Extraction de sable, dragage, bâtiments et champs dans le lit, rejets de déchets
industriels et artisanaux… rien n’est épargné au Djoliba qui arrose pourtant
nos terres, permettant de nombreuses activités indispensables à notre existence. Des actions de sauvegarde sont en cours. Même si leurs effets restent moins visibles.
Le Niger, troisième plus long fleuve d’Afrique (4 200 km) après le Nil et le Congo, dispose d’un bassin de 2,274 millions de km2. Le fleuve, prenant sa source en Guinée, coule dans le sens nord-est, traverse le pays mandingue, arrose Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao, puis bifurque vers le Sud pour se jeter dans l’océan Atlantique au Nigeria, à travers plusieurs branches formant un immense delta. L’importance du fleuve Niger est inestimable pour les populations d’Afrique de l’Ouest.
Boubou Oumar Ba est l’assistant technique de la Coordination nationale des usagers et usagères des ressources naturelles du basin du fleuve Niger au Mali. Il rappelle l’importance capitale du fleuve pour le Mali. « La plupart de nos grandes villes sont au bord de ce bien commun et vital. Ses eaux nous servent pour l’agriculture, la pêche, l’élevage, sans oublier les écosystèmes et le transport », souligne-t-il. Tous les riverains du majestueux cours d’eau doivent s’inquiéter de sa situation actuelle. Depuis quelques années, de sérieuses menaces pèsent sur l’existence du fleuve. Ces menaces ont pour origines les nombreuses activités nuisibles comme le dragage effectué par les orpailleurs, les rejets de déchets industriels et artisanaux, etc.
A Badougou Samalé, une entreprise chinoise a installé des équipements de traitement du minerai extrait des eaux et transporté par une pinasse jusque sur la berge. De là, la cargaison est chargée dans un véhicule 4X4 pour une destination qui nous est restée inconnue. Impossible d’arracher le moindre mot de la bouche des ouvriers chinois. Nous avons juste appris que leur patron était absent du Mali.
Un jeune conducteur de pinasse nous a révélé que le minerai est traité à Bamako. Il est contredit par des femmes du village qui soutiennent que le traitement se fait dans un conteneur installé au bord du fleuve. Et que les déchets sont déversés dans l’eau. Ces femmes, à l’aide de calebasses et de bassines, récupèrent le sable rejeté par les Chinois et espèrent y trouver quelques pierres précieuses. Elles assurent y trouver leur compte.
Les installations de l’entreprise sont implantées sur un terrain appartenant au sieur Bakary Keïta qui reçoit une rétribution en contrepartie. L’homme dit n’avoir aucune idée de l’utilisation des produits chimiques déversés dans le fleuve. Il estime qu’il est, toutefois, impossible de traiter le minerai sans utiliser des produits chimiques. Mais, les populations assurent boire l’eau du puits et non celle du fleuve. Selon Bakary Keïta, les ressortissants chinois disposeraient des autorisations nécessaires. Ce que nous n’avons pas été en mesure de confirmer. Tout comme les allégations selon lesquelles des communes rurales prélèvent des taxes sur l’activité de l’entreprise.
Comment faire pour sauvegarder notre patrimoine vital ? Quels sont les voies et moyens envisagés pour sensibiliser les acteurs sur l’importance du fleuve Djoliba ? L’Etat a entrepris de trouver des réponses à ces questions puisqu’il y va de notre propre survie. C’est dans ce cadre que l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN) a été créée en 2000, avec pour mission la sauvegarde du fleuve et de ses affluents sur l’étendue du territoire. Baba Faradji N’Diaye, chef de département protection et gestion des écosystèmes à l’ABFN, explique que la décision de créer l’Agence découle de plusieurs constats tels que le changement climatique et le dragage dans le lit même du fleuve. « Ces activités ont pour conséquences la destruction de la faune et de la flore, la détérioration de la qualité de l’eau, voire la disparition programmée du fleuve », avertit-il. Baba Faradji N’Diaye met aussi en cause les activités artisanales comme la teinture, la tannerie artisanale, le maraîchage dans le lit du fleuve. Sans oublier l’occupation administrative, privée et industrielle, chose qui, d’après lui, complique également la délimitation du fleuve.
Face à tous ces problèmes, l’ABFN a initié plusieurs activités telles que le programme d’aménagement des berges dégradées et des séances de formations des populations riveraines. « Le but, explique-t-il, est de trouver des solutions locales durables pour mettre un terme au dragage ».
L’activité minière est considérée comme l’une des principales menaces pour le fleuve. Lassana Guindo, conseiller technique au ministère des Mines et du Pétrole, assure que « toutes les sociétés minières, travaillant sur le fleuve, disposent d’une autorisation et d’une étude d’impact environnemental ». Selon lui, la majorité des acteurs effectuant le dragage sur le fleuve est dans l’illégalité. « Au niveau de l’administration, moins de 10 sociétés ont l’autorisation de dragage », précise M. Guindo qui assure que l’étude d’impact environnemental prévoit des actions correctives au cas où il y aura une atteinte à l’environnement.
Mais c’est le contrôle et le suivi qui posent problème, déplore le conseiller technique. Pourtant, il y a l’implication du ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable et du département des Mines et du Pétrole. Le spécialiste pointe du doigt le fait que les dragueurs n’ont pas de formation, ni la connaissance requise pour bien manipuler les produits chimiques qu’ils utilisent. « Ce qui constitue une réelle menace pour le fleuve », fait remarquer notre interlocuteur qui préconise l’arrêt immédiat des activités de dragage dans le lit du fleuve.
Aux actions des structures publiques s’ajoutent celles de la société civile. Des citoyens ayant pris la mesure du danger se sont organisés pour protéger le patrimoine commun. C’est le cas de la Coordination nationale des usagers et usagères des ressources naturelles du bassin du fleuve Niger au Mali. L’assistant technique de cette organisation, Boubou Oumar Ba, évoque les actions d’information menées par son organisation à l’adresse des éleveurs sur la dégradation des berges du fleuve et des agriculteurs qui cultivent dans le lit du Djoliba. La sensibilisation a touché aussi les teinturières qui versent les déchets de leurs produits nocifs dans le fleuve. Son organisation est impliquée également dans le projet initié par l’Agence du bassin du fleuve Niger pour contrôler la qualité de l’eau du fleuve et son assainissement. « Nous faisons aussi des plaidoyers afin d’aider les dirigeants dans leur prise de décision », ajoute M. Ba qui conseille vivement l’application, le suivi et le respect des textes régissant le domaine.
Source : AMAP