Mesdames, Messieurs, bonjour,
J’aimerais commencer par vous saluer et faire mention de votre courage à exercer le droit à l’information en dépit de cette situation assez particulière. Je suis particulièrement heureux de la tenue de ce point de presse aujourd’hui. C’est la deuxième fois que je suis invité à intervenir sur la situation des droits de l’homme dans cette période marquée par le Covid-19. Ceci démontre que la MINUSMA en général, et la Division des droits de l’homme en particulier continuent à mettre en œuvre le mandat que le Conseil de Sécurité des Nations unies lui a donné. C’est dans ce cadre que la MINUSMA a été mandatée pour vérifier, surveiller et observer la situation des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire national et aussi de faire rapport à ce sujet. L’exercice d’aujourd’hui n’est pas un rapport de la MINUSMA qui est beaucoup plus élaboré et complet. Ici, nous voulons donner une vue générale sur les tendances des violations et abus de droits de l’Homme au Mali depuis janvier 2020. C’est un rapport trimestriel qui met l’accent sur les abus commis et les violations pendant le premier trimestre 2020.
L’objectif principal de cette note est de donner un aperçu global de la situation des droits de l’homme telle que nous l’avons observée à travers nos enquêtes sur le terrain, les missions d’établissement des faits et des rapports de situation. J’aimerais insister sur le fait qu’en dehors du Covid-19, la Division des droits de l’homme a renforcé sa manière de travailler même à distance. Nous vérifions les informations à distance ex situ à travers les réseaux que nous avons, soit en allant sur le terrain pour corroborer, in situ. En plus de cela, nous utilisons les nouvelles technologies pour vérifier et confronter les informations.
Permettez-moi d’abord de rappeler le contexte de la situation générale dans laquelle les abus et les violations des droits de l’homme ont été commis. Au cours du premier trimestre, la situation des droits de l’homme est demeurée très préoccupante aussi bien dans le Nord, que dans le Centre du pays. Elle a été caractérisée d’une part par les attaques récurrentes des groupes armés, la persistance des violences armées intra et intercommunautaires dans le Centre du pays, région de Mopti et de Tombouctou, et d’autre part, par la multiplication des exécutions sommaires et disparitions forcées ou involontaires lors des opérations militaires et de sécurisation des forces de défense et de sécurité maliennes.
BILAN
Avant toute chose, je voudrais préciser que les chiffres qui vont être présentés font seulement référence aux cas de violations et abus des droits de l’homme corroborés et confirmés par la Division des droits de l’homme et de la protection. A cet égard, les nombreux incidents sécuritaires qui ne constituent pas des violations ou abus des droits de l’homme, ainsi que de nombreuses allégations non corroborées, n’ont pas été pris en compte ici.
Ainsi, la MINUSMA a documenté entre le 1er janvier et le 31 mars, 232 incidents sécuritaires sur l’ensemble du territoire national dont 190 ont eu un impact direct sur la situation des droits de l’homme et du droit international humanitaire et ont causé la mort de 380 personnes, dont 16 enfants et 8 femmes. La Division a noté avec préoccupation que 82% des personnes tuées, soit un total de soit 315 personnes, ont été recensées dans les seules régions de Mopti (262) et Ségou (53).
Au total, 598 violations et abus des droits de l’homme ont été documentés au cours de la période en revue. Ces chiffres sont en hausse de 61,21% par rapport aux violations et abus documentés au cours du trimestre précédent (octobre à décembre 2019), où la Division a enregistré 232 violations et abus de droits de l’homme ayant causé la mort d’au moins 119 personnes.
Quels sont les facteurs qui expliquent ces abus et violations ? Nous en avons retenu trois majeurs. D’abord la multiplication des attaques des groupes armés au Nord et au Centre du pays. Le cycle de représailles de plus en plus fréquent entre les membres des communautés peul et dogon et l’implication des Forces de défense et de sécurité maliennes dans des cas d’exécutions sommaires extrajudiciaires et des disparitions forcées ou involontaires.
D’autres facteurs peuvent expliquer cette tendance à la hausse, notamment l’impunité dont jouissent les auteurs des violations et abus des droits de l’homme, notamment sur les cas emblématiques. Certains auteurs identifiés dans l’attaque d’Ogossagou 2 ont été aussi impliqués dans l’attaque de la même localité qui avait eu lieu un an auparavant. La tenue des élections législatives a aussi donné lieu à de nombreux incidents ayant un impact sur la situation des droits de l’homme.
AUTEURS
Quant à la question de savoir qui étaient les auteurs de ces violations et abus, la MINUSMA a pu établir qu’ils ont été perpétrés, à des degrés divers, par les groupes extrémistes violents (Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar Eddine, la Katiba Macina, Jama’at nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), Al Mourabitoune et autres groupes similaires, les Groupes armés signataires et non-signataires notamment la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA/D), les milices et groupes d’autodéfense notamment Dan Nan Ambassagou et les chasseurs traditionnels dozos, mais aussi les Forces de défense et de sécurité maliennes ainsi que le G5 Sahel et les Forces internationales.
