Dans cette interview, Modibo Mao Makalou, économiste, fait le tour d’horizon de l’actualité malienne de la semaine écoulée. Entretien.
Mali-Tribune : Est-ce une bonne chose que Goodluck Jonathan soit venu au Mali pour discuter avec les autorités de la Transition ?
Modibo Mao Makalou : C’est une bonne chose que le médiateur de la Cédéao soit venu au Mali pour discuter avec les autorités de la Transition. A mon avis, nous sommes à la croisée des chemins, mais je crois le dossier malien va évoluer dans les semaines à venir. Lors d’une récente interview, le ministre des Affaires étrangères du Mali semble dire que les discussions se passent bien. Je pense qu’un travail technique est en train de se faire et que les discussions du Médiateur de la Cédéao et de sa délégation ont porté sur ce sujet avec le gouvernement du Mali. Je ne suis pas sûr que la Cédéao ait déjà deux chronogrammes arrêtés puisque les discussions se poursuivent et certainement que les autorités maliennes feront des propositions lors des négociations. Je pense surtout que le préalable serait de mettre beaucoup d’emphase sur la faisabilité technique d’un chronogramme afin de trouver un accord entre les deux parties. C’est en ce moment que l’on pourra ensuite déterminer les délais et les coûts de financement d’un chronogramme détaillé pouvant mener aux élections générales pour aboutir à la fin de la Transition politique au Mali dans les meilleures conditions.
Mali-Tribune : Le Mali a déposé une plainte à la Cour de Justice de l’Uémoa contre les sanctions prises par la conférence des chefs d’Etat de l’Uémoa. En toute objectivité est-ce que cette plainte a une chance d’aboutir ?
M M. M.: Je ne suis pas juriste, mais mon bon sens, qui peut me tromper bien évidemment, me dit que nous sommes déjà suspendus au niveau des institutions de la Cédéao et de l’Uémoa même les plaintes qui avaient été déjà déposées avant les sanctions de la Cédéao et de l’Uémoa ont été suspendues donc je ne pense pas qu’une plainte de l’Etat du Mali serait recevable avant la levée des sanctions. Je pense que l’Etat malien pourrait s’adresser à d’autres juridictions internationales, mais ce sont des procédures juridiques coûteuses qui prennent beaucoup de temps avant d’aboutir à une décision de justice. Comme le dit l’adage : « mieux vaut un mauvais arrangement qu’un long procès. »
Mali-Tribune : Neuf ans de présence, 53 militaires tués et plus de huit milliards d’euros dépensés. Peut-on dire que l’intervention militaire française au Mali a été un échec ?
M M. M.: C’est Charles Maurras qui disait qu’une politique se juge par ses résultats. Je pense qu’en 2013 Serval était une opération militaire française bien définie et qui était délimitée dans le temps puisqu’elle a débuté le 11 janvier 2013 pour prendre fin le 1er août 2014. Serval était une opération ponctuelle tandis que Barkhane qui a pris le relais de Serval est une opération militaire française plus ambitieuse basée sur une approche stratégique fondée sur un partenariat régional avec les pays du G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). Je pense que l’opération Barkhane s’est ensablée au Mali et au Sahel. Lorsque vous parlez de 53 morts, c’est 48 au niveau du Mali sur les 53 morts au Sahel, même si un mort c’est toujours un de trop. Mais ce que je puis dire, ce qu’on ne peut pas dire que ça été un succès parce qu’au départ, la crise sécuritaire était limitée au nord voire à l’extrême nord du Mali. Mais maintenant, les 2/3 du territoire sont affectés par la crise sécuritaire toutefois des améliorations sur le plan sécuritaire se font sentir ces derniers temps. Je ne pense pas que la solution soit militaire aux problèmes de sécurité, il faut résoudre les problèmes dans leurs causes et non dans leurs effets. On doit plutôt aller vers le partage des renseignements ; la mobilité de nos troupes ; la réforme de nos Forces de défense et de sécurité ; la formation des éléments de défense et de sécurité et surtout l’amélioration de la gouvernance. Personne ne viendra faire ce combat à notre place. L’idée était de restructurer ou de reformer notre système de défense et je pense que c’est ce travail qui est en train d’être fait maintenant. Et si cela a été fait, si les Maliens avaient été mis au-devant de la scène avec les moyens adéquats, je pense que le travail aurait eu plus de succès et je pense de toute façon qu’on ne peut pas sous-traiter sa sécurité et ce n’est pas une solution militaire qui pourrait résoudre ce problème.
C’est à travers le dialogue national et la qualité des renseignements des services de défense et de sécurité que nous pouvons diminuer la menace sécuritaire. Les appuis étrangers doivent être des appoints. C’est à nos autorités de définir leurs besoins, voir ce qu’elles peuvent accomplir et là où elles ont des besoins, exprimer ses besoins auprès de nos partenaires. Cela nous permet de coordonner les activités concernant la coopération en matière d’insécurité mais aussi d’harmoniser les procédures de partenaires extérieurs. Nous avons 61 nationalités au Mali dont les activités au sein de la MInusma sont financées par les Nations-unies et l’Union européenne.
