À écouter le discours de Florence Parly à Dakar, on a le sentiment que le Mali est la propriété privée des Français, que Paris est le père des Africains et que ces derniers n’ont jamais grandi.
Pendant les cérémonies du jour des expiations (Yom Kippourim) dans le sanctuaire, Aaron, le Grand prêtre tirait au sort deux boucs : l’un pour Yahvé et l’autre pour Azazel. Le premier était sacrifié pour le pardon des péchés. Quant au second, il était envoyé et abandonné vivant dans le désert. Celui-là était symboliquement chargé de tous les péchés d’Israël (Lévitique, chap 16, 7-23). Je ne sais pas si Florence Parly, ministre française des Armées, connaît cette histoire du “bouc-Azazel”. Toujours est-il que, dans ses discours, elle ne se prive guère d’accuser la Russie de tout ce qui ne va pas au Mali et en Centrafrique. Même les péchés de son pays en Afrique (crimes contre l’humanité, soutien à des régimes autoritaires et sanguinaires, pillage des matières premières sans aucune amélioration des conditions de vie des populations, incapacité à chasser les terroristes du Sahel), elle préfère lui en faire porter le chapeau. Le 7e forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique (6 décembre 2021) n’a pas fait exception à la règle. Qu’est-ce que Florence Parly y a dit ? Doit-on prendre pour argent comptant les déclarations de son pays sur le groupe de sécurité Wagner ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce discours plein de menaces et de morgue ?
Les mensonges de Parly
La ministre francaise déclare que, “ si la France et ses partenaires s’opposent à Wagner, c’est qu’ils ont vu, en République centrafricaine, leur potentiel déstabilisateur, leurs exactions contre les populations, la perte de souveraineté de l’État, la prédation des ressources, l’échec sur le plan opérationnel et les intérêts particuliers et pécuniaires qui sont placés au-dessus de celui des populations ”. Mais qui sont ces partenaires dont les noms ne sont pas dévoilés ? Ce qui est clair, en revanche, c’est que, entre août 2018 et mars 2020, les gouvernements suédois, britannique, danois, tchèque et estonien ont accepté de soutenir l’opération Barkhane en mettant à sa disposition respectivement 150, 90, 70, 60 et 50 hommes. Avouons que c’est une maigre contribution à côté des 4500 militaires français ! Allemands et Espagnols n’ont offert que de la logistique. Ils ont refusé que leurs soldats participent à cette aventure, peut-être parce qu’ils la jugent ambiguë.
Mme Parly dit-elle vrai quand elle accuse le groupe Wagner de déstabiliser les pays où il est engagé, de piller les ressources naturelles de ces pays, de commettre des exactions contre leurs populations et d’agir contre la souveraineté nationale ? Non ! Quel est alors le problème de la France ? Que masque le fait de projeter sur les autres ses propres turpitudes ? Pourquoi les dirigeants français aiment-ils diaboliser les autres ? Pourquoi ne se sentent-ils jamais responsables de leurs actes ? Et pourquoi se refusent-ils à faire repentance pour les nombreux crimes perpétrés par leurs soldats sur le continent africain ? Un pays peut vieillir sans mûrir. Assumer ses fautes, demander pardon pour le mal qu’on a fait consciemment ou inconsciemment, c’est cela la maturité. La projection et le déni n’ont jamais fait la grandeur d’un peuple. Ne pas reprocher à l’autre ce qui nous appartient, ne pas projeter sur lui nos fantasmes, chercher à comprendre d’où vient ce sentiment anti-français qui se propage progressivement comme un feu de brousse et essayer de rectifier le tir, c’est mûrir ou grandir. La France n’a jamais accepté qu’elle puisse se tromper. Or nul n’est infaillible. Nous avons tous nos défauts et nous commettons tous des erreurs. Les admettre, c’est grandir et favoriser des relations apaisées avec celui qu’on a offensé. Charger Wagner de tous les péchés d’Israël, en faire un bouc-émissaire, est non seulement contraire à la vérité mais contre-productif car ce n’est pas Wagner qui massacra les 300 tirailleurs africains à Thiaroye le 1er décembre 1944. Wagner n’est responsable ni des 64 jeunes Ivoiriens assassinés le 6 novembre 2004 devant l’Hôtel Ivoire d’Abidjan, ni du bombardement de la résidence présidentielle ivoirienne en avril 2011. Ce n’est pas la Russie qui exploite depuis des années l’uranium du Niger, pays classé parmi les plus pauvres de la planète. Ce n’est pas Vladimir Poutine qui soutient les dictateurs et le 3 e mandat anticonstitutionnel. Le franc CFA, qui appauvrit les Africains tout en enrichissant la France, n’est pas fabriqué en Russie.
Un paternalisme qui refuse de mourir
À écouter le discours prononcé par Florence Parly à Dakar, on a le sentiment que le Mali est la propriété privée des Français, que la France est le père et la mère des Africains et que ces derniers n’ont jamais grandi. Or, en famille, même les parents laissent les enfants devenus majeurs voler de leurs propres ailes. Lorsqu’un père continue de faire les choses à la place de son fils de 60 ans, cela signifie que c’est lui-même qui n’a pas grandi. La France aura vraiment grandi, elle se sera décolonisée, quand il n’y aura plus de soldat français en Afrique, quand ses dirigeants ne mettront plus à mal les souverainetés politique et monétaire des États africains en s’ingérant de façon grossière dans leurs affaires internes.
Et puis, si la lutte contre le terrorisme est vraiment le but de la présence française dans les pays sahéliens, pourquoi la France devrait-elle craindre le groupe russe Wagner qui veut, lui aussi, débarrasser cette partie du continent des jihadistes ? Un proverbe africain dit qu’abondance de viande ne gâte pas la sauce, bien au contraire.
Il y a quelques mois, Emmanuel Macron souhaitait que les présidents africains du G5 Sahel clarifient leur position par rapport à Barkhane. Aujourd’hui, on a envie de lui demander pourquoi son pays s’obstine à rester en Afrique, pourquoi lui qui se croit si intelligent ne comprend pas que “tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi” (Nelson Mandela). Je suppose que c’est pour notre bonheur que nos “amis” ou “parents” français s’entêtent à demeurer dans nos pays mais peut-on faire le bonheur des gens contre leur volonté ? Hitler promettait 1 000 ans de paix et de bonheur. Les Juifs et les pays européens occupés par les troupes nazies se souviennent encore du coût humain de ce bonheur. Staline, Mao et les Khmers Rouges pensaient, eux aussi, détenir la clé d’un bonheur collectif. On a vu ce que cela a donné. Non, le bonheur n’est ni imposé, ni octroyé. C’est chaque homme, chaque peuple, qui choisit comment il peut être heureux. Me reviennent ici en mémoire les propos d’Alain et d’Aristote. Pour le premier, “l’homme s’ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis”. Le second faisait remarquer que “je ne peux être heureux sous la torture ou si l’on torture mes proches” (cf. ‘Éthique à Nicomaque’).
En conclusion, je voudrais écrire ceci : le discours de Mme Parly au 7e forum de Dakar n’est pas seulement mensonger. Il est aussi inutilement menaçant. Menaces inutiles car la France peut-elle militairement battre et déloger la Russie si cette dernière décide de rester au Mali ? Réussira-t-elle à convaincre cette jeunesse africaine qui de plus en plus laisse entendre qu’elle est fatiguée de la duplicité, de l’arrogance, du paternalisme et de l’incompétence de la classe politique française ? La question que ne sait plus dissimuler cette jeunesse consciente et politisée est la suivante : Amitié-là, est-ce que c’est forcé ?
Source : L’Aube