premier quinquennat et six mois la magistrature suprême du pays, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, a battu tous les records en matière d’instabilité gouvernementale. Six Premier ministres, près d’une centaine de ministres, un nombre incalculable de conseillers et de chargés de mission se sont succédés dans le gouvernement et départements ministériels. Pour quel résultat ?
Les tâtonnements et les improvisations sont les caraterististiques principales de la gouvernance instauré par Ibrahim Boubacar Keita depuis son accession au pouvoir. Entre le 8 septembre 2013 et le 23 avril 2019, soit l’espace de 60 mois, le président IBK aura expérimenté 6 Premier ministres : Oumar Tatam Ly (5 septembre 2013 – 5 avril 2014), Moussa Mara (5 avril 2015 – 9 janvier 2015), Modibo Keïta (9 janvier 2015 – 10 avril 2017), Abdoulaye Idrissa Maïga (10 avril 2017 – 31 décembre 2017), Soumeylou Boubeye Maïga (31 décembre 2017 – 23 avril 2019) et Boubou Cissé depuis le 23 avril dernier. Conséquence ? Ce régime bat tous les records de l’instabilité gouvernementale, sans vraiment faire face (réellement) aux préoccupations des Maliens : insécurité généralisée (Nord, Centre…), blocage dans la mise en œuvre de l’Accord de paix (signé depuis mai 2015), mauvaise gouvernance, front social en perpétuelle ébullition.
Au contraire la gouvernance IBK a plongé le pays dans une grave impasse et dans une crise sociale sans précédente. La faillite d’IBK ? La situation sécuritaire qui se détériore chaque jour avec son cortège de morts de populations civiles (enlèvements, attaques ciblées, conflits communautaires etc.). D’Oumar Tatam Ly à Abdoulaye Idrissa Maïga en passant par Moussa Mara, Modibo Keita, Soumeylou B Maïga et Boubou Cissé, le président Keïta y est allé de ses mauvais choix aussi bien des chefs de gouvernement que des ministres qui ont habillé l’institution dans à peu près d’une dizaine remaniements ou réaménagements opérés. Aujourd’hui, la Cité administrative a reçu une nouvelle équipe gouvernementale pléthorique à peine sept mois du nouveau mandat. Mais déjà, la majorité des Maliens ne se font guère d’illusion et se pose une (seule) question : L’actuelle équipe gouvernementale pourra-t-elle faire mieux que les précédentes… ?
A quelle efficacité peut-on s’attendre dans un tel contexte d’instabilité gouvernementale et surtout avec un président réélu après des scrutins très contestés et sans un véritable programme de gouvernement ? Si l’on sait qu’à chaque retouche du gouvernement, les cabinets ministériels changent à près de 100% et les services rattachés à plus de 80%, l’on mesure l’impact dramatique de cette instabilité dans l’efficacité de l’action gouvernementale et la bonne marche des services publics. Les conséquences sont là : dysfonctionnement de l’administration, morosité dans les services publics avec leur corollaire de marasme économique, crise financière…
Oumar Tatam Ly : l’ambition de servir le Mali
Oumar Tatam Ly, un jeune et brillant cadre, a travaillé sur le programme économique d’Ibrahim Boubacar Keïta, candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM) à la présidentielle de 2013. Après avoir remporté le scrutin, celui-ci nomme l’économiste au poste de Premier ministre. Surprise ! Oumar Tatam Ly, inconnu dans le pays, ne s’était jamais engagé en politique et n’est pas lié aux régimes précédents.
Pour sa part, O T Ly venait à la Primature avec l’ambition de servir le Mali. Pour ce faire, il n’avait pas hésité à abandonner un juteux poste dans un organisme international.
Le premier gouvernement de l’ère IBK, annoncée le 8 septembre 2013, comprend 34 membres dont 4 femmes. Ce gouvernement s’est singularisé par son grand nombre de revenants, voire « grands revenants ». Bon nombre des ministres de ce gouvernement avaient déjà exercé des fonctions ministérielles ; dont plusieurs sous le premier mandat d’Alpha Oumar Konaré. Ainsi, ils ont signé leur retour, 20 ans après. Quid de la promesse de rupture promise par IIBK lors de la campagne ! Ensuite, beaucoup de ministres nommés étaient des alliés de la mouvance présidentielle ou encore… membres de la famille ou du clan.
