« Ni san tignéna, jatè tè kalo la ». Cette sentence bambara, fondée sur un solide bon sens, pourrait résumer à elle seule la pagaille généralisée que nous vivons actuellement. « Ni san tignéna, jatè tè kalo la », une traduction libre donnerait « quand l’année est perdue, on ne compte plus les mois ». Il se trouve qu’au sens propre comme au sens figuré, nous avons perdu l’année ; ce, depuis le début. Je vais juste rappeler, qu’avant la crise socio-politique qui préoccupe tout le monde, c’est le virus de la Covid 19 qui a tout mis sens dessus-dessous. Toutes les prévisions qui avaient été savamment et doctement élaborées ont fait pschitt, tombées à l’eau, sans qu’on ne sache trop comment, encore à nos jours, redresser la barre.
On a vu l’État qui n’arrêtait pas de pleurnicher sur ses supposées maigres ressources, le jouant petits bras dans le but de ne pas faire face à ses obligations, débourser des centaines de milliards d’un coup sec afin d’endiguer le virus et ses conséquences. « San tignéna » je vous dis ; et en de pareilles circonstances les calculs d’apothicaires sont vains. Par exemple, je vois mal quelqu’un faire les gros yeux aux services de l’assiette pour non atteinte des quotas. On en était à se demander comment allait-on sortir de ce qui, au-delà de ses aspects pandémiques, est une authentique catastrophe, quand on a plongé dans la crise socio-politique. L’année qui s’annonçait déjà pour être perdue a sombré littéralement. On ne sait plus quel mois on est, quel jour on est ; encore heureux que nous sachions que nous sommes en 2020. Et je vois que nous en sommes à évoluer par petites touches, une sorte de politique de petits pas mais qui ressemble à s’y méprendre plutôt à une tactique des pièces détachées.
« San tignéna ». C’est du jamais vu ; sous aucun ciel à ma connaissance. On a connu des pays où il y a eu des mois et des mois avant la formation d’un gouvernement. Je ne peux résister au plaisir de donner le podium de ces pays : 1er la Belgique avec 589 jours (c’est elle qui détenait le précédent record de 541 jours de juin 2010 à décembre 2011) ; 2ème, le Cambodge avec 353 jours de juillet 2003 à juillet 2004 (mais ce pays détient un record qu’aucun autre pays ne pourra lui ravir, c’est le nombre de ministre dans un gouvernement, 207) ; 3ème, l’Irak avec 208 jours en 2009. Nous, nous n’avons eu « que » 45 jours sans gouvernement, ce qui n’est déjà pas dans l’histoire de notre pays. Donc ce n’est pas à ce niveau que nous chercherons à boxer. Il fallait abaisser les standards pour être hors d’atteinte. C’est au niveau de la taille du gouvernement. Oui, oui. Nous avons fait plus fort que le Cambodge et ses 207 ministres ; nous avons largué le Ghana et ses 110 membres. Qu’avons-nous fait donc ? Au lieu de viser les sommets, nous avons opéré une sorte de nivellement par le bas en inventant ce qui est désormais dans le vocabulaire, un mini-gouvernement. Nous voilà en train d’enrichir le lexique politique avec cette notion de mini-gouvernement. Avec nos 6 ministres, aucun pays ne pourra venir nous taquiner. Nous avons mis la barre très, très…bas. Nous qui sommes habitués aux tailles XXL des équipes gouvernementales, voir cela, donne une sorte de haut le corps. Je vous assure que quand j’ai vu les images du premier conseil des ministres du premier mini-gouvernement, ce fut un vrai choc visuel. Mais bon, à chaque époque ses vérités. Ce mini-gouvernement dont l’objectif majeur est d’aider à traverser le guet, pose visiblement quelques problèmes. Le premier problème qui a sauté aux yeux de tous les observateurs, c’est le non-respect de la loi sur le genre. Sur les 6, on n’a pas pu trouver pas même une place. Le deuxième problème est d’ordre plus politique. En effet, comme par miracle, il n’y a pas un seul ministre du parti du président de la République, parti majoritaire, le RPM. Ça ne sonne pas bien. Si je dois récapituler, il est constitué de deux généraux, de deux militants de l’Adéma et deux que tout le monde étiquette comme venant de Nioro du Sahel (j’avoue que cette considération me gêne un peu mais c’est un fait ressassé par les milieux avertis). Certains qui n’ont pas peur de chercher la bagarre ont même affirmé que le mini-gouvernement a été formé sous la dictée du Chérif de Nioro. Et de ressortir un ancien audio du Chérif dans lequel il recommande le maintien de Boubou Cissé comme Premier ministre, le maintien de Tiébilé Dramé, le maintien du général Dahirou Dembélé, il annonce l’arrivée de Daffé aux Finances selon ses informations et de Choguel qui devra attendre la formation du gouvernement d’union. Personnellement, j’aurais voulu que le mini-gouvernement fasse de la place à un ministre de la Santé, surtout par ces temps de Covid ; et aussi qu’on fasse de la place à un ministre chargé de l’Éducation pour suivre le déroulement des examens et la signature du décret d’application du fameux article 39 si chèrement acquis par les enseignants.
