Une étude analytique du Mali socio -politique de l’ère démocratique serait certainement un sujet intéressant, révélateur et riche en enseignements. Qui s’y collerait ? Les sociologues sont, de prime abord, les mieux indiqués. Mais leur discrétion générale sur ce genre de réflexion semble indiquer qu’il n’est pas leur exercice de prédilection.
Il est vrai que la démarche, dans une approche empirique, parait déjà assez ardue, alors que la méthode dite scientifique, en l’absence de données statistiques fiables, devrait s’avérer un véritable casse-tête.
Or, il est de notoriété nationale que notre Mali, depuis son choix du système démocratique, excelle dans la marche à reculons. Notre démocratie, au fil des années, multiplie les mauvaises références et s’assimile davantage à un ersatz qu’à cette république civilisée pour laquelle des vies furent sacrifiées.
Alors qu’ils croyaient avoir atteint le fond avec le régime IBK, les Maliens, perplexes, voient poindre un pouvoir militaire qui ne s’embarrasse guère de forme.
La part prépondérante prise dans la composition du gouvernement de Transition, la prise de décrets pour la mise en place et la répartition des 121 sièges du Conseil National de Transition au bénéfice des militaires et, surtout, ces prises de décisions en l’absence de concertations avec la classe politique et les forces vives de la nation sont, à l’évidence, des signaux d’un régime militaire qui s’installe dans le diktat, donc dans le déni de démocratie.
Pour un coup d’Etat opéré sans coup férir (IBK, éreinté par les manifestations de rejet d’un peuple, dépité par une gouvernance mafieuse, étant alors sur le point de jeter l’éponge), la récompense est simplement hors de prix !
Mais les Maliens, s’ils n’y prennent garde, en verront certainement bien d’autres et pas de leur goût. D’où l’impératif de trouver des réponses appropriées à ces comportements anti-démocratiques, susceptibles de dégrader une transition, annoncée rédemptrice, en foire à la prévarication et à l’enrichissement facile.
La classe politique, qui a flairé la menace pour sa crédibilité, a délivré les messages idoines : le refus de postuler et de siéger au sein du Conseil National de Transition, la dénonciation des dérives et des incongruités administratives de la junte et de ses complices, l’appel aux forces vives à manifester et à s’opposer aux manœuvres d’accaparement du Comité National pour le Salut du Peuple (qui n’a pas été officiellement dissout), décidé à capitaliser au maximum son coup d’opérette.
Dans ce combat contre le dévoiement de la démocratie, la CEDEAO, qui cultive encore quelques préventions à l’égard d’une junte fortement représentée dans les institutions, pourrait, à l’occasion, jouer les gendarmes et rappeler que l’organisation communautaire ne saurait cautionner un pouvoir militaire, même camouflé sous des déguisements civils.
Cette chronique n’a pas la prétention de l’originalité, elle est essentiellement inspirée par la volonté d’élargir et de renforcer le chœur des nombreuses dénonciations et protestations élevées contre les l’irrespect affiché par le CNSP pour la démocratie malienne et la longue, difficile et opiniâtre lutte des populations et de la classe politique contre un régime népotiste, prévaricateur et corrompu. Ce combat, qui a coûté plusieurs vies, ne peut être passé pour pertes et profits.
La Transition aurait bien pu se passer de ces dissonances militaires. L’intermède politico-administratif, le troisième du genre pour notre pays, pourrait être l’occasion de cacophonies.
Si l’on laisse faire les militaires, si le gouvernement entretient l’illusion de pouvoir gérer les nombreuses revendications socio- professionnelles (qui sonnent comme des réactions à la posture adoptée par les ‘’Colonels’’), si l’on ne prend garde à la situation sécuritaire au Nord et au Centre, et, si, à défaut d’allonger un peu la Transition en vue de prendre véritablement en charge les multiples attentes, annoncées dans des moments d’euphorie, l’on ne redéfinit pas (en les restreignant) les missions assignées au gouvernement, il y a de fortes chances que la période de 18 mois prenne les allures d’une pétaudière.
Un Mali, plus nauséabond, pourrait alors nous apparaitre, sous les traits d’une population en déphasage avec les valeurs sociétales, qui ne sont déjà plus que pure illusion.
La première session 2020 de la Cour d’assises, retardées pour des raisons socio -sanitaires, et qui a traité deux cents dossiers, nous donne une lecture effarante de la dégradation des mœurs, surtout à Bamako, devenu le refuge de bandits, de brigands et d’individus sans foi ni loi.
Meurtres, vols, escroqueries, viols, pédophilie, trafic de drogues, du cannabis aux drogues les plus dures, tous les symboles de Sodome et Gomorrhe resurgissent dans la capitale, faisant d’elle l’une des villes les plus périlleuses d’Afrique.
Dès l’ouverture de la session 2020 de la Cour d’assises, Arizo Maïga, Procureur général de la République, avait mis le doigt sur les maux qui gangrènent notre société « la prédominance des infractions contre les personnes, suivies de celles contre les mœurs est nette. Signe évident que la violence est devenue le mode d’expression dans ses formes les plus abjectes des humains dans leur colère et dans leur désir d’assouvir leurs honteuses pulsions sexuelles. Mais, ce qui est davantage dramatique, c’est que les gens s’en émeuvent de moins en moins, quand ils ne les banalisent purement et simplement, en les balançant sur les réseaux sociaux »
Une lecture attentive du rôle de ces assises nous révèle aussi que les différentes infractions contre les personnes et les mœurs sont essentiellement le fait de nos compatriotes de l’intérieur, descendus à Bamako avec des rêves de vie facile, qui tournent généralement à la désillusion et à la tentation du vol, du viol et du meurtre.
Bamako, ville de plus en plus tentaculaire (avec environ 4 millions d’habitants), abritant toutes sortes de vices et de déviances, confiée à une police confinée au minimum, n’a plus besoin d’être poussée pour basculer dans la catégorie des agglomérations comme Lagos, Abidjan.
Mœurs politiques et mœurs sociales, lorsqu’elles n’obéissent pas à des règles bien définies et encadrées, peuvent conduire à des dérives regrettables.
La Transition devrait être attentive à ces risques de dérapage.
Mamadou Kouyaté – koumate3@gmail.com
Source : L’Independant