En avril 2014, balloté entre les pressions des caciques du Rpm et les caprices de « La famille d’abord » le Premier ministre Oumar Tatam Ly a vite compris qu’il lui était difficile de mettre sa compétence au service de son pays. Il a tout simplement claqué la porte. C’est bien de cela qu’il s’agit contrairement à la campagne qui voudrait faire gober qu’il a été remercié…
En effet, les raisons que M. Tatam Ly a évoquées dans sa lettre de démission sont très claires : «Au regard des dysfonctionnements et des insuffisances que j’ai relevé dans la marche du gouvernement, qui réduisent grandement ses capacités à relever les défis se présentant à lui, il m’est apparu nécessaire, de lui imprimer, au sortir des élections législatives, dans un environnement institutionnel devenu moins favorable, des évolutions propres à lui conférer davantage de cohésion et à le doter de compétences accrues, lui permettant de mettre en œuvre les changements attendus par vous-même et par le peuple malien ».
Il poursuit : « Je n’ai pu vous convaincre de la nécessité de ces évolutions lors de nos entretiens des 2,3 et 16 mars ainsi que du 4 avril 2014. En conséquence, en considération de ces vues différentes, qui ne me mettent pas dans la position de remplir la mission que vous m’avez confié, je suis au regret de vous présenter ma démission du poste de Premier ministre du gouvernement de la République du Mali. ».
Cependant, le président de la République qui a eu confiance en OTL en lui mettant entre les mains le poste combien important de Premier Ministre, a constamment rappelé dans ses adresses à la nation, sa confiance en l’homme et à sa compétences.
En effet, en 7 mois, Oumar Tatam Ly a remis en place l’autorité de l’Etat, rebâtit les institutions de la République, lutter contre la corruption, démanteler la pseudo-République de Kati, mis l’administration au travail, démarré les négociations avec la rébellion. Il ne s’est déplacé que 2 fois à l’extérieur du Mali passant la plupart de son temps à son bureau sans avoir le temps de fréquenter ni famille, ni amis.
Ayant constaté qu’il n’a plus le soutien nécessaire pour continuer sa mission, il a préféré rendre le tablier. Quelle élégance, quelle humilité et surtout quelle dignité.
Mais au lieu de le féliciter, le saluer et le remercier pour le travail accomplit, on a tenté de le jeter en pâture. Peine perdue ! Les Maliens regrettent beaucoup aujourd’hui ce brillant cadre.
Moussa Mara : l’avion présidentiel et le désastre de Kidal
La nomination de Mara, après la démission de Oumar T Ly, était-elle un aveu d’impuissance du chef de l’Etat ? Ce changement à la primature est intervenu sept mois seulement après l’investiture d’IBK. En effet, le 5 avril 2014, Ibrahim Boubacar Keïta a été contraint de faire appel à Moussa Mara pour remplacer Oumar Tatam Ly.
Les faits ayant marqués le parcours de Mara à la primature ? C’est celui de l’avion présidentiel. Lors du débat sur la Déclaration de politique générale, le Premier ministre, Moussa Mara, a répondu à une question de l’opposition sur l’achat de l’avion.Une semaine après sa nomination, Mara forme un gouvernement de 31 ministres. Huit nouvelles personnalités font leur entrée. Aussi, plusieurs ministres de la précédente équipe ont conservé leur portefeuille.
Dans ses réponses peu convaincantes, le chef du gouvernement avait tenté de justifier cet achat par un dénigrement de l’ancien avion présidentiel. Mais dès le lendemain, un ingénieur de l’aéronautique apporta un démenti cinglant aux propos du chef du gouvernement. « Cet avion est bel et bien la propriété de l’Etat Mali immatriculé au nom de l’armée de l’air du Mali et acquis selon une procédure qui a associé l’aviation civile malienne et cela dans la plus grande transparence.
Des documents officiels sont là pour l’attester et si certains responsables étaient tentés d’en effacer la trace qu’ils sachent que des doubles existent et certaines personnes physiques sont prêtes à en témoigner face à tant d’ignominie et d’ingratitude… », avait écrit Tji Diarra.
