Le titre de notre article pourrait sembler étrange, pour la simple raison qu’il n’existe, pour le moment, qu’une seule ville de Kidal au Mali, qui se trouve être sa 8è région administrative. On peut dire qu’elle a fait couler beaucoup d’encre pour des raisons que nous trouvons inopportunes de rappeler ici. Et les évènements de ces derniers jours ont montré que sa reprise par les FAMa était un évènement que tout le monde attendait.
Ainsi, le 14 novembre dernier, l’opinion nationale et internationale, à travers un communiqué officiel du Président de la République du Mali, apprenait la reprise de Kidal par les Forces Armées Maliennes. Des scènes de manifestation, spontanées, de joie ont été observées à l’intérieur et hors du pays. Les commentaires sont unanimes. Tout le monde attendait la libération et le retour de Kidal dans le giron malien. Restée plus de 10 ans hors du contrôle des autorités maliennes, la ville de Kidal était devenue non seulement l’épicentre de la crise sécuritaire, mais surtout le symbole hypothétique de l’unité et l’intégrité du pays. Sans oublier de rappeler que cette situation constituait aussi une menace de faite pour les pays frontaliers.
Oui, Kidal est libérée. Et certains parlent déjà de tout ce qui doit être entrepris par les autorités de la Transition pour le retour à la normalité dans ces zones qui étaient sans aucun contrôle de l’État. Ils ont peut-être raison. Cependant, il reste encore des “Kidals” qu’il faudra libérer, sinon tous les efforts consentis au niveau militaire tomberaient à l’eau. Ces “Kidals” sont moins territoriaux que symboliques. On peut dire que leur non-libération a aussi eu une grande conséquence sur ce qui est arrivé il y a de cela quelques années. Quels sont ces “Kidals” ?
Ils sont connus de tous, même s’ils deviennent de plus en plus la norme au Mali. De fait, il y a un risque qui guette le malien, disons le Mali, et qui est devenu peut-être son mode de vie, son habitude. En effet, le malien est en train de s’habituer à une certaine vie de prise d’otages du denier public. Il est fier de se dire héritier des grands empires ou des grands hommes qui ont forgé la vie de la Nation. Il est fier de faire appel à la charte du Kouroukanfouga. Cependant, la question est de savoir si ses aïeux sont fiers de lui aujourd’hui. Reflète-t-il vraiment ce que furent ce dont il se réclame ? Une chose est sure, ce qui faisait la honte du malien d’hier est devenu la fierté et la gloire du malien d’aujourd’hui. Un grand homme du pays, de vénéré mémoire, Seydou Badian Kouyaté disait ceci “Au temps de Modibo, le malien avait honte de voler. Au temps de Moussa le malien craignait de voler. Aujourd’hui c’est une fierté pour l’homme malien de voler”. Le vol, on pourrait le dire est normalisé et institutionnalisé. Le vol ou le détournement ou la corruption, l’avidité de l’avoir et du pouvoir sont devenus monnaie courante. Ce sont ces “Kidals” qui doivent être libérés aujourd’hui. Les rapports, de chaque année du Vérificateur Général, fait état des irrégularités, des détournements, des vols, non des milliers de francs, mais des milliards. À cela il faut ajouter d’autres contrôles faits par les structures hiérarchiques compétentes. Comment, dans un pays dit très pauvre, un certain nombre d’individus peut se donner le plaisir de s’accaparer, aussi facilement et de façon illégale et irresponsable, de la part de millions de personnes, les laissant dans une situation de misère sans que les auteurs de ces crimes ne soient inquiétés nullement ? Ne dit-on pas que lorsque la Justice fuit par la fenêtre, le vol et l’impunité entreront royalement par la porte. Malheureusement telle est la réalité du pays. Face à cette triste réalité, feu Mgr Luc Sangaré, de vénérée mémoire, dans un de ses messages au Président feu Moussa Traoré, exprimait son ras-le-bol en ces termes : “dans ce pays, quand le filet est jeté, il n’attrape que les petits poissons, mais les gros arrivent toujours à sortir des mailles”. C’est triste de constater que les petits, les sans défenses sont constamment piétinés alors que les gros poissons continuent de jouir de tous les honneurs qui leur sont dus tandis que le citoyen Lambda croupit dans la misère.
Il est important de noter que ces pratiques contrastent totalement avec les valeurs prônées par nos ancêtres dont le malien d’aujourd’hui est fier. Les ancêtres, dont le malien d’aujourd’hui se réclame, avaient comme valeur la loyauté, la sincérité, le patriotisme, l’intégrité, l’honnêteté, la droiture, etc. Ces valeurs sont sur les lèvres du malien d’aujourd’hui, mais très loin de son cœur. À quoi cela sert de se glorifier quand on n’est pas capable de faire le peu de ce qui a été fait ? Les anciens disent “ Ni i fa yèlèla jiri min kan, ni i ma se ka yèlè o kan, i sigi a koro. O cogo la, ni mogow ye i ye, u n’a fo ko: ni a jigin to tè a yèlèto do.” (L’arbre sur lequel est monté ton père, si tu ne peux pas le grimper, assois-toi au moins en dessous, de sorte que quand les gens te verront, ils diront : s’il n’est pas descendu, il est en train de monter.).
Que faut-il faire ? Comment peut-on y arriver ?
L’expression Malikura (Mali Nouveau) ne saurait être une réalité que si le MalienKura (Le Nouveau Malien) sort des usines ou laboratoires qui seront mis en place. Jésus l’a signifié à ses disciples en ces termes “Vin nouveau, outre neuve” (Cf. Mc 2, 22). Il sera très difficile, voire impossible de coudre du nouveau tissu sur du vieux. À ce niveau, il faut savoir oser se détacher du vieux tissu afin de coudre le nouveau. Une chose est certaine, qui veut faire des omelettes est obligé de casser des œufs, autrement, il risque de ne jamais en manger.
Aussi, convient-il de préciser que le Mali traverse aussi une crise d’ordre anthropologique. L’homme malien est devenu tout autre. Cela est observable dans tous les domaines. C’est pourquoi nous disions dans notre article sur https://voixdebamako.com/la-refondation-du-citoyen-malien-dabord/ « qu’il ne peut y avoir de refondation de l’État sans la refondation du citoyen Malien. » On peut dire que la situation est alarmante, mais non désespérante. Il est fort intéressant de noter le courage et l’enthousiasme des milliers de jeunes filles et garçons qui se sont mobilisé, devant les centres de dépôts de dossier en vue du recrutement lancé par le Ministère de la Défense ainsi que celui de la Sécurité et de la Protection Civile. Si dans les années 1994 et suivant, le slogan était “le Mali ne fera plus de guerre” en réduisant ainsi l’armée à un lieu de refuge et de gagne-pain, aujourd’hui, la dynamique est tout autre. Le sentiment d’appartenance à un pays occupé et en guerre, et celui de s’engager pour aller le libérer constitue une prise de conscience qui nous autorise à nourrir un sentiment d’espoir pour le futur. De nos jours, nombreux sont les Maliens, particulièrement les jeunes, qui sont animés par la conscience de collaborer activement et loyalement à la construction du pays. C’est l’effet d’un choc qui est en train d’opérer une remise en question de la situation actuelle. Cette nouvelle prise de conscience démontre plus le désir de participer à la construction du bien commun qu’un simple motif de gagne-pain. Cela devrait être également pour ceux qui veulent concoururent pour la fonction publique. C’est un autre pan de la vie de la Nation. Le pays est tenu par plusieurs piliers dont entre autres la politique, le social, l’économie et la défense. Que ceux qui souhaitent s’y engager par le canal de l’administration, comprennent qu’ils n’y vont pas pour enfoncer davantage le clou de nos malheurs, mais plutôt pour y être des défenseurs intrépides de notre bien commun qui n’est autre chose que le Mali. Le Président de la Transition en s’adressant à la société Civile disait : “Nous n’avons que ce Mali. Que ça marche ou non, nous n’avons pas d’autre patrie que le Mali”. Alors engageons-nous pour sa libération. Et cette libération commence par moi, par toi. Cette libération est avant tout mentale et morale. Cela permet une conversion permanente de mentalité. Ne faisons pas de notre Nation une vache laitière où chacun peut venir s’approvisionner sans vergogne. Elle est au contraire cette tendre mère à qui il faut donner tout l’amour pour qu’elle continue d’enfanter d’autres dignes fils et filles capables de la hisser à son sommet le plus haut possible. C’est mon devoir. C’est ton devoir. C’est notre devoir. Alors, unissons-nous solidement pour la libération totale de tous les « Kidals » de notre pays, afin que la devise de notre cher Mali UN PEUPLE – UN BUT – UNE FOI devienne une réalité à jamais.
Ab Benoit DEMBELE