Il y a huit ans que nos collègues Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal. Le 2 novembre 2013, ils étaient en reportage lorsqu’un commando de quatre personnes les a enlevés puis assassinés à quelques kilomètres de la ville. Un assassinat revendiqué par al-Qaïda au Maghreb islamique. Huit ans plus tard, de nombreuses zones d’ombres subsistent toujours. L’enquête judiciaire se poursuit en France et au Mali. Il ne reste désormais plus qu’un ravisseur encore en vie.
La justice a continué cette année son travail de fourmi et auditionné de nouvelles personnes. Si rien n’a filtré de ces entretiens pour des raisons de secret de l’instruction, ils ont en tout cas ouvert de nouvelles pistes puisqu’ils ont motivé une série de demandes d’acte de la part des parties civiles qui réclament de nouvelles auditions et l’accès à certains documents. Huit ans après les faits, l’enquête judiciaire est donc encore loin d’être terminée.
Après des années de bataille avec l’opérateur Malitel, le juge français a enfin récupéré les fadettes téléphoniques qu’il attendait grâce à la coopération de son homologue malien et à la mobilisation d’experts techniques. L’analyse, longue et fastidieuse, des relevés est en cours par les enquêteurs de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure française). Mais une fois terminée et comparée aux données d’Orange Mali déjà en possession de la justice, elle pourrait permettre de mieux cerner les relations entre les acteurs du drame et d’établir de nouvelles complicités, voire responsabilités.
Autre point marquant cette année, ce qui réduit le nombre de suspects encore vivants et susceptibles de parler : la mort, début juin, de Baye Ag Bakabo, le chef du commando des ravisseurs.
Baye Ag Bakabo n’était pas visé selon l’armée française
Le 5 juin, l’armée française frappe un groupe de terroristes qui prépare une attaque près d’Aguelhoc contre le camp onusien installé dans cette localité des confins du nord malien. Le 11, la ministre française des Armées Florence Parly annonce que Baye Ag Bakabo figure parmi les quatre jihadistes tués.
Baye Ag Bakabo dirigeait le commando qui avait assassiné Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Ancien combattant d’Ansar Dine puis d’Aqmi, proche de Seidane Ag Hitta (l’un des commanditaires de l’assassinat, aujourd’hui devenu un cadre du GSIM, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghaly), il avait été entendu en mars 2013 à Kidal par les services français de renseignements et par la force Serval, à qui il avait signifié sa disponibilité pour d’autres rencontres. Était-il devenu un agent des services de renseignements, maliens ou français, voire des deux, comme le sous-entendent certaines sources ?
En tout état de cause, il y a cinq mois, selon la version officielle, ce n’est qu’après l’opération que l’armée française a découvert qu’il figurait parmi les victimes. En clair : il n’était pas personnellement visé.
Une version contredite par plusieurs sources, y compris militaires, selon lesquelles le groupe ciblé était suivi depuis plusieurs jours. Selon ces sources, la présence de Baye Ag Bakabo, considéré comme une cible prioritaire, était bel et bien connue.
Les demandes de précisions de RFI sur la manière dont Baye Ag Bakabo aurait été identifié après coup sont restées sans réponse. L’état-major français des armées invoquant « le niveau de confidentialité touchant cette action. »
Lorsqu’elle en a fait l’annonce, la ministre française des Armées Florence Parly a déclaré que la mort de Baye Ag Bakabo « met[tait] fin à une longue attente ». Quelques jours plus tard, l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon déplorait au contraire sa mort, qui empêchait « la vérité d’un procès » : « Nous attendions la justice, pas la vengeance. »
Avec la disparition de Baye Ag Bakabo, il ne reste désormais plus qu’un membre du commando susceptible de parler.
Hamadi Ag Mohamed n’est « que » son vrai nom. Car il en utilise d’autres : Hamadi Ag Talta, Abou Naghima ou encore Abou Mouzer, selon des informations collectées par les services français de renseignement, qui notent également que l’homme est réputé « pour son rigorisme religieux ».
En 2013, Hamadi Ag Mohamed est, comme les trois autres membres du commando qui a assassiné Ghislaine Dupont et Claude Verlon, combattant de la katiba Youssef bin Tachfin, affiliée à al-Qaïda au Maghreb islamique et dirigée par Seidane Ag Hitta. Seidane est depuis devenu l’un des bras droits d’Iyad Ag Ghaly, chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Et Hamadi Ag Mohamed aurait, lui aussi, pris du galon.
Si son nom n’évoque rien à beaucoup d’interlocuteurs pourtant très renseignés, plusieurs sources locales contactées par RFI, dont certaines proches des groupes jihadistes, expliquent qu’Hamadi Ag Mohamed travaillerait toujours avec Seidane Ag Hitta et qu’il serait également devenu « un homme de confiance » d’Iyad. « Il ne dure jamais au même endroit », explique-t-on, mais « il est fréquemment entre Tinzaouatine en Algérie et Intibzaz », une localité située à la limite des régions de Kidal et de Gao, d’où ce Touareg, de fraction Ibilbitiyane par son père et Imghad par sa mère, est en fait originaire. Et où se trouveraient toujours les deux femmes auxquelles il est marié.
Le général Moussa Diawara un témoin clé ?
Un homme intéresse particulièrement les parties civiles. Il s’agit de Moussa Diawara, chef des services de renseignements maliens à l’époque.
Jusqu’au coup d’État d’août 2020, ce général était intouchable. Mais depuis fin juillet, il est en prison après avoir été arrêté dans le cadre de la disparition du journaliste malien Birama Touré en 2016. Ex-patron des services de renseignements, il a été l’homme le mieux informé du Mali pendant des années. Et c’est à ce titre qu’il intéresse les avocats des proches de nos confrères.
Sur le déroulé des faits, son audition pourrait être précieuse : plusieurs personnalités ont été informées de l’assassinat avant l’heure officielle de découverte des corps, l’ancien chef des renseignements pourrait éclairer ce mystère.
Peut-être en sait-il également plus sur les complicités dont ont pu bénéficier les ravisseurs et aussi sur ceux qui ont trahi nos confrères, puisque trahison il y a eu, selon les déclarations de Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense à l’époque, aux proches des victimes.
Autre sujet sur lequel l’ex-patron de la DGSE malienne pourrait apporter des détails utiles : les écoutes partagées avant et après le drame par les services français ou américains. Notamment celle relatée par le président français François Hollande, devant un journaliste de RFI, dont il a nié l’existence lors de sa convocation devant le juge en janvier 2019 et qui n’a jamais été versée au dossier malgré la requête de la justice française.
Pour les proches des victimes, l’audition de Moussa Diawara, n’est pas moins importante que celle de son homologue français Bernard Bajolet, entendu par le juge en décembre 2018.