Sur les 598 violations et abus documentés au cours de la période, 103 sont imputables aux groupes extrémistes, 69 aux groupes signataires et non signataires tandis que les milices et les forces de défense et de sécurité se sont rendus respectivement responsables de 218 et 165 violations et abus. En ce qui concerne le G5 Sahel, il a été responsable de 18 violations des droits de l’homme. Les forces armées nigériennes ont commis quant à elle 34 violations.
Comme vous le savez peut-être déjà, conformément au mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies 2480 (2019), le Centre du Mali est une priorité stratégique pour la MINUSMA. Il est donc important de préciser ici que la région de Mopti a été la plus affectée par ces violations et abus. Sur les 598 violations et abus documentés, 325 ont été perpétrés dans la région de Mopti suivie des régions de Ségou (83), Tombouctou (48), Kidal (45), Ménaka (41), Gao et Bamako 28 chacun.
J’aimerais aussi mettre l’accent sur le travail de la division des droits de l’homme pendant les élections. Au premier comme au second tour, en dépit du Covid-19, la Division des droits de l’homme a continué à surveiller les abus et violations des droits de l’homme qui ont été commis dans le cadre du processus électoral. Lors du premier tour, la Division a documenté de multiples cas d’atteintes sérieuses aux droits de l’homme qui ont affecté le droit de vote des populations, principalement dans la région de Gao, Kidal, Ménaka, Mopti et Tombouctou. Au total, 14 abus des droits de l’homme ont été documentés en l’occurrence, le meurtre, des cas d’enlèvement ou de disparition forcée et involontaire dont le cas emblématique de M. Soumaïla Cissé et de certains membres de son équipe. Nous avons aussi enregistré 3 cas de torture et de mauvais traitement ainsi que plusieurs cas d’intimidation et de menace de la population, de l’obstruction au droit de vote, notamment par la disparition du matériel électoral. Ces actes ont été imputables aux groupes extrémistes violents, aux groupes armés signataires et non signataires et les groupes d’auto-défense chasseurs traditionnels. Dans la période électorale, les Forces de défense et de sécurité n’ont pas été impliquées dans une violation liée au processus électoral. Nous n’avons pas pu donner le chiffre global des violations liées au processus électoral car il est très difficile de quantifier combien de personnes ont été victimes d’intimidation, combien de personnes n’ont pas pu exercer leur droit de vote du fait de la terreur et de l’intimidation.
QUALIFICATION
Les faits documentés, constituent des atteintes graves aux droits de l’homme, notamment des cas de meurtres et d’exécutions extrajudiciaires, des atteintes à l’intégrité physique, des cas de torture et de traitement inhumain ou dégradant, ainsi que des cas d’enlèvement, de menace et d’intimidation ainsi que des atteintes au droit à la propriété. Ces cas peuvent être sanctionnés par les cours et tribunaux maliens.
REPONSES DU GOUVERNEMENT
La MINUSMA a noté avec beaucoup d’attention que les autorités ont ouvert des enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises par les Forces de défense et de sécurité maliennes. Ici, il est important de signaler que la Division des droits de l’homme a eu un dialogue permanent avec l’Etat-major général de l’Armée malienne en termes d’échange d’information, mais aussi avec la justice pour mobiliser l’assistance de la MINUSMA pour mener des enquêtes. La MINUSMA voudrait ici encourager les autorités compétentes à matérialiser l’ouverture de ces enquêtes par la poursuite de tous les auteurs devant les tribunaux compétents.
C’est ainsi donc que se présente la situation des droits de l’homme au Mali sur le premier trimestre de l’année 2020. Il ne faudrait pas que la crise du Covid-19 nous distraie, alors que les abus et violations continuent et que les groupes extrémistes continuent à en commettre. La situation des droits de l’homme au Centre du Mali est très préoccupante.
Avant de conclure, je voudrais brièvement souligner le travail de la Division pour la promotion et la protection des droits de l’homme au Mali.
La MINUSMA a conduit deux enquêtes spéciales : l’une dans le village de Synda (cercle de Douentza), les 24 et 27 janvier suite à l’exécution de 14 personnes de la communauté peule, et l’autre à Ogossagou (cercle de Bankass), le 24 février 2020 suite à l’exécution de 35 membres de la communauté Peule. Nous avons récemment documenté tous les abus des droits de l’homme imputés aux milices peules visant les communautés dogons. La MINUSMA a également fourni une assistance logistique et technique aux enquêteurs maliens chargés de conduire des investigations dans la localité de Malemana où en décembre 2019, 26 personnes arrêtées par les FAMa avaient été portées disparues.
Je reconnais ici la pleine collaboration et coopération des autorités militaires et judiciaires dans l’exécution de notre mandat. La Division des droits de l’homme continuera à observer et surveiller la situation des droits de l’homme au Mali.
Source : MINUSMA