Mamadou Sinsy Coulibaly, président du groupe Klédu : « Aujourd’hui, la lucidité est devenue une dangereuse tare au Mali, exposant à l’opprobre, aux quolibets, voire à la vindicte populaire

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La fatuité du Premier ministre malien, encensée par une hystérie collective, ne tardera pas à produire nombre d’avanies. Habituée aux bravades et aux forfanteries, la junte de Kati, dans sa dynamique d’instrumentalisation de l’opinion, a transporté sur le toit du monde une image controversée d’un pays belliciste méprisant la bienséance et le dialogue dans ses relations avec les autres. Loin du Mali des Pères fondateurs et ancêtres que l’on revendique.

Assurément, son intervention marquera les annales des Nations Unies. Mais pas comme le croient ses thuriféraires, et il faut le reconnaître de nombreux Maliens, entraînés dans un délire collectif, pour ériger l’invective et l’opprobre en norme de relations avec les autres : le Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga, a fait du Mali, ce 24 septembre dernier à la tribune des Nations Unies, un pays d’insultes et d’attaques personnelles, privilégiant les affrontements et la confrontation systématique comme mode de culture populiste.

Le toujours porte-parole du gouvernement s’adressait moins au reste du monde, sidéré par la forfanterie et la longue et abondante faconde de l’émissaire de la junte malienne, qu’à l’opinion interne, où visiblement la gouvernance par la rue a depuis fait une fracassante entrée et se trouve durablement à demeure de sous les lambris de la République.

Un nivellement par le bas du discours politique malien

« On ne voit guère les oreilles du cheval qui vous désarçonne », assure un adage bien de chez nous ! Une partie conséquente de la communauté nationale, singulièrement urbaine et de surcroît de Bamako, paraît entraînée dans une sorte de débordement d’enthousiasme collectif au point certes de ne pas en percevoir les périls imminents, mais surtout de perdre les repères de ce qui avait été une nation policée. La mentalité d’assiégés, que les proconsuls de Kati ont instillée dans une partie de la nation, conduit dans un repli sur soi à exacerber les réflexes xénophobes et extrémistes.

Le discours du 24 septembre est plutôt révélateur du solide nivellement par le bas du discours politique malien et impacte mieux que n’importe quelle joute digne des oratoriens. Toutefois, l’effet pervers réside dans l’absence de profondeur et de maturité, car l’expression politique de la junte de Kati, portée au pinacle à l’ONU, ne porte et ne propose aucune perspective alternative, puisqu’elle n’est construite autour d’aucun des concepts intellectuels de la gouvernance et ne nourrit aucune culture nationale, hormis celle de l’incrimination, de l’exclusion par la prééminence de la dichotomie.

Un observateur sur les réseaux sociaux a récemment déclaré que la junte, depuis son avènement un certain 18 août 2020, a mis en honneur la haine et la rancune comme modèle de gouvernance, appuyée sur l’ascendance des métiers d’uniforme comme critère de mérite et d’accession aux fonctions régaliennes mais juteuses de la République de tous.

Ce n’est que par la faveur de la disposition de la létalité armée que la junte privilégie et s’incruste dans l’affrontement et le déni systématique de droits autres que celui de la force de la répression. Les proconsuls du Camp Soundjata excellent dans la division par la diversion, à travers des postures bravaches qui font l’économie de la confrontation aux difficultés réelles du pays.

Les fronts intérieurs ne manqueront cependant pas de se rappeler au bon souvenir du Mali, relatifs à l’insécurité, la mal gouvernance à travers le népotisme porté à son niveau le plus élevé, les pratiques de prévarications pourtant reprochées aux ‘’civils’’, etc. Le colonel Maïga vient d’en ouvrir la Boîte de Pandore, reste à savoir ce qui ne tardera pas à en sortir !

Réactions politiques mesurées

Pourtant, hormis quelques envolées révolutionnaires obsolètes, venues des proto-maoïstes de l’EMK du cinéaste Cheick Oumar Sissoko et ou de néophytes politiques adoubés par la junte elle-même, ce n’est pas le concert unanimiste qui l’emporte sur l’échiquier.

À défaut de désapprobation, la plupart des formations et leurs leaders ont adopté un profil bas, en insistant certes sur la sauvegarde de la souveraineté nationale, mais tout de même sur la préservation de la qualité des relations que le Mali avait toujours eues avec ses voisins et partenaires.

Aujourd’hui, la lucidité est devenue une dangereuse tare au Mali, exposant à l’opprobre, aux quolibets, voire à la vindicte populaire. Ne pas épouser la pensée unique dominante de soutien aveugle et inconditionnel aux proconsuls du Camp Soundjata, équivaut à ne ni aimer encore moins soutenir son pays. Une situation de chasse aux sorcières, érigée en modèle de relations politiques, qui confine nombre d’esprits lucides dans un douloureux exil intérieur.

Moussa Mara « déplore le ton belliqueux employé vis-à-vis de certains partenaires, particulièrement ceux de notre espace sous- régional et qui risque, malheureusement, de détériorer les relations de bon voisinage avec ces pays qui nous entourent », et d’aliéner au Mali nombre de soutiens pourtant indispensables.

C’est une occasion manquée, car, pour l’ancien Premier ministre, « le temps significatif consacré aurait pu être mis à profit pour mettre en évidence les préoccupations concrètes, réelles et fortes de nos compatriotes ainsi que les solutions envisagées pour leurs résolutions ».