C’est Moussa Mara qui informa les élus que le nouvel avion a coûté 20 milliards de F CFA, y compris les frais d’intermédiation. C’était un plus que ce que le président IBK avait dit devant nos compatriotes au Maroc (17 milliards de F CFA). Mara avait aussi dit aux députés que l’avion a été payé par emprunt et les élus se prononceront là-dessus dans le budget additif 2014. Conséquence ? Le FMI et la banque mondiale avaient pris des sanctions contre le Mali et ont demandé des explications au régime Ibrahim Boubacar Keïta.
Aussi, Mara, par pure populisme, voulait réaliser un grand coup. Il voulait réussir là où son prédécesseur a échoué en novembre 2013. A l’époque, l’avion de l’ancien Premier ministre, Oumar Tatam Ly, n’a pu atterrir à Kidal à cause des manifestations téléguidées par le Mnla. Mais, depuis son passage à l’Assemblée nationale, Mara l’avait dit : «J’irai à Kidal… ». Et, certains proches du Premier ministre préparaient déjà les esprits à cette visite à travers la presse. Ils ne se privaient pas d’établir le lien entre l’échec d’Oumar Tatam Ly et ce qui allait être la première grande réussite de Mara : une visite historique à Kidal.
Mara est connu pour être un expert-comptable. Mais les Maliens ont découvrent d’autres «qualités» en lui : Pour certaines mauvaises langues, c’est un populiste hors pair. Il n’a pas cessé d’envoyer des messages sur la toile durant cette visite mouvementée à Kidal. A quelle fin ?
En effet, la visite M. Mara à Kidal a précipité les forces armées maliennes dans une guerre aux conséquences désastreuses. Humiliation, perte de positions stratégiques et de crédibilité, prises d’otages, morts d’hommes… Au bout, une cinglante défaite. Le comble ? Moussa Mara a ensuite affirmé que «l’attaque lancée par l’armée malienne n’est pas venue de l’autorité politique»…
Confronté, tout au long de son parcours à la primature, à une fronde des caciques du RPM, le parti présidentiel, qui l’accusait de travailler pour son agenda politique personnel, Moussa Mara, le président du parti YELEMA, un seul député à l’Hémicycle, n’a pas non plus convaincu durant son séjour à la primature. Il est remplacé, le 9 janvier 2015, par Modibo Keïta, qui avait déjà assumé les mêmes fonctions en 2002.
Modibo Keïta : 3 gouvernements en 12 mois
Ce dernier forme son premier gouvernement le 10 janvier 2015. Il compte 29 membres. Et cette équipe se caractérisait notamment par le départ des ministres de la Défense, de l’Economie et de la Communication. Tous impliqués dans les scandales de l’achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires. Ces scandales avaient mis le Mali sous le coup de sanctions de certains bailleurs de fonds dont le Fonds monétaire international (FMI).
Modibo Keita, s’est singularisé en 3 ans passés à la Primature en formant 3 gouvernements en 12 mois. Inédit ! En effet, le 24 septembre 2015, en pleine fête de Tabaski, on assiste à un mini-réajustement du gouvernement avec quatre entrants : le Col-Major Salif Traoré, comme ministre de la sécurité et Sambel Bana Diallo à l’Aménagement du Territoire et de deux autres entrées, Mmes Marie Madeleine Togo de la Santé et de l’Hygiène Publique et Sanogo Aminata Mallé, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux.
Le 15 janvier 2016, un autre changement intervient à la cité administrative, où des ministres quittent le navire. Mamadou Igor Diarra cède le ministère de l’économie et des finances au profit de Boubou Cissé. Cheickna Seydi H.Diawara devient ministre des mines. Nango Dembélé et Kassoum Denon occupent respectivement les ministères de l’élevage et de l’agriculture au détriment du président du parti présidentiel ; Bocari Treta. Konimba Sidibé remplace Mamadou Gaoussou Diarra aux investissements et Aissata Founè Samake occupe le ministère de la recherche scientifique. Les raisons de ce changement étaient plus ou moins obscures et suscitaient des interrogations.
