DÉBAT. Certains sont pour, d’autres sont contre. Chacun argumente, mais ce qui est questionné, c’est le type d’État dans lequel les Maliens sont prêts à vivre.
Dialoguer avec les djihadistes, est-ce une solution viable pour sortir le Mali de la crise sécuritaire qui n’en finit pas depuis 2012 ? De plus en plus de Maliens semblent en être convaincus. En deux ans, les points de vue ont sensiblement évolué sur cette question au Mali. Avant, ce dialogue était impossible à envisager mais, sous la pression des populations et à la suite de différents forums comme la Conférence d’entente nationale tenue en 2017, engager des discussions avec les principaux leaders djihadistes que sont Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa est devenu une demande forte. Jusque-là cependant, ce vœu n’avait pas été pris en compte.
Divergence de points de vue entre le Mali et la France
Mais au début du mois de décembre dernier, le 3 exactement, sur la chaîne de télévision française internationale France 24, le Premier ministre malien Moctar Ouane a fait bouger les lignes. Il a exprimé le souhait « d’engager le dialogue avec tous les enfants du Mali sans exclusivité ». Objectif : « Être en phase avec la volonté des Maliens et tenir compte des réalités nationales. »
La France, amie, alliée et partenaire militaire du Mali, s’était montrée jusque-là opposée à des négociations avec les « terroristes » avec qui « on ne discute pas » et « que l’on combat », pour reprendre les propos du président Macron dans un récent entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Une position que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait défendue en octobre dernier à Bamako, entraînant un désaccord avec son homologue malien. Celui-ci lui a rappelé le souhait de dialogue exprimé par les Maliens lors des concertations du Dialogue national inclusif.
Depuis, la France semble évoluer légèrement sur le sujet, la communauté internationale aussi. Un problème cependant : ce dialogue souhaité par les populations pour sortir de la crise sécuritaire qui sévit depuis huit ans dans le pays est bien loin d’être engagé. Malgré l’adhésion de personnalités maliennes du monde de la politique, de l’économie ou des arts, les contours et les modalités demeurent flous.
Des raisons de négocier avancées…
Pour Mossadeck Bally, fondateur et président directeur général du Groupe Azalaï Hotels, un dialogue est possible et souhaitable à condition qu’il se passe entre Maliens. « Il y a des Maliens qui ont pris les armes contre le pouvoir central. Je suis totalement favorable à ce que les autorités nouent un dialogue avec eux pour trouver des solutions et pour faire taire les armes », dit-il, avant de poursuivre : « Par contre, il faut absolument chasser les étrangers qui sont venus chez nous. On n’aura jamais la paix tant qu’ils vont utiliser le Mali pour mener leurs actions contre ce qu’ils appellent les mécréants, les puissances occidentales. »
Ces propos résonnent positivement pour Ali Inogo Dolo, maire de la ville de Sangha, haut lieu de la culture dogon dans le centre du Mali. Lui a signé un pacte de paix avec les djihadistes présents dans sa zone. « Il y a les djihadistes internationaux, mais il y a aussi des personnes qui profitent et de la situation et de la présence des djihadistes pour commettre leurs méfaits. Ce sont des Maliens. Ils ont approché les djihadistes pour avoir les moyens de faire leur combat personnel. Avec eux, on peut négocier, nous l’avons d’ailleurs fait. Mais avec les djihadistes étrangers, c’est beaucoup plus compliqué, car il faut savoir qui les commande et est donc responsable. »
Yehia Ag Mohamed Ali, chercheur, ancien ministre et conseiller à la primature, membre de la Convergence pour le développement du Mali (Codem), considère pour sa part que le pays fait face à une « insurrection » qui s’appuie sur l’islam contre la mauvaise gouvernance. Elle est animée par des Maliens même. « Aujourd’hui, ce sont Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa qui ont les clés. S’ils disparaissent, d’autres, que nous ne connaissons pas et plus radicaux, peuvent prendre leur place », dit-il, avant de conclure : « Tout conflit finit par une négociation. Et je crois que nous sommes à un moment où il faut négocier. »