Et même si l’ADEMA ne déroge pas à un soutien de convenance à la junte, l’ancien parti majoritaire n’en met moins pas un bémol avec la ligne belliciste ambiante, en faisant part de son attachement au panafricanisme et son souci des rapports de bons voisinages, tout en rappelant au pouvoir militaire, avec une once de perfidie, « la fin de la transition prévue le 26 mars 2024 par le transfert de pouvoir aux Autorités élues ».

Dans ce concert diffus, il faut reconnaître à Ismaël Sacko, du Parti Social-démocrate africain (PSDA), le courage de ne pas prendre de gants pour dire tout haut ce que nombre de politiques maliens, par peur d’être accusés d’apatrides, n’en pensent cependant pas moins bas. « Inconstance et immaturité au sommet de l’État malien (qui) desservent le Mali », dénonce ainsi avec lucidité ce leader.

Le summum de la mémoire sélective, note Ismaël Sacko

Le président du PSDA retient deux remarques majeures, dont l’euphorie collective passe sous un silence commode le caractère crucial. Ainsi, contrairement à son appendice extrémiste populiste et xénophobe instrumentalisé, empêché prudemment de manifester quelques jours plus tôt contre la force multidimensionnelle, le Premier ministre par intérim s’est confondu en satisfécits laudatifs envers la mission onusienne qui « a été félicitée, alors que les partisans de la junte malienne de la Bande des 5 colonels ont, à plusieurs reprises, manifesté pour mettre fin à la mission de la Minusma, annoncée pour le 22 Septembre », constate Ismaël Sacko.

Mais le summum de la mémoire sélective, note Ismaël Sacko, au cours de ses propos belliqueux tenus à la Tribune des Nations- unies, aura sans doute été le silence complet du Premier ministre du Mali sur le dossier des accusations serinées depuis des mois contre la France par les autorités militaires maliennes au pouvoir.

Le patron du PSDA note en effet « l’absence de preuves accusant la France de violations graves et de volonté de déstabiliser le Mali », alors que « depuis un mois, les autorités maliennes ont crié sur tous les toits qu’elles disposent des preuves lourdes, fiables et compromettantes contre la France ».

En effet, comme le rappelle le patron du PSDA, « une réunion d’urgence a été sollicitée par nos autorités sans suite », sur la base d’une lettre et d’un dossier annexé, que le ministre des Affaires étrangères avait adressée à l’ambassadeur Zhang Jun, Représentant permanent de la République de Chine auprès des Nations-unies, alors président en exercice du Conseil de sécurité de l’ONU.

Mais « à ce jour, aucun Malien n’a vu une once de preuves de ces accusations », même et en dépit des assurances pourtant données, mais certainement avec imprudence, par le Premier ministre par intérim peu avant son départ pour New York. Sur ce dossier pourtant important, l’absence d’appui des ‘’amis’’ russes et chinois, à travers leur silence, témoigne de l’isolement croissant du pays.

De toute évidence, le soliloque du toujours décidément disert porte-parole du gouvernement a fait plutôt dans le populisme facile, en surfant sur les omissions qui fâchent.

Mamadou Sinsy Coulibaly

………………………………………………………………………………………………………………………….Encadré :

Fractures et factures économiques : l’économie sacrifiée sur l’autel de l’égo

Le désastre de ce discours du 24 septembre n’est pas que diplomatique. Pour l’économie malienne, il en sera de même que ce que le désastre hitlérien a causé à l’Allemagne. Les méfaits de la sortie malencontreuse du Premier ministre intérimaire, avec cette attaque en règle contre plus proches voisins et partenaires d’aide et d’appui du pays, vont faire éclater en mille morceaux le tissu économique et financier du pays, selon les inquiétudes de cet opérateur privé qui sait d’ores et déjà que même l’informel, la soupape de la société malienne, peut en imploser.

Comme un effet d’entraînement, ce discours raté à la tribune des Nations-unies fera que les entrepreneurs maliens n’auront plus le sommeil. Ils sont désormais dans le désarroi parce qu’ils savent que l’investissement, surtout privé, gage de richesses et de création d’emplois, deviendra à jamais un leurre au Mali.

Il en résulte à coup sûr que le fait, pour la junte militaire au pouvoir, de s’en prendre sans ménagement aux pays voisins et aux partenaires les plus fiables, fera inéluctablement que la note du Mali, dans le domaine économique, sera déclassée au plus bas niveau.

Déjà, pays à risque élevé, le Mali vient d’entrer, depuis ce samedi 24 septembre, dans le cycle des gouvernances incertaines. La crédibilité de la parole était déjà sérieusement entamée avec les tergiversations de la junte de Kati autour de son éventuel départ ou non du pouvoir, une situation davantage confortée par l’affaire des 46 otages militaires ivoiriens.

L’opprobre et l’invective, désormais substrat des relations entre le Mali et l’extérieur, vont durablement miner le climat des affaires, ce dont nombre d’opérateurs économiques maliens appréhendent les incertitudes consécutives.

Pour un économiste averti, dans un tel contexte de défiance économique, la croissance économique, source du développement et du progrès humain, ne sera plus que tromperie

« La junte malienne, après une telle bourde monumentale, peut-elle nous faire sortir de ce monde imaginaire des choses espiègles, pour espérer vivre le monde réel qui nous entoure, où l’économie a force de loi ? », s’interroge cet investisseur privé malien qui s’alarme toujours sur ce que ce discours belliciste peut causer demain à notre existence. En raison, s’inquiète-t-il, du fait que l’interdépendance entre les pays, qui est jusqu’ici le ciment d’un monde de plus en plus globalisé et ouvert, s’en trouvera forcément effarouchée.

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