Enfin, le 7 juillet 2016, Modibo Keita a formé sa 3ème équipe. Deux faits majeurs retenaient l’attention : l’évolution de la taille du gouvernement qui comportait désormais 34 ministres (dont 8 femmes) contre 32 dans le précédent, ainsi que l’entrée des mouvements armés, notamment la Plateforme.
Abdoulaye Idrissa Maïga : le départ d’un homme intègre
Abdoulaye Idrissa Maïga, du ministère de la Défense, est nommé le10 avril 2017 Premier ministre. Avec 35 ministres, cette nouvelle équipe comptait deux ministres de plus que le précédent. Le gouvernement AIM a enregistré l’entrée de sept femmes.
Il n’y avait pas eu de grand changement concernant les ministères dits de souveraineté. Comme il n’y avait pas de changement notable dans la gestion des affaires de l’Etat.
Ainsi, le chef du gouvernement, Abdoulaye Idrissa Maïga a remis sa lettre de démission au président, le 30 décembre 2017…
AIM, connu pour son intégrité, a préféré quitter la Primature, par lettre datée du 29 décembre 2017, a présenté au Président de la République sa démission ainsi que celle des membres du Gouvernement conformément… Dans sa lettre, il a exprimé sa profonde reconnaissance au Président de la République pour lui avoir donné l’opportunité de servir le Mali pendant cette exaltante période à des niveaux de responsabilité aussi importants.
Aussi, Il a mis fin, en effet, à dix-huit années d’appartenance à une formation politique (le RPM) dont il a contribué à concevoir l’embryon depuis 2000… Ainsi, AIM a, en toute responsabilité, pris la distance avec le RPM. Dans son communiqué publié le 29 septembre 2018, il déclarait : « Après l’épisode de l’élection présidentielle du 29 juillet, j’estime en âme et conscience venu le temps de réorienter mon action au service du Mali à hauteur de mon engagement et au regard des défis auxquels reste confronté notre pays depuis le 17 janvier 2012 », avant d’annoncer : « En conséquence, j’ai décidé de mettre formellement un terme à mon adhésion au RPM ».
Soumeylou Boubeye Maïga : emporté par une motion de censure
Soumeylou Boubèye Maïga est nommé Premier ministre le 30 décembre 2017 par le président IBK. Il est alors le cinquième Premier ministre nommé par Keïta depuis son élection en 2013. Il est reconduit à ce poste lors de la réélection, très contestée, d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2018.
Sous le coup d’une motion de censure, Soumeylou Boubèye Maïga démissionne avec son gouvernement le 18 avril 2019. En effet, le premier ministre était très critiqué depuis l’échec de son « fameux » plan de sécurisation du Centre du pays et le massacre d’au moins 174 peulhs à Ogossagou, le 23 mars 2019. Aussi, dans un contexte d’insécurité et de malaise social, une très grande manifestation à l’appel du duo chérif M’Bouillé-imam Dicko, le 5 avril 2019, avait demandé un changement de gouvernance, précisément le départ du PM Soumeylou Boubèye Maïga.
Boubou Cissé (23 avril- ?)
Boubou Cissé, jusque-là ministre des Finances, est nommé, le 23 avril dernier chef du gouvernement par le président Keïta. Après une série de rencontres avec la classe politique (majorité et opposition) et la signature d’un accord politique, M. Cissé a formé son gouvernement, le dimanche 5 mai dernier, composé de 38 ministres. Mais, sa nomination intervient dans un contexte social très tendu (cascade de grèves dans plusieurs secteurs de l’administration) et une situation sécuritaire détériorée…
Ces différents remaniements n’ont jusqu’à présent résolvé en rien les graves questions auxquelles le pays est toujours confronté : insécurité grandissante, enlisement du processus de paix, mauvaise gouvernance, chômage des jeunes, malaise social. Sans doute, les solutions aux problèmes du Mali ne résident pas dans les replâtrages sans fin de gouvernement. Mais plutôt dans la volonté du président IBK à se départir des promotions et récompenses des membres de la famille, du clan et des alliés politiques.
Mohamed Sylla
Source: L’Aube