Madani Tall est un ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale. © DR
Le président Ibrahim Boubacar Keita a été officiellement reconduit dans ses fonctions le 20 août dernier, avec 67,16 % des suffrages. Pour les cinq ans à venir, il aura la lourde tâche de poursuivre et d’appliquer sa vision de la construction d’une économie émergente qui via des réformes, des politiques économiques mais aussi sociales devront lui permettre de redresser le pays. Durant son précédent mandat et malgré une situation sécuritaire qui s’est détériorée et reste préoccupante, le pays a enregistré de bonnes performances économiques avec un taux de croissance qui, même s’il a ralenti ces deux dernières années, avoisine les 5 % et devrait se maintenir à moyenne échéance, selon les prévisions de la Banque mondiale.
Néanmoins, malgré cette reprise économique, de nombreux défis restent à relever, comme la refonte structurelle d’une économie fragile et donc contraignante ou la réalisation d’une croissance économique forte et inclusive. À l’aune de ce nouveau mandat et pour mieux comprendre les forces, les faiblesses de l’économie malienne et les défis qui attendent le président IBK nouvellement réélu, Le Point Afrique s’est entretenu avec Madani Tall, économiste, homme politique malien, ancien conseiller économique du président de la République du Mali Amadou Toumani Touré, qui a joué un rôle-clé dans la croissance rapide du Mali au cours des années 2000, et qui officie aujourd’hui comme associé-gérant chez Mast Economic Engineering, une société internationale de conseil en finance et stratégie.
Le Point Afrique : Sur quoi repose la structure de l’économie malienne ? Quelles sont ces forces et ses vulnérabilités ?
Madani Tall : Comme toute économie, elle repose avant tout sur les hommes et les femmes du pays, sur leur capacité productive, leur productivité et leur savoir-faire.
« La réponse classique serait de dire l’or et le coton, or les exportations tous secteurs confondus ne représentent en réalité que 20 % du PIB qui est estimé à 13,5 milliards de dollars américains. »
Sommairement, le Mali est une économie orientée sur la production et consommation interne avec comme principaux secteurs l’agriculture qui représente 57,6 % du PIB et contribue à 42 % de sa valeur ajoutée. Enfin, l’industrie contribue à 18,1 % à la valeur ajoutée du PIB, mais la croissance de cette valeur ajoutée industrielle n’est que de 0,3 %… Ce qui signifie que la valeur ajoutée de l’industrie en termes de contribution au PIB est très forte (production 8,4 % et valeur ajoutée 18,1 % soit presque le double). Mais que cette forte contribution elle-même ne progresse que très peu. Ce qui signifie qu’il y a très peu de gains de productivité et dans une moindre mesure peu de création industrielle. La plus grande faiblesse de notre économie réside sur le fait de ne pas se reposer sur l’innovation et l’amélioration des compétences.
Quels sont les enjeux économiques du pays à l’aune de l’élection présidentielle ?
Ils demeurent les mêmes depuis toujours : aller vers la productivité plutôt que la production, aller vers l’irrigation plutôt que d’attendre la pluie comme Samuel Beckett attendait Godot. Aller vers la compétence plutôt que le relationnel. Miser sur la jeunesse et la rendre contributrice.
Depuis que le pays est sorti de la crise de 2012, l’économie malienne repart, elle est jugée performante avec un bon taux de croissance. Quels sont les facteurs qui ont permis cette reprise économique ?
Je ne pense pas que le pays soit sorti de la crise étant donné que deux tiers du territoire échappent encore au contrôle de l’État. Ce problème n’est pas résolu et demeurera une épée de Damoclès sur notre économie tant qu’il perdure. Quant à la croissance, elle est organique : le PIB croît de 5 % par an et la population de 3,6 %, faites la différence et il ne reste plus grand-chose. Pourtant, il s’agit moins de contrôler la démographie que de mieux produire. Au lieu de cela, il y a le gaspillage, la négligence et l’incompétence qui font plus de tort à une économie que la corruption ou le manque de ressources.
À quel niveau est le risque de surendettement du pays et parvient-il à maîtriser cet endettement ?
La dette de l’État est stable à environ 35 % du PIB, ce qui est loin du surendettement. Une économie comme la France connaît une dette frisant 100 % du PIB sans pour autant qu’elle ait la même marge de croissance. Alors le surendettement pour un pays comme le Mali, crise ou pas n’est pas actuel.
Quels risques seraient susceptibles de compromettre cette bonne santé financière ?
Cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse parler de bonne santé financière étant donné que l’économie tourne en deçà de son potentiel réel. Les facteurs pouvant aggraver ou maintenir cet état de sous productivité sont décrits plus haut. Il faudrait ajouter à ceux-ci le manque de leadership étant donné que nos économies sont sujettes à l’aptitude de l’équipe dirigeante à émuler le développement.
