Je ne respire plus, s’il vous plaît. Ce sont là les dernières paroles prononcées par George Floyd avant de rendre l’arme. Nous sommes le 25 mai 2020. Quatre policiers l’arrêtent supposément pour utilisation d’un faux billet de 20 dollars dans l’achat de cigarettes. Il suit les policiers gentiment comme le gentil bonhomme que tout le monde décrit tout en pleurant. Mais ils le plaquent au sol. Et l’un d’eux l’immobilise au sol avec son genou désormais assassin sur le cou. Faut-il signaler que Floyd mesure 2,01m et pèse plus de 100 kilos ? Assurément oui. Et c’est qui prouve qu’il a été très gentil avec les policiers. L’assassin posait pour les photographes et jouissait littéralement devant les supplications de Floyd. Cela a duré 8 minutes 46 secondes. Elles parurent interminables. Elles paraissent encore interminables au regard du supplice. 12 fois, avant de rendre l’âme, il leur dit « je ne respire plus ; s’il vous plaît ». Avant de cesser de respirer effectivement sous l’œil de jubilation de son meurtrier. Aujourd’hui, nous savons que celui-ci est un multirécidiviste et qu’il est cité dans une vingtaine de plaintes le concernant directement.
Aujourd’hui, l’air est irrespirable aux USA ; à cause ou, osons-le, grâce à ces bougnoules de policiers, la question des Noirs ne sera plus perçue avec le même mépris et le même dédain chez les Américains. La mobilisation des Américains, toutes races confondues, prouve que plus rien en sera comme avant. Et sa fille, innocente fille de 6 ans, a raison quand elle a déclaré que son père a changé le monde. Floyd a changé le monde, lui qui rêvait de rentrer dans l’histoire. Non seulement il est rentré dans l’histoire, mais tout porte à croire qu’il y restera. Quand on voit les manifestations à l’échelle planétaire, des Etats-Unis à la Chine en passant par la France, l’Australie, le Japon, etc. on peut croire que Floyd n’est pas mort pour rien. Comme dirait l’autre, « à quelque chose malheur est bon ». Je ne sais pour vous mais moi je n’ai pas entendu nos amis de Amnesty International ou Human Rights Watch, des machines à s’indigner automatiquement quand il s’agit des pays africains. Peut-être qu’ils se sont indignés, mais cela a dû être en mode inaudible, en mode incolore, en mode complètement silencieux.
Je ne respire plus, s’il vous plaît. Tel pourrait être le cri de cœur de ceux qui « exigent la démission du Président IBK ». L’imam Dicko et les hommes politiques qui ont les allures et les méthodes des talibans ont organisé une manifestation qui a rassemblé des dizaines de milliers de Maliens. Ils veulent obtenir par la rue ce que les urnes leur ont refusé : le départ, un euphémisme, du président de la République. Quand on jette un coup d’œil même furtif sur les griefs qu’ils ont contre le pouvoir, on est tenté de leur donner raison : la crise de l’école, l’insécurité et son cortège de morts quotidiens, la corruption, la gouvernance, les dernières élections législatives, l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a changé les résultats au point qu’on accuse Manassa d’avoir nommé des députés, etc. Quand on prend le grief qui concerne les dernières élections, il apparaît aux yeux des manifestants du vendredi dernier comme la dernière goutte qui a fait déborder le vase. Oui, oui ; le vase était déjà plein à ras bord à les écouter. Ils avaient fermé les yeux, bouché les oreilles mais là ils n’en peuvent plus. Les élections sont pour eux la dernière bouée pour changer les hommes et peut-être influer sur les politiques. Et si on doit leur prendre cela aussi, la pilule ne passe pas, que dis-je le suppositoire ne passe pas. Parmi les manifestants, il y avait des gens venus de Sikasso, de Mopti, de Kati, de Ségou, de Bougouni. Ce ne sont ni des illuminés ni des exaltés. Ils ont fait le déplacement pour venir réclamer leur vote dont ils estiment avoir été dépossédé par Manassa et les autres sages de la Cour constitutionnelle.
