Fuyant les menaces d’attaques, plusieurs communautés ont quitté leurs villages pour trouver refuge dans la capitale, Bamako, et ses quartiers périphériques. C’est le cas de ces Habitants du village de Sadia, dans le Cercle de Bankass, Région de Mopti, qui vivent depuis bientôt un mois dans le parc à bétail de Niamana dans le plus grand dénuement.
«Depuis 15 heures, ils sont arrivés et ont incendié les cases. Nous nous sommes cachés dans la brousse. À notre retour, il y avait deux personnes calcinées. Je les ai enterrées et ensuite j’ai fui le village pour Bamako». C’est dans ces conditions de terreur que Modjo Traoré, sa femme, ses enfants et d’autres personnes ont fui leur village de Sadia, dans la Commune rurale de Kanibonzo, Cercle de Bankass, Région de Mopti, pour arriver à Bamako en Janvier 2020. Faute de moyens et n’ayant personne chez qui loger, les 104 personnes, tous des peulhs, ont eu le réflexe d’aller directement au marché à bétail de Niamana, là où se trouve une forte communauté peulh. Sur place, ils ont été bien accueillis et logés dans des hangars et des parcs précédemment dédiés aux bétails. «Quand ils sont arrivés, ils étaient très fatigués, ils se sont adressés au Chef du parc, Boubou Cissé, et ont demandé à être logés. C’est comme ça que des enclos ont été vidés du bétail et nettoyés pour pouvoir les accueillir en plus du hangar disponible» témoigne Amadou Dia, un des Responsables du parc à bétail de Niamana.
Dans ce hangar de 5 mètres sur 3 sont entreposés tous les effets des 104 personnes. Entre ustensiles de cuisine, vêtements, vivres, les plus âgées et les enfants se dégagent des petits coins pour fuir le chaud soleil et les pluies en cette période hivernale.
Un peu en retrait, des groupes d’enfants s’amusent, trois vieilles dames sont plongées dans un calme saisissant. Sans rien dire, leurs regards semblent traduire tout le mal qu’elles vivent loin de leur village et le souci qu’elles se font pour ceux encore restés sur place à Sadia. «Elles parlent à peine. Rarement en tout cas depuis qu’on est là. Elles ont toutes, quelqu’un resté au village dont elles n’ont pas de nouvelles. C’est le cas pour beaucoup d’entre nous, mais les autres semblent plus en mesure de supporter la situation que ces vieilles personnes », témoigne un jeune d’une vingtaine d’années qui pianote sur les touches de son téléphone.
Mais pourquoi n’essaient-ils pas de les joindre ? « C’est justement ça qui rend la situation encore plus insupportable pour elles. À chaque fois qu’on a essayé d’appeler, soit, ils étaient sur répondeur, soit le téléphone sonne sans que personne ne décroche. Les quelques-uns qu’on arrive à joindre ont eux aussi quitté le village et sont réfugiés dans d’autres villages», dit-il avec des trémolos dans la voix comme s’il avait un mauvais pressentiment.
Le Centre, un enfer ?
Le début de l’année 2019 a été endeuillé au Mali notamment dans sa partie centrale. Dans un communiqué, le Gouvernement a annoncé, après les réseaux sociaux (comme toujours), l’attaque du village de Koulongo Habé, un village peulh du Cercle de Bankass. Une attaque qui, selon le même communiqué, a été perpétrée par des chasseurs traditionnels (Donso) avec un bilan de 37 morts, dont 3 femmes et des enfants. Selon une source locale, quelques jours avant l’attaque, des menaces de mort étaient parvenues au Chef du village. Des menaces qui, selon la même source, ont été remontées aux forces de sécurité.
Sur les réseaux sociaux, certains, pour exprimer leur ras-le-bol, n’ont pas hésité à publier les images choquantes des personnes massacrées dans ce village de Koulongo Habé. L’indignation générale n’a pas laissé de marbre les plus hautes autorités à commencer par l’ancien président de la République qui s’était rendu quelques jours après l’attaque dans le village pour présenter les condoléances de la nation aux familles endeuillées et promettre que les «fautifs seront sanctionnés». Bien avant son déplacement, le Ministère de la Sécurité faisait savoir l’arrestation de sept suspects et de l’ouverture d’une enquête. Les enquêtes sont toujours ouvertes…
La plateforme «Sauvons la Région de Mopti» qui regroupe toutes les associations de la Région et, donc, toutes les communautés de la zone, par la voix de son Coordinateur, Mama Samassékou, apprécie ces actions du Gouvernement, mais pense qu’il faut en faire plus et bien le faire. «Ce que le Gouvernement fait nous l’apprécions. Les enquêtes et les premières arrestations sont bien. Nous demandons de faire plus. Avec les tueries de Boulkessy, de Nantaka, de Torii, il y a eu des enquêtes ouvertes, mais à notre niveau, les résultats de ces enquêtes ne sont pas connus. Il ne faut pas que l’annonce de ces enquêtes soit du dilatoire. Ce que les populations de la Région attendent aujourd’hui c’est l’aboutissement des enquêtes ouvertes depuis fort longtemps et dont nous ne savons rien. Ce qui fait penser à juste raison que la nouvelle enquête ouverte aura certainement le même sort que les anciennes», a-t-il déclaré anxieusement avant de demander aux nouvelles autorités de diligenter les enquêtes ouvertes pour situer les responsabilités.
Le soutien de l’État se fait attendre
Dans ce parc à bétail de Niamana, les déplacés vivent avec les animaux sans un minimum d’hygiène. À moins d’un mètre de la voie principale qui traverse le parc, les marmites pour la cuisson du riz et de la sauce sont posées sur le feu sans couvercles le plus souvent. Et c’est ce repas acquis grâce à l’appui des bonnes volontés que se nourrissent les 104 personnes. Quant au soutien de l’État à l’endroit de ces déplacés, il se fait toujours attendre. «Pour nous soutenir, il faudrait encore qu’on sache que nous sommes là. Depuis que nous sommes venus, aucune autorité ne nous a rendu visite. Les bonnes volontés de la communauté peulh sont celles grâce à qui nous survivons », dit Modjo Traoré.
Si les conditions sont difficiles pour l’ensemble des déplacés, elles le sont encore plus pour Maïmouna Dembélé. Sous le bras, elle a un nourrisson qui est né sur la route de fuite. «C’est en fuyant le village que j’ai accouché en cours de route. Nous nous sommes arrêtés au premier village pour faire son baptême avant de continuer sur Bamako », nous a-t-elle confié.
Ravagé par un incendie il y’a quelques mois, les déplacés se remettent peu à peu du traumatisme, reconstruisent leurs cases et par-dessus tout, prie pour le retour définitif de la paix au Mali pour qu’ils puissent enfin retrouver leurs terres natales.
Mohamed Sangoulé DANGNOKO
Source : Le Pays