Est-ce que le pays parvient à maîtriser le taux d’inflation mis à mal durant la crise de 2012, qu’en est-il aujourd’hui et comment maîtrise-t-on ce taux ?
Le taux d’inflation n’est pas un problème au Mali puisqu’il s’inscrit dans les critères de convergence de l’Uemoa, elle est maîtrisée par la Banque centrale. Le vrai problème est l’inflation informelle que les indicateurs peinent à voir, mais que la ménagère ressent dans son panier quotidien.
Quelles réformes macroéconomiques et microéconomiques prioritaires devrait mettre en place, pour ce nouveau mandat, le président de la République pour redresser le pays ?
Cela demande en premier chef une réforme de l’État lui-même et de sa manière d’interagir avec l’économie, l’investissement et le secteur privé. Continuer à faire tourner l’économie par passation de marchés sans politique keynésienne en contrepartie est un suicide macroéconomique. Sur le plan micro, un État souhaitant se développer sans un tissu de PME performantes est une illusion microéconomique. Le fait est que non seulement l’État doit formaliser le secteur qui ne l’est pas en créant une proto-industrie qui amènerait progressivement l’artisan à devenir chef d’entreprise et promoteur d’emplois, mais il devrait lui-même se transformer en banquier d’affaires de l’économie afin d’attirer l’investissement et le redistribuer dans le circuit. De plus, il est incroyable que le pays ne possède qu’un seul lycée technique et aucun lycée agricole, là où il devrait en avoir au moins un dans chaque cercle et car l’agriculture est le nerf de notre économie.
Comment se porte la situation des investissements étrangers dans le pays et comment rendre le pays plus attractif auprès des investisseurs ?
Les IDE ont constamment professé au Mali en 2002 (environ 50 millions de dollars américains) et 2011 année pic (environ 650 millions de dollars américains). Depuis fin 2011, c’est la chute libre. Et cela coïncide avec le début de la rébellion et l’assassinat de touristes allemands à Tombouctou en novembre 2011. Depuis 2015, le niveau d’IDE se situe entre 150 et 200 millions de dollars américains. Alors, il n’y a pas de secret les IDE ont chuté avec la rébellion et remonteront avec la paix, qui est la mission première de l’État. Cette paix est non seulement une mission à vocation politique et sociale, mais également économique.
Où se situe le Mali au niveau de l’indicateur de création d’entreprises par rapport aux autres pays de l’Afrique subsaharienne ?
Selon Doing Business, le Mali se situe toujours derrière la Côte d’Ivoire et le Sénégal et devant le Niger et le Burkina Faso. Cette situation stable s’explique par les réformes entreprises entre 2002 et 2011 afin de faciliter le parcours de l’entrepreneur et de l’investisseur. Toutefois, cette facilité demeure qualitative et ne signifie pas que plus d’entreprises viables se créent aujourd’hui au Mali. En réalité, tout reste lié à la paix et à l’aptitude du leadership à avoir une vision concrète sur la direction que doit prendre le Mali.
L’emploi demeure toujours un problème, par quel biais et avec quels types de réformes relancer l’emploi ?
Il n’y a pas mille réformes à par aider à la création d’entreprises viables qui sont les seuls viviers d’emplois pour les masses. Cela demande un État stratège et innovant.
Quelles sont les contraintes, aujourd’hui, pour accélérer l’industrialisation du pays ?
Le premier des freins est évidemment le manque de qualification et ensuite la petitesse du marché qui fait que l’import est plus économique que la fabrication. S’ajoutent à cela les coûts de facteurs, telle l’électricité. Et enfin la signature des APE (accords de partenariat économique) en 2014 avec l’UE qui, comme l’a dit le député français Lefort, « malgré les précautions actuellement envisagées par la Commission européenne, entraînera un choc fiscal, agricole, industriel et sur la balance des paiements d’une telle ampleur pour nos partenaires, qu’il pourrait compromettre la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, alors que l’Afrique subsaharienne souffre, dans ce domaine, de retards si inquiétants qu’ils constituent une menace pour la paix et la stabilité internationales ».
Qu’en est-il de l’orthodoxie financière du Mali notamment concernant la passation des marchés publics ?
Comme on le dit à Abidjan : « Ce n’est pas dans ma bouche que vous allez manger piment. »
Selon vous, les perspectives économiques dans les années à venir semblent-elles favorables ou défavorables pour le Mali ?
Elles sont favorables, car peu importe la faiblesse des dirigeants, peu importe les conditions initiales défavorables, le peuple malien est résilient et possède une culture millénaire du commerce et de l’artisanat alors il sera toujours promoteur de croissance, quelle que soit l’inaptitude de ceux qui dirigent. Aussi, pour peu que l’équipe dirigeante sache guider la pirogue, les résultats demeureront en battant un leadership qui saura stimuler le développement.