M5-RFP : Les religieux et l’unité nationale, comment décomplexer le débat !

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Souleymane Kone
Souleymane Kone

C’est aux Maliens de sauver le Mali, c’est pourquoi ils sont debout sur les remparts pour faire démissionner leur chef de l’Etat ainsi que les y invite l’hymne national du pays. Sous cet angle, on peut douter que l’intervention en cours de la CEDEAO puisse faire grand-chose.

Le Mouvement du 5 juin -Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) est un large mouvement, plus que « Antè A Bana » (Front du refus) qui a empêché la révision constitutionnelle en 2017. Il inclut toutes les forces politiques et sociales en éveil. Il est un vaste regroupement composé de Maliens de toutes origines, de religions, d’une centaine de partis politiques, des syndicats dont deux centrales, de plusieurs centaines d’associations et de plateformes de la société civile et aussi de personnalités patriotiques nationales.
Ses membres et dirigeants ont assumé les plus hautes responsabilités de l’Etat (Premiers ministres, ministres, présidents d’institutions, députés, ambassadeurs, officiers, Généraux de l’armée à la retraite, maires, avocats, directeurs généraux, professeurs d’enseignement supérieur, professions libérales, etc.) ou ont réussi à la tête de très grandes entreprises privées.
Personne au Mali ne semble contester la légitimité de ses revendications, y compris les Médiateurs de la CEDEAO et les milieux diplomatiques, seule l’idée de la démission de IBK pose interrogation à certains.

Le M5-RFP ne se veut pas une force d’opposition, il est une force de sauvegarde nationale, c’est-à-dire une plateforme de lutte pour la survie du Mali. Que IBK ait échoué, qu’il ne puisse plus diriger le Mali tant sa crédibilité personnelle est atteinte, cela tombe sous le sens. On peut même toucher des mains la faillite de sa gouvernance et le déclin d’un Mali qu’il abîme chaque jour un peu plus. Jamais un Président et son clan n’ont autant pillé le pays : une armée sous-équipée, quotidiennement livrée à la mort, des Généraux milliardaires, la banalisation de la mort de soldats dans une guerre entretenue à des fins de conservation du pouvoir et d’enrichissement personnel ; le même schéma est conçu pour les conflits intercommunautaires et ethniques au Nord et au Centre du pays. Dans ce décor, les élections, cheval de bataille de la CEDEAO, sont devenues une impasse depuis 2018. Plus personne ne croit à la voie électorale comme mécanisme de changement de la société ou de dévolution du pouvoir.

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que Soumaïla Cissé a battu IBK dans les urnes, mais le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga et le ministre de l’administration territoriale de l’époque Mohamed Ag Erlaf, ont falsifié les procès-verbaux des élections dans les zones cotonnières, ils ont laissé aux groupes armés le soin de bourrer les urnes au Nord et au Centre.
La Cour constitutionnelle, comme pour les élections législatives actuelles, a blanchi toute cette forfaiture de l’administration électorale. Les comportements et les différentes interventions des Etats voisins et de la communauté internationale, en occurrence la France, la CEDEAO et l’Union européenne, ont conforté les citoyens dans cette conviction que les élections ne jouent plus leur rôle de régulation politique et d’intégration sociale.

Au bout du compte, IBK exerce un pouvoir de fait. Il n’a aucune légitimité, toute légalité de ses actes est douteuse. C’est ce qui fait que personne, aucun Malien, ne s’autorise à assister indifférent ou en spectateur à la destruction du pays.

En sept ans d’exercice du pouvoir, chacun a pu se rendre compte que le pouvoir IBK est une stratégie d’échecs permanents, d’humiliation et de désintégration de la nation au quotidien, et aussi de destruction de tous les piliers du pays. Il ne règne que par la tension, il est constamment dans une stratégie du chaos là où le pays ne souhaite qu’une alternance pacifique. De tout cela, la CEDEAO est informée, c’est elle-même qui, en octobre 2018, avait recommandé aux acteurs politiques de s’abstenir d’organiser tout scrutin avant de procéder à des réformes profondes du système électoral.

