MEMORANDUM DE LA SYNERGIE 2020 DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE POUR LA SORTIE DE LA CRISE SOCIOPOLITIQUE AU MALI

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Ibrahima Sangho, président L’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali
Ibrahima Sangho, président L’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali

La Mission d’Observation Electorale (MOE) de la Synergie 2020 est constituée de : Pool d’Observation Citoyenne du Mali – POCIM, comprenant l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali (OBSERVATOIRE), le Groupe Pivot/ Droit et Citoyenneté de la Femme (GP/DCF), Le Conseil National de la Jeunesse du Mali (CNJ), les Volontaires pour le Mali (VPM) ; Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie (AJCAD) ; CONSORTIUM ELE composé de l’organisation Droits de l’Homme au Quotidien (DHQ), Jeunes Citoyens du Mali (JCM) et de Protection des Droits Humains (PDH)  ; Centre d’assistance et de promotion des Droits Humains (CapDH) ; DONIBLOG-Communauté des Bloggeurs du Mali, Malick KONATE et Foot Citoyen.

Sur financement de l’Ambassade Royale du Danemark (ARD) à travers le Fonds d’Appui aux Moteurs du Changement (FAMOC) et de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), elle a observé les deux tours des élections législatives de 2020 au Mali.

La Mission d’Observation Electorale (MOE) de la Synergie 2020 livre ici les Constats de la Gouvernance de 2012 à nos jours, les Constats lors des élections législatives de 2020 et fait des recommandations idoines pour une sortie adéquate de la crise sociopilotique qui secoue le Mali.

  1. Les Constats sur la Gouvernance au Mali de 2012 à nos jours :

La crise sociopolitique actuelle résulte d’insuffisances liées à l’observation stricte de la Constitution et de la Loi en République du Mali, depuis 2012.

  1. Suivant l’Avis 2012-005/CCM du 25 juin 2012 sur la prorogation des mandats des Membres du Haut Conseil des Collectivités, la Cour Constitutionnelle du Mali a acté que le mandat des Conseillers Nationaux élus le 18 mars 2007 a expiré le 18 mars 2012. Depuis lors, le mandat n’a pas été renouvelé. Le Haut Conseil des Collectivités Territoriales est dès lors illégitime depuis 8 ans, même si la Constitution stipule en son article 100 : « Le Haut conseil des collectivités a son siège à Bamako. Il peut être transféré en tout autre lieu en cas de besoin. Le Haut conseil des collectivités ne peut être dissout. »
  2. Suivant la Loi 2015-047 du 7 décembre 2015 : « Les mandats des conseils communaux, des conseils de cercle, des conseils régionaux et du District de Bamako sont prorogés, à titre exceptionnel, à compter du 27 octobre 2015 jusqu’à l’installation des nouveaux conseils des collectivités territoriales. (Article 1er) ». Le mandat des conseils communaux de 2009 a été renouvelé le 20 novembre 2016 au lieu du mois d’avril 2014 ; soit un report de deux ans. En plus de 50 conseils communaux, sous la tutelle des groupes armés du Nord, n’ont pas été renouvelés en 2016. Ils continuent à évoluer par la force du fusil, avec l’appellation d’autorités intérimaires. Les conseils de cercle, conseils régionaux et conseils du District de Bamako de 2009 continuent d’être illégitimes, car ne respectant nullement les normes démocratiques d’accession au pouvoir.
  3. Initialement prévues pour les 28 octobre (1er tour) et 18 novembre 2018 (2ème tour), les élections législatives, qui devraient consacrer le renouvellement de l’Assemblée Nationale du Mali, ont fait l’objet d’un premier report pour les 25 novembre et 16 décembre 2018, avant un report sine die, suite à l’avis N°2018-02/CCM de la Cour Constitutionnelle du 12 octobre 2018 ouvrant la voie à une prorogation de six (6) mois du mandat de la législature en cours. La Constitution dit : « Article 61 : Les Députés sont élus pour cinq .ans au suffrage universel direct. Une loi fixe les modalités de cette élection.»

La Loi électorale, qui fixe les modalités de cette élection, dit : « Article 166 : La durée du mandat de député est de cinq (5) ans. L’Assemblée Nationale se renouvelle intégralement à l’expiration de son mandat. Les députés sortants sont rééligibles. » La Cour Constitutionnelle du Mali, en violation de la Constitution et de la Loi, s’est substituée au peuple malien ce 12 octobre 2018.

