La semaine qui tire vers sa fin aurait pu être celle d’un réel soulagement pour notre pays, si la succession des bons signaux avait été conclue par la libération de Soumaïla Cissé. L’évènement, souhaité et attendu depuis quelque temps, surtout en début de semaine, a tenu les Maliens en haleine, avec cette forte sensation d’imminence entretenue par les médias.
Même si l’opinion nationale entretient encore l’espoir d’un recouvrement de sa liberté par le président de l’Union pour la République et la Démocratie, avant la fin de cette première décade d’octobre, il semble qu’elle devrait quelque peu refréner son impatience.
Alors que les conditions de l’échange ont été observées par la partie étatique (élargissement de centaines de jihadistes et présumés tels et, peut-être, paiement de rançon), les geôliers de l’ex-chef de file de l’opposition, eux, semblent obéir à des règles obscures qu’il est, pour le moment, difficile de décrypter. Tentation de renchérissement sur les termes du marché ? Précautions sécuritaires supplémentaires ? Besoin mesquin d’accentuer la pression psychologique découlant d’une position plus confortable de négociation ?
Le questionnement, consécutif aux lenteurs pour le dénouement d’une affaire que l’on croyait pliée, devrait trouver ses réponses seulement après le retour à Bamako de celui qui, avec les soldats sacrifiés sur les différents fronts de la lutte antijihadiste, est déjà en train de porter l’auréole de martyr de la République.
En attendant la bonne nouvelle de son retour effectif à Bamako, la société civile malienne devrait trouver du soulagement dans la réalisation de certains de ses vœux : la levée des sanctions de la CEDEAO, la mise en place du gouvernement de Transition, la publication de la nouvelle charte de la Transition.
Réfugiés favorables
Le geste de l’organisation sous- régionale, manifestation de sa sensibilité aux privations imposées aux populations et aux risques de déstabilisation économique d’un pays membre, de surcroit confronté à d’angoissantes difficultés intérieures, est la conclusion d’un bras de fer que la naïveté manœuvrière du Comité National pour le Salut du peuple a inutilement fait durer, au point que l’opinion en était arrivée à prêter aux putschistes des intentions aux antipodes du ‘’Salut’’ du peuple.
Libéré du carcan de l’embargo de la CEDEAO, le Mali, sous l’impulsion de son gouvernement de Transition, voit donc ses horizons s’éclairer.
Ils devraient surtout s’élargir avec la prise à bras le corps de l’attelage péniblement mis en place par le Premier ministre, Moctar Ouane qui a dû mettre en branle toute son expérience des négociations et sa crédibilité en jeu pour contenir les ambitions débordantes de la junte.
A l’arrivée, un Gouvernement de Transition qui a de la ‘’gueule’’. Une assez belle allure, conférée par la présence d’hommes et de femmes ayant à leur crédit un parcours technocratique généralement réussi. Les Maliens, volontiers ronchonneurs, ont accordé des préjugés favorables à la nouvelle équipe gouvernementale.
A charge pour celle-là de se montrer effectivement à la hauteur des attentes. Emergeant d’une longue période de prévarication, le peuple aspire enfin à voir la lumière d’une bonne gouvernance. Celle qui contribuera à la réviviscence d’une République modèle, porteuse de valeurs démocratiques et citoyennes.
Le régime défunt, ayant fait perdre ses dernières illusions à la population, en piétinant l’essentiel des références d’une gestion vertueuse des affaires publiques, c’est à des travaux d’Hercule que sera soumise l’équipe de Moctar Ouane.
En effet, l’œuvre de rédemption républicaine, à laquelle sont appelés les nouveaux gouvernants, devra être la plus proche possible des aspirations populaires. Elle sera, à cet égard, réformatrice et exemplaire.
Les réformes à mener, déjà largement cernées et bien exprimées lors des différentes concertations inclusives, devront constituer les garde- fous idoines à la persistance des tares et lacunes ayant entrainé notre système démocratique et l’administration de nos affaires publiques dans des errements inadmissibles et révoltants.
République civilisée
Sans donner dans les slogans d’un autre temps, le Premier ministre Moctar Ouane et son gouvernement sont ainsi « investis de la responsabilité historique » de conférer au système politique et à l’Administration du pays les règles d’une République civilisée et respectueuse de ses lois.
Si l’on en juge par le ton et le contenu du discours tenu aux ministres, lors du premier conseil de cabinet, tenu le mardi 6 octobre à la Primature, Moctar Ouane a pris la pleine mesure des exigences de la mission de redressement national confiée à son gouvernement.
L’observation des trois principes de fonctionnement du gouvernement (Engagement, Détermination et Solidarité) sera ainsi jugée à travers l’accomplissement des huit missions capitales déclinées par la Charte de la Transition, notamment le rétablissement et le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, le redressement de l’Etat et la création des conditions de base pour sa refondation et la promotion de la bonne gouvernance.
Les atouts de l’équipe face à ses grands enjeux résident, outre ses qualités intrinsèques et supposées, dans les dispositions positives de l’opinion nationale à l’égard des changements à mener, les élans de solidarité de la communauté internationale pour le pays, déjà manifestés par la mansuétude de la CEDEAO et l’appui budgétaire de l’Union Européenne à la Transition d’un montant de 40 milliards de F CFA et l’engagement de la même institution à participer au financement des prochaines élections générales.
La multiplication des gestes de solidarité, le renforcement et la qualité de la coopération internationale à l’égard du Mali seront fonction des preuves du sérieux et de l’engagement dont fera montre le gouvernement au fil de la transition.
Le Mali va-t-il enfin être porté par un bon vent et jusqu’au bout de la Transition ?
Double épée de Damoclès
A condition que le Premier ministre et ses hommes sachent se prémunir contre la double Epée de Damoclès représentée par le M5-RFP, tenté de perpétuer le combat qui a été fatal au régime IBK, cette fois-ci pour réparer l’injustice dont il a été victime, à travers l’ostracisme qui l’a frappé. Certes, le dribble du CNSP, évoqué par Cheick Oumar Sissoko, a été particulièrement déstabilisant, en contribuant à éjecter le Mouvement du schéma général de redressement national, ignorant ainsi totalement le rôle prépondérant joué par ce dernier dans la survenue du nouveau contexte socio politique.
Mais n’est-il pas davantage constructif de rechercher avec le gouvernement les voies d’un rapprochement des vues que de déclencher une épreuve de force susceptible de briser l’élan porteur en train de chercher ses appuis ?
Le CNSP, dont la dissolution n’est pas encore formellement prononcée, représente toujours une source de menace pour l’équilibre de la nouvelle formation gouvernementale. Surtout si, comme le préjuge encore l’opinion nationale, la composition du gouvernement ne correspond pas à toutes ses visées.
Ainsi, par une ironie de l’histoire, les deux forces à la fois opposées et revendicatrices du renouveau malien, pourraient bien être celles par lesquelles la belle lune de miel malienne pourrait tourner au désastre.
Qu’à Dieu ne plaise !
Mamadou Kouyaté
koumate3@ gmail. Com
Source : l’Indépendant