Mali-Tribune : Ce retrait français, est-ce une stratégie de sortie pour Paris
M M. M. : Oui ! C’est une stratégie de sortie de la France. C’était perceptible depuis un moment. Vous savez, aucun pays n’aimerait que ses soldats meurent durant les conflits parce que c’est un sujet de politique intérieure très sensible au niveau de l’opinion publique. Le Sahel est un sujet de politique intérieure en Europe en général et en France en particulier parce que c’est la plus grande opération extérieure de la France actuellement dans le monde avec environ 5000 soldats au Sahel dont 40 % se trouvent au Mali. Vous le savez, il y a des élections qui vont venir sous peu au mois d’avril 2022 en France. Ce qui fait que si on ne peut pas clamer un succès au moins, on pourrait ne peut admette non plus qu’il y a eu un échec. Donc une stratégie de sortie rapide est souhaitable pour les autorités françaises du bourbier malien avant les prochaines élections générales en France.
Mali-Tribune : Lors du 6ème sommet Afrique-Europe à Bruxelles, l’UE a annoncé un investissement de plus de 150 milliards d’euros pour l’Afrique. Est-ce que ce sommet est le point de départ d’une nouvelle alliance entre les deux continents ?
M M. M. : Les sommets, je m’en méfie toujours, parce que j’ai toujours trouvé que lors des grands sommets, il y a beaucoup d’annonces, mais qui sont très peu suivies d’effet. Moi j’aimerais une approche pratique des choses. Il y a eu quand même l’annonce de plus de 150 milliards d’euros le 10 février 2022 à Dakar par la Présidente de la Commission de l’Union européenne. Celle-ci concerne le programme Afrique-Europe qui s’inscrit dans l’initiative Global Gateway qui vise à mobiliser des fonds publics et privés dans des projets d’infrastructures. Le Global Gateway est une initiative européenne lancée en décembre 2021 qui vise à mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros de fonds publics et privés d’ici à 2027. Les fonds seront investis au niveau de la santé de l’éducation, de la jeunesse, de l’industrie et des infrastructures. Ce sont des projets assez intéressants, mais il va falloir que ce soient les Africains qui définissent leurs priorités et besoins comme je l’ai dit. Pour moi, il faut s’assurer que la coopération est efficace c’est-à-dire qu’il est important de réduire les coûts de transactions et les délais de mise en œuvre des projets et programmes qui doivent être axés sur les résultats.
Lorsque vous voulez aider quelqu’un à résoudre ses problèmes, vous devez l’accompagner plutôt que de vous substituer à lui pour résoudre ses problèmes. C’est comme si vous allez chez un médecin qui ne vous demande pas où vous avez mal. Si vous ne dites pas où vous avez mal, et que le médecin doit deviner, il va être très difficile de trouver un remède à la maladie. Malheureusement, c’est cela que la coopération a donné jusqu’à présent. Les pays qui fournissent l’aide ou l’assistance généralement ont des secteurs de prédilection. La plupart des partenaires préfèrent les appuis sectoriels (la santé, l’éducation, l’agriculture, les routes, l’assainissement, …) mais très peu financent le budget national, alors que c’est au sein du budget national que vous avez les priorités nationales, mais encore faut-il que la gouvernance économique et financière soient vertueuses au niveau des pays qui reçoivent ces assistances au niveau du budget national.
Mali-Tribune : le Mali a lancé son processus budgétaire de 2023. Le pays doit relever un objectif de déficit budgétaire de 4,9 % du PIB en 2023. Qu’est-ce que cela veut dire ?
M M. M.: Cela veut dire que nos ressources budgétaires sont inférieures à nos dépenses budgétaires. Ce qui a toujours été le cas du Mali depuis que nous sommes indépendants. Nous dépensons toujours plus au niveau de notre budget que nous n’avons des ressources et le budget, c’est l’affectation des ressources et des charges. Et c’est la loi de finances qui détermine quelles sont les ressources et les charges budgétaires d’un Etat pendant une année donnée et c’est une disposition constitutionnelle.
C’est un exercice qui implique beaucoup de planification. Déjà, le budget 2022 est en exécution. Comme vous le savez, on a un projet de loi de finances d’abord et une fois voté au parlement, il devient une loi de finances et dans son exécution, il y a ce qu’on appelle des correctifs budgétaires, c’est-à-dire quand il y a des variations par rapport aux prévisions, on corrige et une fois que le budget est exécuté on doit faire un règlement pour voter les chiffres exacts du budget qu’on appelle un règlement. Je pense qu’on est toujours dans la bonne direction malgré les nombreux défis que notre pays traverse. Il me semble que le déficit budgétaire est en train de se redresser parce qu’au sein de l’Uémoa, le critère de convergence stipule que le déficit budgétaire ne doit pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB), mais la restriction a été levée à cause de la Covid-19 pour pouvoir permettre aux pays de financer non seulement les reformes des systèmes de santé, mais aussi la riposte contre la maladie. Je pense que nous allons dans le bon sens pour ramener le déficit budgétaire à des propositions raisonnables parce que plus le déficit grandi, plus on doit emprunter pour financer ce déficit même si on emprunte encore. Surtout va-t-il falloir financer moins le fonctionnement par rapport aux investissements pour éviter les dysfonctionnements au niveau de l’économie car c’est surtout le financement des investissements qui permettra à moyen et long terme au pays d’accroître les revenus, d’augmenter la production nationale et d’améliorer les conditions de vies des populations.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune