Dans l’affaire dite des bérets rouges, la Cour d’appel vient de déclarer le 15 mars 2021, l’action publique éteinte contre Aya SANOGO et co-accusés, sur la base de l’amnistie de la loi n°2019-042 du 24 juillet 2019 portant loi d’Entente nationale. Au-delà des passions qui entourent ce verdict pour le moins controversé, la question fondamentale dans cette affaire est de savoir si la loi d’Entente nationale en question avait été conçue pour tous, pour les rebelles ou pour les putschistes ?
S’agit-il d’une loi d’amnistie liée aux seuls événements de la rébellion de 2012 ou incluant ceux du contrecoup d’Etat de 2012 ?
Si la Cour d’appel a déjà tranché, l’argumentaire à la base de son verdict qui se fonde sur la loi d’Entente nationale est loin d’être convaincant. On peut même dire que la Cour d’appel est totalement passée à côté. En réalité, le champ d’application de la loi n°2019-042 du 24 juillet 2019 portant loi d’Entente nationale ne couvre ni le coup d’Etat, encore moins le contrecoup d’Etat de 2012.
Plusieurs éléments attestent éloquemment que la loi d’Entente nationale n’est applicable qu’aux seuls événements liés à la rébellion armée de 2012.
« Je ferai initier un projet de loi sur l’entente nationale qui proposera l’exonération de poursuite de tous ceux impliqués dans une rébellion armée », dixit IBK.
Le Président IBK lui-même, l’initiateur de la loi d’Entente nationale, n’a jamais fait mystère du fait que ladite loi s’abreuve aux sources de la rébellion armée de 2012, de l’Accord d’Alger de 2015 et de la Conférence d’entente nationale de 2017. Déjà à l’ouverture de cette Conférence d’entente nationale, IBK plante le décor dans son discours d’ouverture en déclarant qu’elle était destinée à sceller l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Mali, selon les termes mêmes de l’Accord d’Alger.
Celui-là même qui a initié la loi d’Entente nationale, est encore plus explicite dans son discours de nouvel an 2018, où il a reconnu s’inspirer de la Charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale issue de la Conférence d’entente nationale ayant dégagé des mesures pour consolider la paix, reconstruire l’unité nationale et conforter la réconciliation nationale.
IBK cite en particulier « les mesures spéciales de cessation de poursuite ou d’amnistie en faveur de certains acteurs de la rébellion armée de 2012 ». Il n’est pas question ici de contrecoup d’Etat de 2012 !
C’est au regard de ces recommandations que le Président IBK déclare : « Je ferai initier dans les semaines qui viennent un projet de loi sur l’Entente nationale. Ce texte proposera notamment :
– L’exonération de poursuites de tous ceux impliqués dans une rébellion armée, mais qui n’ont pas de sang sur les mains ;
Des mesures d’apaisement après l’accélération des procédures en cours et les réparations accordées aux victimes reconnues ;
Un programme de réinsertion pour tous ceux qui déposeront les armes et s’engageront publiquement à renoncer à la violence ».
Toujours pas question de contrecoup d’Etat !
La loi d’Entente nationale aux dires du Président IBK, « offre une possibilité de réinsertion à ceux qui se sont laissés entrainer dans la contestation armée, mais qui n’ont pas commis l’inacceptable et qui manifestent un repentir sincère ».
IBK précise enfin que la loi d’Entente nationale n’a rien de spécifiquement malienne, puisque rappelle-t-il, « plusieurs Etats de par le monde ont pratiqué une démarche similaire dans les situations de conflit ou de post conflit ». Qui dit mieux ?
Toujours aucune allusion à un quelconque contrecoup d’Etat de 2012 !
L’article 1er de la loi d’entente vise les seuls crimes et délits en relation avec l’accord d’Alger qui est « le fondement et le cadre »
L’exclusion du coup d’Etat et du contrecoup d’Etat de 2012 du champ d’application de la loi d’Entente nationale est consacrée par ses propres dispositions pertinentes.
Le cas de l’article 1er crève tellement les yeux qu’on n’ose certainement pas, sans doute par gêne, y jeter le regard : ” L’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé à Bamako les 15 mai et 20 juin 2015 entre le gouvernement du Mali et les Mouvements signataires, est le fondement et le cadre de la présente loi”.
Il ressort clairement de sa lecture que l’article 1er de la loi d’Entente nationale ne vise que les crimes et délits en relation avec la crise du Nord qui « en constitue le fondement et le cadre ».