  1. Le Conseil extraordinaire des Ministres, tenu le vendredi 07 juin 2019, a procédé à l’adoption d’un projet de loi organique relatif à la prorogation, une nouvelle fois, du mandat des députés à l’Assemblée nationale jusqu’au 02 mai 2020. C’est une violation de la Constitution et de la Loi.
  2. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et les groupes terroristes continuent de défier, en toute sérénité, la Constitution de la République du Mali qui dit : « Article 26 : La Souveraineté nationale appartient au Peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Le pouvoir des armes a remplacé le pouvoir des urnes au Nord et au Centre du Mali, avec son lot de vols, de viols et de milliers de pertes en vies humaines.
  3. L’Article 37 de la Constitution du Mali dit : « Le Président élu entre en fonction quinze jours après la proclamation officielle des résultats. Avant d’entrer en fonction, il prête devant la Cour suprême le serment suivant : ‘’Je jure devant Dieu et le Peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Constitution et la loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du Peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la Patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’Unité africaine.’’ (….). » Le serment du Président de la République a été, plusieurs fois, violé avec la prolongation du mandat des députés, la non-jouissance de l’intégrité du territoire, le non-respect des normes démocratiques d’accession au pouvoir, etc.
  4. Nous rappelons à juste titre que la Déclaration de Bamako, adoptée le 3 novembre 2000 par les Ministres et chefs de délégation des États et gouvernements des pays ayant le français en partage lors du Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, stipule : « 3. La démocratie exige, en particulier, la tenue, à intervalles réguliers, d’élections libres, fiables et transparentes (…). 3.5. Que, pour préserver la démocratie, la Francophonie condamne les coups d’État et toute autre prise de pouvoir par la violence, les armes ou quelque autre moyen illégal ».
  5. Quant au Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité du 21 décembre 2001, laisse entendre : « Article 1er : Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les États membres de la CEDEAO (…) : b) Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes. c) Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. »

 

  1. Également, la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance, adoptée par la huitième Session ordinaire de la Conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis Abeba (Éthiopie) stipule : « Article 2 (…) Promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de Article 23: Les Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union: (…) Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. »
  2. Les Constats majeurs lors des élections législatives de 2020

 

  1. L’insuffisance de la Loi n°02-010/ du 05 mars 2002 portant Loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée Nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote. A ce niveau, il convient de signaler que les 147 députés ont été déterminés suivant le recensement administratif de 1996 qui a donné 9.857.000 habitants. En 2020, la population malienne est estimée à 20.119.246 habitants.

 

  1. Le défi de l’application de la Loi n°2012-017/ du 02 mars 2012 qui a créé 19 Régions : Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudéni, Ménaka, Nioro, Kita, Dioïla, Nara, Bougouni, Koutiala, San, Douentza, Bandiagara. L’article 4 dit que : « La présente loi abroge, au fur et à mesure de sa mise en œuvre échelonnée sur cinq (05) ans à compter de sa promulgation, toutes dispositions antérieures contraires, notamment celles de l’Ordonnance N°91-039/ P-CTSP du 08 août 1991 déterminant les circonscriptions administratives et les collectivités territoriales ».

 

  1. Le défi de l’application de a Loi n°2012-018/ du 02 mars 2012 qui a créé de nouveaux cercles au nombre de onze (11) à ce jour. Il s’agit des Cercles de Taoudénit, Foum-Elba, Achouratt, Al-Ourche, Araouane et Boû-Djébéha (Région de Taoudénit) ;  du Cercle de Almoustrat (Région de Gao) ; des Cercles de Anderamboukane, Inékar et Tidermène (Région de Ménaka) et du Cercle de Achibogho (Région de Kidal). Avec la Loi électorale, l’Article 158 stipule que : « Pour l’élection des députés à l’Assemblée Nationale, les circonscriptions électorales sont constituées par les Cercles et les Communes du District ».

 

  1. La non-publication par le Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation des résultats des scrutins du 29 marts et du 19 avril 2020, bureau de vote par bureau de vote, au nom des principes de la transparence des élections et du droit à l’information et la non-publication de la liste complète des bureaux de vote non fonctionnels et ceux ayant fermé avant l’heure, lors des deux tours des élections législatives ;

 

  1. L’utilisation controversée par la Cour Constitutionnelle de l’article 83 de la Loi électorale qui dit : « Le bureau de vote comprend un président et quatre (4) assesseurs dont un désigné par la Majorité et un désigné par l’Opposition. Ils sont nommés, quinze (15) jours au moins avant la date du scrutin, par décision du représentant de l’Etat dans le Cercle et dans le District, dans l’Ambassade et dans le Consulat. En cas de non-désignation d’un (1) ou des deux (2) assesseurs de la Majorité ou de l’Opposition, le représentant de l’Etat désigne leurs remplaçants sans délai, parmi les électeurs inscrits sur la liste électorale de la commune sans tenir compte de leur appartenance politique. La décision doit obligatoirement comporter leur nom, leurs prénoms, leur profession et leur domicile. Le président et les assesseurs doivent être en possession de leur carte d’électeur biométrique ou de la photocopie légalisée de celle-ci s’ils ont donné procuration de vote conformément à l’article 106 ci-dessous. Ils doivent figurer sur une liste électorale. Ils doivent être de bonne moralité, reconnus pour leur intégrité et leur probité. Les présidents et assesseurs doivent savoir lire et écrire dans la langue d’expression officielle. Le président du bureau de vote assure le remplacement des assesseurs absents le jour du vote parmi les électeurs inscrits dans le bureau de vote. En cas d’empêchement du président, l’assesseur le plus âgé parmi les assesseurs désignés par le représentant de l’Etat assure la présidence du bureau de vote et complète le nombre d’assesseurs requis en choisissant parmi les électeurs du bureau de vote. Mention de ce remplacement est faite dans le procès-verbal. »