Donc l’heure du dialogue serait arrivée. C’est ce que pense Yacouba Kébé, éditorialiste bien connu du journal Le Flambeau. « C’est la seule solution, dit-il, et ce pour deux raisons : la première, c’est que nous ne sommes pas prêts militairement aujourd’hui à défendre l’ensemble de notre territoire que nous ne contrôlons d’ailleurs pas entièrement. Notre armée qui monte en puissance, comme on a l’habitude de dire, a encore du chemin à faire. La seconde raison, c’est que nous sommes dans un pays où la parole et le dialogue sont des éléments culturels qui comptent beaucoup. C’est pourquoi je pense que nous devons très sérieusement envisager de négocier avec Iyad Ag Ghali ou avec Amadou Kouffa. » Et de poursuivre : « Si le Mali possède des leviers endogènes forts capables de porter ce dialogue et de permettre le pardon, il faut les saisir. Le dialogue tant espéré peut s’avérer plus complexe qu’on ne pourrait le croire. Les blessures peuvent d’autant plus être profondes que les années se sont écoulées et que populations et djihadistes se sont imbriqués. »
« Le cas du Mali est très particulier, parce que la crise économique pousse des personnes de différentes communautés à s’embarquer dans le djihadisme. Parfois, on a le témoignage de deux frères, l’un est terroriste, l’autre est dans l’armée », dit Awa Meité, créatrice de mode et designer. « À l’échelle locale, poursuit-elle, il y a des alliances familiales, communautaires. Que faire dans ce cas de figure ? Autrement dit, la question aujourd’hui est de savoir si on est prêt à négocier avec nos propres enfants ou à les combattre. »
… même si le front du refus persiste
Combattre les djihadistes, c’est justement ce que souhaite le colonel Abass Ag Mohamed Ahmed, ancien chef d’État-major de la Coalition pour la justice dans l’Azawad, un groupe armé à présent dissout et qui a rejoint l’armée malienne. « Dialoguer avec les djihadistes, c’est impossible ! » soutient-il. « D’abord, parce qu’il y a de la mauvaise volonté de la part des terroristes convaincus qu’ils ont l’avantage sur le terrain. Et çà, c’est un problème », ajoute-t-il. « Cela dit, même s’ils veulent dialoguer, je trouve inconcevable qu’un État accepte. Il ne faut pas oublier les dégâts qu’ils ont causés, les morts qu’ils ont provoquées et tout ce qui s’est passé par leur faute dans ce pays ou dans les pays du Sahel. Si vous leur tendez la main, il est sûr qu’ils vont la couper tôt ou tard, car leur doctrine est contre l’État et les Occidentaux », lance l’officier qui a perdu, du fait des terroristes, nombre d’hommes et de parents ces dernières années.
« Le Mali est aujourd’hui comme un grand malade auquel le médecin annonce qu’il a un cancer et qui est prêt à prendre tout remède qu’on lui propose », estime en préambule Chogel Kokalla Maïga. Le président du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) considère que les deux vraies questions sont les suivantes : « Que faut-il négocier ? Jusqu’où peut-on être prêts à faire des concessions ? » Et d’expliquer : « Le gouvernement n’a jamais dit aux Maliens ce qu’il faut négocier. Faut-il négocier la forme laïque et républicaine de l’État ? Je pense qu’à cette question, la majorité des Maliens vont dire « non ». Tout le monde sait pourtant que c’est une exigence non négociable des mouvements terroristes. Le gouvernement doit donner des pistes de réponses et de solutions à partir desquelles on pourra décider si oui ou non nous allons au dialogue. »
Pour Fahad Al Mahmoud, secrétaire général du Groupe d’autodéfense Touareg Imghad et Alliés (GATIA), l’occasion est donnée au Mali de lancer un vaste débat approfondi pour savoir ce que veulent les djihadistes, ce que les Maliens veulent défendre, et jusqu’où ils sont prêts à aller. « Je pense que nous devrions réfléchir sur la refondation de l’État et définir le type d’État que nous voulons, qu’il nous faut, que nous pouvons défendre », soutient-il.
Au détour de tous ces éléments, force est de constater que même si un consensus certain sur cette question du dialogue avec les djihadistes semble exister entre la population et l’État, les modalités du cadre ne sont pas définies ni la méthode pour aboutir. En guise de conclusion, l’artiste Awa Meïté indique qu’« avant de parler de dialogue, il faut parler de réconciliation ». Elle poursuit : « Les blessures sont profondes et il faut apaiser le climat. Nous avons besoin de cette réconciliation pour que les mots ne soient pas creux. Il faut qu’on arrive à se pardonner avant, mais c’est là que se situe le problème. »
Par Olivier Dubois, à Bamako
SOURCE: https://www.lepoint.fr/afrique/