune volonté de rupture avec ce système inique qui a détruit notre pays et privé notre jeunesse d’avenir.

Demande forte du peuple malien, la gouvernance vertueuse est l’un des cinq (05) piliers de la refondation du Mali dont les quatre (04) autres sont un ancrage durable du pays dans la paix, la sécurité et l’unité nationale, la consolidation du système démocratique, la consolidation de l’État de droit (dont la bonne distribution de la justice), et l’amélioration des conditions de vie des populations.

Mais au fait, de quelle gouvernance vertueuse s’agit-il ?

Une gouvernance épurée de la corruption sous toutes ses formes qui est la cause majeure de la situation actuelle du pays en raison de son impact sur tous les compartiments de la gestion des affaires publiques. Une gouvernance qui place au cœur de l’action publique la probité, la compétence, le professionnalisme, le mérite et l’engagement au service des populations et l’impartialité des agents de l’État.

Poser les bases de cette gouvernance vertueuse renvoie dans l’immédiat à nettoyer l’appareil d’État des dirigeants corrompus, à les traduire devant les tribunaux pour mettre fin à l’impunité, et à faire la promotion des agents de l’État méritants et vertueux.

Qui sont ces dirigeants corrompus ? Ces anciens ministres, anciens députés, Gouverneurs, Préfets, et autres directeurs de structures publiques qui ont mis l’État en coupe réglée à des fins personnelles et/ou partisanes (la famille, le clan, le parti politique, etc.). Ceux-là mêmes qui ont exercé leurs fonctions dans l’appareil d’État pour en tirer un profit personnel et/ou à d’autres fins privées au détriment de l’intérêt général.

Ils ont érigé le népotisme, le clientélisme et le détournement de biens publics en systèmes de gestion:

– des ressources humaines de l’État (recrutements, formation, promotions, etc.);

– des ressources financières de l’État (mobilisation de recettes et exécution des dépenses publiques);

– des marchés publics et du patrimoine de l’État;

– de la fourniture des prestations de services publics.

Nettoyer l’appareil d’État de ces dirigeants corrompus c’est:

  1. Démettre immédiatement de leurs fonctions les cadres nommés sur la base de considérations partisanes sans considération du mérite et/ou privilégiant des intérêts privés (personnels, du clan, de la famille, d’un parti politique, etc.) dans l’exercice de leurs fonctions au détriment de l’intérêt général lorsque cela est avéré. Les concernés évoqueront l’argument de «chasse aux sorcières» pour s’y opposer, cela ne doit point être dissuasif dès lors qu’on est juste dans sa mise en œuvre.
  2. Nommer de nouveaux dirigeants compétents, intègres professionnels, impartiaux dont l’engagement pour le service public ne fait l’objet d’aucun doute. Cela est évidemment contraire à la politique du «pousses-toi que je m’y mette» pour se servir à son tour au détriment de l’intérêt général, une tare caractéristique de notre gouvernance publique depuis si longtemps.
  3. Veiller au moment de la constitution du Conseil National de Transition à ce qu’il ne serve pas de refuge à des corrompus ou corrupteurs, à l’instar de l’Assemblée nationale dissoute. Que ceux qui font preuve d’un grand activisme en ce moment pour la quête de ce refuge sachent que nous les avons compris et que tout sera fait pour leur barrer la route.
  4. Détecter et traduire immédiatement devant les tribunaux les corrupteurs et corrompus du processus de gestion des ressources publiques et du patrimoine de l’État. Cela passe par:

(1) Un traitement judiciaire diligent et efficace des faits constitutifs de délits et crimes économiques et financiers détectés déjà par les vérificateurs de la gestion publique ou qui le seront par les audits en cours ou préconisés ci-dessous. Sont déjà disponibles à cet effet de nombreux rapports établis par le Bureau du Vérificateur Général (BVG), la Section des Comptes de la Cour suprême, le Contrôle Général des Services Publics (CGSP), l’Office Central de Lutte contre l’Enrichissement Illicite (OCLEI), le Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières du Mali (CENTIF), les Inspections des départements ministériels, etc.).