C’est la réalité de la destruction de l’unité nationale qui fait bouger la plupart des acteurs en ce mouvement. La gouvernance IBK a livré le Mali aux porte-parole ethniques. Ceux-là qui font de l’appartenance à une ethnie un programme de promotion sociale et politique, dans un pays où l’identification ethnique est le plus souvent artificielle. Le Mali est ce pays de brassage dont les racines profondes nous proviennent des empires du Ghana, du Mandé et du Songhaï, etc., qui ne s’est jamais porté aussi mal. Au fil des siècles, l’imbrication des différentes traditions ont forgé une culture nationale unique en Afrique de l’Ouest. Mais, sous nos yeux, cette nation se délite, les régions se replient, à l’intérieur de chaque région des groupes se forment et se recroquevillent, les ethnies et les communautés se cabrent face à l’Etat.

Le Mali semble se détourner de son histoire faite de brassage, l’un des meilleurs que l’Afrique de l’Ouest n’ait jamais connus.

Par l’instrumentalisation d’une gouvernance erratique, les racines ethniques et communautaires repoussent plus que jamais. Une longue liste de préjugés se réveille et sépare de plus en plus les Maliens. L’esprit de l’entrepreneuriat ethnique s’installe lentement, avec plus d’assurance, les terroirs s’organisent, on ne sait vraiment pour quelle bataille.
Dans le combat pour conjurer cette sinistre perspective, certains voudraient que l’on fasse le tri catégoriel des Maliens. Selon eux, les leaders religieux devraient y être exclus pour une meilleure tranquillité des esprits acquis à la laïcité.

Les religieux et l’unité nationale, comment décomplexer le débat ?

Ceux d’entre les Maliens et/ou les Africains qui ne voient dans le M5-RFP qu’un mouvement religieux triomphant se trompent de lecture de la société d’aujourd’hui. Les leaders religieux, toutes tendances considérées, n’abordent aucun thème qui n’ait été traité par les forces politiques et la société civile non capturée, dans les mêmes termes. Le mérite des leaders musulmans, c’est d’être plus audible aujourd’hui, parce que le pouvoir en place a cultivé la futilité de toute opposition politique démocratique dans le système.
Alors, face au désir ardent d’émancipation, de libération de toutes espèces de servitude dans la société, des acteurs non conventionnels sont devenus plus présents dans ce combat, même si rien ne garantit le succès à eux seuls. Aussi, l’intervention des leaders musulmans sonne-t-elle à tout le moins comme une intervention citoyenne, ou plus comme un air de « théologie de la libération », ce mouvement qui, dans les années 80 et 90, a sauvé les sociétés sud-américaines de la misère et des dictatures militaires. En effet, d’après Gustavo Gutierrez, «la théologie de la libération dit aux pauvres que la situation qu’ils vivent n’est pas voulue par Dieu » et qu’ils sont invités à se battre pour la transformation de leur société. La théologie de la libération est un courant de pensée théologique chrétienne venu d’Amérique latine, suivi d’un mouvement socio-politique, visant à rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus et en les libérant d’intolérables conditions de vie. C’est grâce à cette philosophie combinée au combat des forces de progrès que l’Amérique latine a pu transformer ses sociétés et chasser des dictatures sanguinaires et des démocraties de façade, et surtout donner un contenu social plus prononcé aux politiques publiques. L’Afrique, comme dans un déterminisme historique, se refuse à sauter les étapes de développement politique de l’Amérique latine. Alors, une partie de la jeunesse musulmane pourrait porter ce courant aujourd’hui au Mali, de même que celle catholique au Togo, en RD Congo etc., pour ne citer que les expressions les plus avancées de ce courant sur le continent.

Les forces populaires doivent se décomplexer par rapport à cette question de l’islam militant sur notre continent et qui est loin de se confondre au courant djihadiste importé chez nous par ceux-là mêmes qui se posent en donneurs de leçons. Tout a été fait pour maintenir notre pays à genoux devant toutes sortes d’occupations. Alors, libérer le Mali de ses agresseurs, de ses propres prédateurs, voire de ses cauchemars, n’est-il pas un impératif national ? Devant la dégradation absolue des conditions d’existence dans notre pays, quelle est la catégorie socio-professionnelle qui ne s’est pas fait entendre d’une manière ou d’une autre ? Quelle catégorie de Maliens pourrait-on décemment exclure du débat national sur la sauvegarde de la nation ?