« San tignéna ». Les nouveaux membres de la Cour Constitutionnelle ont été investis lundi dernier. Je dois au passage avouer qu’il y a comme une sorte de flou que personne ne voudrait aborder franchement : vont-ils-terminer le mandat de l’équipe de Manassa ou vont-ils-faire 7 ans ? J’espère que les autruches sortiront la tête de sous le sable pour aborder les questions que je ne suis pas le seul à poser. La nouvelle équipe succède à la bande à Manassa, de vrais durs à cuire, qui ont vendu chèrement leur peau, ont préféré se battre pied à pied et ne pas se rendre. Et pourtant, la bande à Manassa a subi toutes sortes d’attaques, frontales, biaisées, latérales. Mais rien n’y fit. Je pensais qu’avec la tactique des pièces détachées, Manassa et sa bande allaient céder. En effet, face au tollé et aux accusations, trois membres avaient démissionné ensemble. Et comme avant, il y avait un conseiller qui avait tiré sa révérence, je me disais que c’était suffisamment persuasif pour partir. Mais non. Même quand il y a eu une défection supplémentaire, même quand il ne restait plus que Manassa et deux conseillers, ils sont restés droits dans leur…robe. Stoïcisme ? Résilience ? Peut-être un peu des deux. Ceux qui pensaient qu’ils étaient poussés dans leurs derniers retranchements et qu’il n’y avait d’autre issue que de jeter l’éponge en seront pour leurs frais. Finalement, de guerre lasse, il fallait bien que le Président mettre fin à cette guerre des nerfs. Ainsi, il a annoncé « la dissolution de fait » de la Cour constitutionnelle. Comme d’autres, je pensais que l’affaire était pliée et qu’on pouvait passer à l’étape suivante. Que nenni ! Dans un dernier sursaut, pour ne pas dire baroud d’honneur, Manassa adressa une lettre au Président de la République pour introduire auprès de lui un recours gracieux. Dans un style bien léché, tout en finesse, elle traite IBK de certains péchés capitaux dans la gestion de la crise actuelle mais spécifiquement de sa façon dont il s’est débarrassé de la Cour constitutionnelle. Finalement, je crois que cette page est tournée. En attendant le prochain rebondissement.
« San tignéna ». S’il y a une institution qui est vilipendée au moins autant que la Cour constitutionnelle, c’est bien l’Assemblée nationale. Parce que ceux qui ont profité du « crime » reproché à la Cour y sont planqués ; à commencer par le Président de l’Assemblée nationale. Toutes les médiations entreprises ont recommandé, au choix, soit la dissolution pure et simple de l’Assemblée nationale, soit le renvoi des députés « mal élus ». Là également, c’est la tactique des pièces détachées qui est préconisée. On demande aux 31, très gentiment, d’abandonner les postes qu’ils occupent indûment au sein de l’hémicycle. Mais comme pour les membres de la Cour, les députés désignés à l’échafaud ne vont pas se laisser décapiter sans rien entreprendre. Ils refusent d’être les gentils boucs-émissaires ou encore les victimes expiatoires que tous espèrent. Ils vont se battre jusqu’au dernier. Et c’est le premier d’entre eux qui a sonné la charge en annonçant haut et fort qu’il était hors de question de rendre le tablier. Bien entendu, les autres font bloc. De l’autre côté, ceux qui endossent le qualificatif de victimes bousculent au portillon. Ils ont créé un collectif. Objectif : prendre place à Bozola (ou ce qu’il en reste après le passage des manifestants du 10 juillet) sans repasser par la case élections. En plus, les 31 places dont tous les médiateurs parlent risquent de ne pas les satisfaire. En effet, tous ceux qui pensent qu’ils ont été injustement recalés par la Cour constitutionnelle ont rejoint le groupe. Au dernier décompte, ils étaient un peu plus de 60. D’où ma conclusion : la tactique des pièces détachées pourrait ne pas fonctionner avec l’Assemblée nationale. Peut-être que le Président de la République devra se résoudre à faire ce qu’il rechigne à faire : dissoudre l’Assemblée.
« San tignéna ». Je terminerai par cette histoire d’enquêtes autour des tueries des 10, 11, 12 juillet. Amnesty international a produit un rapport pour le plus sévère mais très précis et très détaillé. Et j’avoue que pour l’image d’un pays, ce n’est pas la meilleure des choses. Pour faire la lumière, la Justice a été saisie. J’ai vu sur les antennes de l’ORTM le procureur Kassogué expliquer comment il allait procéder pour débusquer les responsables et les coupables. Mon petit doigt me dit que cela risque d’être long, très long même. Par contre il y a une procédure, rapide, que le gouvernement pourrait actionner avant que la Justice ne finisse son travail. Il s’agit des enquêtes administratives. Sans aucun effort, on pourrait interroger les éléments de FORSAT mise en cause, savoir qui leur a donné l’instruction de sortir. Et je crois que les autorités savent qui a fait quoi sur l’ordre de qui. Le Premier ministre semble avoir dégagé sa responsabilité en demandant qu’on lui fasse le point. Mais, il ne serait pas à son avantage de venir dire aux Maliens, au moment où il représentait à lui seul tout le gouvernement qu’on a pu sortir la FORSAT à son insu ou comment quand il a su il n’a pas pris la décision de faire retourner la FORSAT dans les casernes. Comme je vous le disais à l’entame, « ni san tignéna, jatè tè kalo la ».
Talfi
Source : Nouvelle République