 

Il reste entendu que suivant l’article 165 de la Loi : « La Cour constitutionnelle procède au recensement général des votes, examine et tranche définitivement les réclamations et statue souverainement sur la régularité de l’élection des membres de l’Assemblée Nationale. Dans le cas où elle constate l’existence d’irrégularités, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu de maintenir lesdits résultats, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle. Le Président de la Cour Constitutionnelle proclame les résultats définitifs du scrutin en audience solennelle. »

 

Et la Constitution, en son article 94, dit : « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales. Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elle, sont déterminées par une loi organique. » ;

 

  1. La diffusion de la lettre 001100 MATD- SG en date du 09 Avril 2020 de monsieur le ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, relative à l’organisation de législatives spéciales dans les régions de Taoudénit et Ménaka et dans les cercles d’Almoustrat et Achibogho en contradiction avec l’esprit de la Résolution N°1 du Dialogue National Inclusif concernant l’organisation des élections législatives à court terme dans les 55 circonscriptions électorales  et de la Décision N°000148/MATD- SG du 15 avril 2020, portant création des commissions de mise en place des autorités intérimaires et de préparation de l’élection des députés à l’Assemblée nationale au niveau des régions de Taoudénit et Ménaka et des cercles de Almoustrat et de Achibogho ;

 

  1. La tenue des scrutins dans un climat marqué par la crise sécuritaire qui sévit particulièrement au centre et au nord du Pays et une psychose née de la découverte de plusieurs cas de Covid19 ;

 

  1. L’enlèvement de quelques leaders politiques et leur détention par les groupes armés, notamment le Chef de file de l’opposition, Monsieur Soumaïla Cissé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III – Les Recommandations prioritaires

 

Le règlement de la crise sociopolitique actuelle se trouve en dehors de la Constitution et de la Loi parce que celles-ci ont été violées, de 2012 à nos jours, par les Institutions qui sont censés les faire respecter.

 

Toutes les parties prenantes doivent privilégier la survie du Mali. Un Mali dont les 100% du territoire n’appartiennent plus aux Maliens.

 

Aussi, la Synergie 2020 fait les recommandations prioritaires suivantes :

 

  1. La mise en place d’un Gouvernement d’union nationale et de mission, composé majoritairement de technocrates, chargé de conduire les réformes électorales et institutionnelles appropriées ;

 

  1. Le renouvellement de la Cour constitutionnelle de façon consensuelle ;

 

  1. L’invalidation par la nouvelle Cour des sièges à l’origine du contentieux électoral, pour ouvrir la voie à des élections partielles ;

 

  1. L’exigence de la publication en ligne des résultats des scrutins par bureau de vote par le Ministère de l’administration territioriale ;

 

  1. L’opérationnalisation du découpage territorial dans les douze (12) mois et la création de l’organe unique de gestion des élections au Mali ;

 

  1. L’application stricte de la loi n°2015-052/ du 18 décembre 2015, instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives ;

 

  1. L’intensification des activités d’information et de formation, de sensibilisation électorale et éducation civique pérenne, pour une appropriation véritable de la démocratie par les citoyennes et les citoyens du Mali ;

 

  1. La souveraineté totale et entière du Mali sur toute l’étendue du territoire national et le retour de l’armée et de l’administration partout où elles sont absentes.

 

Enfin, la Synergie 2020, tout en recommandant aux manifestants du Mouvement du 5 juin- Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) d’exercer leurs droits constitutionnels de la manière la plus pacifique, invite les Forces de sécurité à observer, en tout temps et en toute circonstance, les règles d’éthique et de déontologie qui régissent leur profession en évitant l’usage disproportionné des moyens de maintien d’ordre afin de prévenir d’autres cas d’atteintes aux droits à la liberté, à la sécurité, à la vie et à l’intégrité physique des citoyens.

 

 

Bamako, le 16 juillet 2020

 

 

Le Chef de mission de la Synergie

 

 

Dr Ibrahima SANGHO

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