La refondation du Mali impliquera cette ingénierie sociale qui fera que l’élite arabisante et l’élite francophone ne se regarderont plus en chiens de faïence.

Dans l’analyse de la dynamique sociale, nous semblons très souvent oublier que l’école est au cœur de la bataille qui se déroule sous nos yeux. La refondation de l’école est donc le premier jalon de la libération du Mali. L’échec de l’élite actuelle est le résultat du néocolonialisme avec son décor de paternalisme français qui vise à entretenir une élite dite experte, technocratique totalement coupée des couches populaires. Ce faisant, des élites, principalement au sein de l’éducation nationale, nanties d’un caractère vénal à toute épreuve, n’ont de cesse de fabriquer des discours de consommation des financements étrangers et détacher ainsi l’éducation nationale de sa base sociale. Dans cette quête de rattachement de notre système éducatif au néocolonialisme, plus on avance, plus le système exclut les enfants issus des milieux populaires. Le résultat de cette démarche, le Mali paie la coexistence de deux types d’écoles qui forment deux catégories de Maliens, chacune se drapant de valeurs et de références spécifiques, en particulier les prétendues élites occidentales et celles arabisantes.

Or, la vérité est que ces deux écoles, en formant deux types de citoyens, ces citoyens affrontent le même et seul problème dans le pays aujourd’hui : la souveraineté du pays et la survie de la nation.
Nous sommes dans un pays où ceux qui sont dans les charges publiques ignorent royalement les partis politiques, les organisations autonomes de la société civile, comme acteurs de gestion de crise, de captation de la colère et des demandes sociales. Ce faisant, ils n’ont pu donner aucune capacité à la nation pour se défendre contre ses agresseurs, ni en matière d’organisation politique, encore moins en capacité militaire. C’est un fait qu’IBK a détruit ce que le Mali avait comme acquis le plus précieux : l’unité nationale. Aucun homme politique n’a autant exacerbé les tensions ethniques et communautaires, seuls comptent dans son système les porte-parole ethniques. Il a également détruit toutes les légitimités nationales traditionnelles, griots, familles fondatrices, leaders religieux, etc. En somme, il a décrédibilisé tous les mécanismes de médiation nationale.

Comment s’étonner, dans ce contexte, que les Maliens peinent à se parler ? Il y a longtemps que le pouvoir IBK a effacé la République, sa lettre et son esprit, au Mali. Ainsi, le fils adoptif est nommé président de l’Assemblée nationale. Le fils biologique est, de fait depuis six ans, en réalité chef d’état-major et ministre de la défense, en plus d’être nominativement président de la commission de défense du Parlement. Et le père de la femme du fils biologique est nommé à la tête de la Haute Cour de justice chargée, semble-t-il, de juger les ministres et le chef de l’État, après avoir fait 5 ans à la présidence de l’Assemblée nationale. Que reste-t-il de la république et de la séparation des pouvoirs ?

Il s’y ajoute que toutes les institutions sont en panne ou ont leur mandat expiré. C’est dire que le problème malien n’est pas électoral, il est encore moins juridique, il s’agit de sauver une nation, un pays dans sa diversité, par la restauration de ses piliers cassés par une gestion scandaleuse. Quiconque ignore cette grille de lecture n’est pas dans la solution et c’est le cas de la CEDEAO dont les bricolages juridiques et institutionnels, et surtout les compromissions politiques, en ajoutent à la crise. On comprendrait mieux si la CEDEAO avait proposé, à défaut de s’inscrire dans la recherche de conditions de départ d’IBK, un referendum-révocation sous certification internationale. Mais vouloir imposer un mandat de fraude au peuple malien reste un déni de réalité et de justice.
La démission d’un tel pouvoir incapable et corrompu devient une exigence démocratique. Le départ d’IBK est la solution la plus crédible, ses modalités peuvent être convenues.
Certes, cette démission ouvrira la boîte de Pandore en Afrique de l’ouest, mais cela n’est-il pas le destin du M5-RFP que d’être un nouveau pacte citoyen dans l’espace CEDEAO, le mouvement qui fait la jonction de toutes les légitimités politiques et sociales pour libérer nos États et sociétés ? Tel semble être l’enjeu du combat politique des Maliens…

Souleymane Koné

Ancien Ambassadeur

Source : L’aube

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