En l’absence de la Haute Cour de Justice constituée de députés élus, il doit être acté que les Pôles économiques et financiers des Tribunaux sont compétents pour tous les dossiers de délits et crimes économiques commis dans la gestion des affaires publiques. D’ailleurs cette institution surannée qu’est la Haute Cour de justice créée par les élites pour se protéger entre eux doit disparaître avec la révision de la Constitution.

(2) La mise en œuvre immédiate d’un programme d’audit portant sur:

–  la gestion de toutes les Institutions de la république (pour l’exemple car c’est le sommet de la gestion publique): Président de la République, Assemblée nationale, Gouvernement (Primature et départements ministériels), etc.)

– la situation des finances publiques et la dette publique intérieure;

–  les grands organismes personnalisés de l’État: la CMDT, EDM, PMU Mali, Agence de Gestion du Fonds d’Accès Universel (AGEFAU), INPS, CANAM, etc.)

– la cession du patrimoine de l’État (le patrimoine immobilier en particulier).)

Rien ne prouve pour le moment que le CNSP et les autorités de la transition aient pris ces voies car:

– de nombreuses nominations effectuées (aussi bien au sein du gouvernement qu’à d’autres niveaux) sentent encore un fort relent de népotisme et ne rassurent donc pas;

– les auteurs, commanditaires et complices des tueries de manifestants par le régime de IBK d’une part, et d’autre part les auteurs de délits et crimes économiques et financiers vaquent librement à leurs affaires sans être inquiétés et certains d’entre eux occupent encore des hauts postes dans l’appareil d’État. Ils attendent tranquillement les élections générales de fin de la transition pour reprendre le pouvoir en usant des milliards d’argent public volés et de l’appareil d’État.

Monsieur Le Président,

Faute de résultats convaincants sur ce chantier de la gouvernance vertueuse comme sur les quatre autres de la refondation du Mali, vous allez perdre la confiance du peuple et des patriotes maliens. Or c’est de cette confiance (et non celle du Collège qui vous a nommé évoquée dans votre discours d’investiture) dont vous avez besoin pour réussir la transition de rupture avec le système de gouvernance de IBK et son régime attendue par le peuple malien. À défaut, ce sera une transition «pour rien» comme celle de 2012-2013 dont les maliennes et les maliens ne veulent absolument pas.

Le peuple malien attend de vous le respect de votre parole donnée dans votre discours d’investiture, une parole qui a valeur de serment de Président exprimée comme suit:

«Je ferai tout pour que l’impunité zéro soit la norme.

L’argent public est sacré et je ferai en sorte qu’il soit dépensé, de manière traçable et raisonnable. Avec tous les sacrifices que cela comporte, en termes de mesures systémiques et de répression des crimes et délits économiques.

Tous les dossiers d’enquêtes réalisées par nos structures de vérifications seront transférés au juge, au besoin. Il m’appartiendra de garantir à la justice les moyens de diligenter leur traitement.

Je serai toujours disponible pour servir le Mali.

Je suis prêt au sacrifice, prêt au sacrifice suprême pour que le Mali redevienne le Mali de nos rêves et de nos potentialités».

Monsieur Le Président,

Vous avez forcé l’admiration du pays tout entier, lors de votre investiture en faisant ce serment, un serment tenu par le grand soldat que vous êtes aux yeux du peuple malien.

Si vous le respectez, le peuple malien et tous les patriotes du Mali seront les soldats de cette grande armée au service de cette grande cause de la transition.

Si vous en déviez, je crains fort que vous ne les trouviez au grand complet sur votre chemin plus que jamais déterminés à sauver et refonder le Mali.

Que Dieu vous guide dans la voie de l’honneur et du Salut du Mali.

Je vous remercie de bien vouloir prendre en considération ce message et vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la transition, l’expression de ma très haute considération.

Konimba SIDIBÉ, Ancien Ministre, Ancien député, Président du MODEC, Membre du Comité Stratégique du M5-RFP

Bamako le 02 Novembre 2020

Source : Inter de Bamako

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