Les « évènements liés à la crise née en 2012 » vise à l’article 3 de la loi d’entente ne concernent nullement le contrecoup d’état
La formulation de l’article 3 de la loi d’Entente est la suivante : « Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux faits pouvant être qualifiés de crimes ou délits, prévus et punis par le Code pénal malien, les lois pénales spéciales et les conventions et textes internationaux ratifiés par le Mali en matière de protection et de promotion des Droits de l’Homme, survenus dans le cadre des évènements liés à la crise née en 2012 et qui ont gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale ».
Cet article qui est de la même veine que l’article 1er citant d’emblée l’Accord d’Alger comme « fondement et cadre » de la loi d’Entente nationale, doit être lu, interprété et appliqué fidèlement dans le même esprit. C’est l’article 1er qui imprime sa définition aux « évènements liés à la crise née en 2012 » cités à l’article 3.
Les « évènements liés à la crise née en 2012 » évoqués par l’article 3 ne peuvent pas se situer dans un autre contexte que celui de l’Accord d’Alger qui constitue le fondement et le cadre de la loi d’Entente comme stipulé en son article 1er
Prétendre que ces « événements liés à la crise née en 2012 » sont ceux du contrecoup d’Etat, au motif que c’est à la suite de ce contrecoup que les faits poursuivis sont survenus et qui, en ayant opposé deux corps de la même armée, ont « gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale » procède véritablement d’une interprétation erronée de la loi d’Entente et surtout de son article 1er qui en fixe strictement le champ d’application.
Le champ couvert par l’article 3 est lié aux seuls évènements liés à la crise de la rébellion née en 2012 et qui ont effectivement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale.
Le contrecoup d’Etat de 2012 ne peut pas venir subitement, au mépris de l’article 1er de la loi d’Entente, se supplanter à la crise de la rébellion née en 2012 et s’auto proclamer comme attentatoire à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale.
C’est plutôt l’éclatement en 2012 des événements de la rébellion armée qui a « gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale ».
Le champ d’application de l’article 3 de la loi d’Entente nationale dont l’Accord d’Alger constitue « le fondement et le cadre », n’a rien à voir avec le coup ou contre-coup d’Etat militaire de 2012.
Ce n’est pas non plus parce que le Protocole d’accord signé entre le gouvernement et les parties civiles indique expressément les bérets rouges et renvoie à l’article 3 que l’on peut fouler au pied le champ d’application de la loi d’Entente nationale tel que limité par son article 1er. La référence du Protocole à l’article 3 de la loi d’Entente ne tient pas la route.
Le coup d’état ou contrecoup d’état a ses propres qualificatifs légaux
Les « évènements liés à la crise née en 2012 et qui ont gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale » doivent être compris dans le sens des exactions de la rébellion armée de 2012 qui a débouché sur l’Accord d’Alger.
Le contrecoup d’Etat de 2012 quant à lui, portent d’autres qualificatifs légaux que celui « d’évènements liés à la crise née en 2012 ».
Comme l’attestent les lois qui le concernent et qui diffèrent de la loi d’Entente, le putsch et contre putsch de 2012 n’est pas désigné par l’expression « d’évènement liés à la crise née en 2012 ».
Le coup d’Etat est plutôt qualifié de « Faits survenus lors de la mutinerie ayant abouti à la démission du Président de la République », de « Mutinerie ayant abouti à la démission du Président de la République » (loi 2012-020 du 18 mai 2012) ou de « Mouvement insurrectionnel du 22 mars 2012 » (loi 2012-025 du 12 juillet 2012).
Au total :
La loi n°2019-042 du 24 juillet 2019 portant loi d’Entente nationale initiée par IBK pour « exonérer de poursuites les personnes impliquées dans la rébellion armée et pour offrir la possibilité de réinsertion à ceux qui se sont laissés entrainer dans la contestation armée » ne peut servir d’exutoire au contrecoup de 2012.
L’article 1er de la loi d’Entente confirme de manière expresse son périmètre d’application délimité par les bornes de l’Accord d’Alger qui en est « le fondement et le cadre ».
Enfin, les « évènements liés à la crise née en 2012 » tels que mentionnés à l’article 3 de la loi d’Entente, ne sauraient être interprétés et avoir de sens qu’au seul regard de l’Accord d’Alger visé à l’article 1er et de la rébellion armées de 2012 qui, au contraire du contrecoup de 2012, a « gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale ».
La porte par laquelle s’est effectué le passage en force du contrecoup de 2012 dans le champ d’application de la loi d’Entente nationale est une porte dérobée. En quelque sorte, c’est par effraction que le contrecoup de 2012 a fait irruption dans le champ d’application de la loi d’Entente nationale. Cette infraction ne doit pas rester impunie.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
Source : L’Aube