Je ne respire plus, s’il vous plait. Je disais qu’on pouvait être tenté de leur donner raison en scrutant sérieusement les griefs. Oui, je confirme qu’on peut leur donner raison quand on voit la manière dont la démocratie est malmenée. De bonne foi, personne ne peut penser un seul instant faire de la politique, battre campagne, sillonner le pays, sans investir de l’argent. Mais de bonne foi, personne ne peut dire que les proportions prises par l’argent dans la politique et dans les élections sont saines. Depuis l’apparition de nouveaux acteurs politiques, disons que depuis que les opérateurs économiques ont pris d’assaut le champ politique, ils ont lancé une sorte d’OPA (offre publique d’achat) sur la démocratie. La démocratie ne respire plus. L’imam Dicko a déclaré qu’ils ont blanchi les élections (après avoir fini de blanchir l’argent). Ils ne se fatiguent plus pour battre campagne et aller se salir dans la poussière. Ils attendent la fin des opérations pour venir jouer les prolongations. Cela me fait très mal, pour la Cour constitutionnelle, quand j’entends les candidats et leur parti affirmer haut et fort que le troisième tour des élections se jouent à la Cour Constitutionnelle. Avoir les voix des électeurs et leur confiance ne suffit plus pour gagner. Quand les dossiers arrivent à la Cour, personne n’est à l’abri et tout le monde retient littéralement sa respiration. Les candidats ont peur et leurs électeurs tremblent pour eux. Sous aucun ciel, on ne voit cela. Je ne répéterai pas ici les accusations de vénalité qui pèsent sur les sages et qui ont dû parvenir jusqu’à leurs oreilles. Pour certains manifestants qui affirment voir très loin, ce que la Cour constitutionnelle a fait n’est qu’un test grandeur qui préfigure de ce que pourraient être les élections de 2023. A chacun ses peurs. Le choc de la Cour n’était pas encore digéré que les Maliens assistent à l’achat des députés à l’Assemblée nationale. On a vu des partis politiques qui n’ont eu que trois députés sur le terrain se prévaloir d’une vingtaine une fois l’Assemblée installée. Oui, cela constitue un motif de révolte.
Je ne respire plus, s’il vous plait. Il y a un adage bien de chez nous que j’affectionne : « ne te laisse pas lécher par quelque chose qui pourrait t’avaler ». Aujourd’hui, force est de constater que tous les observateurs dressent un parallèle entre la manifestation du vendredi dernier et celle du 5 avril où le même Dicko demandait la tête du Premier ministre. Aujourd’hui, il ne demande plus, il exige la tête du Président de la République. L’appétit vient en mangeant dit-on, sauf que là je crois qu’il faudrait un estomac solide pour avaler un Président de la République. Avoir la tête du Président de la République ne semble pas être du domaine du possible. Jusqu’à la preuve du contraire, nous sommes encore en démocratie même si la nôtre est plus que malmenée. Or en démocratie, ce sont les urnes qui assurent l’alternance. Ils peuvent demander à ce que les élections à venir soient les plus transparentes possibles et que la Cour constitutionnelle n’ait plus la possibilité de changer les résultats sortis des urnes.
Je ne respire plus, s’il vous plait. Les populations de la Région de Mopti sont fatiguées (elles ne sont pas les seules d’ailleurs). On leur avait promis la paix, la sécurité, le retour de l’entente. Mais de toute évidence c’est une fable. Il ne se passe pas un jour sans qu’on ne nous annonce des morts à la pelle. Quand les Peulhs et les Dogons ne s’entretuent pas, d’autres qui le font pour elles. La dernière en date, ce sont des hommes habillés comme nos FAMa qui ont perpétré des exécutions sommaires. Cela a suffi pour accuser les FAMa. Le ministère de la Défense a diligenté des enquêtes pour savoir exactement ce qui s’est passé. Avant même la fin des enquêtes, nos FAMa sont accablées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. En tous les cas, les massacres en vase clos doivent cesser dans la Région de Mopti.
Talfi
Source : Nouvelle République