Le bilan reste encore inconnu à ce jour. Le dernier qui a été rendu public par le Secrétaire général du ministère de la Santé fait état de 11 morts et de 158 blessés. Ce qui est absolument inadmissible. Mais du côté du M5, les chiffres sont tout autres et ils évoluent jour après jour. De 17 morts annoncés le jour de l’enterrement de certaines victimes de la répression, le nombre est passé à 23 puis à 33 selon Issa Kaou Djim. Même un mort est trop à plus forte raison 11, 17, 23 ou 33. Lénine disait qu’« un mort est une tragédie ; 100 morts, ce sont des faits divers ». Afin d’éviter que nos morts ne soient considérés comme des faits divers, il faudra situer toutes les responsabilités. Parce que dans l’histoire du Mali démocratique, c’est la première fois que des manifestants sont réprimés et tués à balles réelles. Mais avant Bamako, il y a eu Sikasso avec deux morts et Kayes avec trois morts. Et comme il n’y avait pas eu enquêtes à plus forte raison sanctions, les forces de l’ordre ont remis le couvert sanglant.
« Qui a tiré ? », « qui a donné l’ordre de tirer ? », très tôt ces questions ont surgi, nous renvoyant au procès Crimes de Sang. Les responsables du M5 ont vite fait d’accuser la FORSAT, la Force anti-terroriste. Celle-ci a été créée dans un but bien précis et les conditions de son engagement son connues. Seul le ministre chargé de la Sécurité intérieure est habilité à les mobiliser. Or, au moment des faits, il n’y avait pas de ministre parce qu’il n’y a pas de gouvernement, depuis le 11 juin.
La Panique du PM. On en était aux supputations et au raidissement de la position du M5 quand le Premier ministre a écrit une lettre confidentielle, 4 jours après les tueries. Il affirme qu’il « lui est revenu de constater que la Force Spéciale Anti-terroriste (FORSAT) a été employée lors des opérations de maintien d’ordre du 10 juillet et jours suivants ». Le Premier ministre instruit au ministre de procéder aux investigations nécessaires afin qu’on lui dise « les raisons de l’engagement de la FORSAT, l’autorité ayant ordonné l’engagement de la FORSAT et le respect ou non de la procédure prévue en la matière ». Signe de panique du Premier ministre pour les uns, flottement au sommet de l’État pour les autres, la lettre vient confirmer au moins que la FORSAT a été utilisée lors des manifestations. Il y a eu une tentative assez maladroite de certains milieux d’accuser la BAC, la Brigade Anti-Criminalité, mais aujourd’hui tout porte à croire que les agents qui ont réprimé dans le sang les manifestants sont connus. Les condamnations fusent de tous les côtés, tant à l’interne que sur le plan international. Tout le monde réclame la lumière autour de ces tueries. Le Premier ministre a annoncé l’ouverture d’une enquête. En l’absence de ministre de la Sécurité, il y a fort à parier que Boubou Cissé sera entendu sur sa responsabilité dans la mobilisation ou le non retrait de la FORSAT.
Une ambiance surchauffée. Il faut reconnaître qu’avant les tueries du 10 juillet et jours suivants, un dérapage selon le PM, l’atmosphère était délétère. Certains responsables du M5, à diverses occasions avaient clairement conditionné leurs partisans à l’affrontement. En effet, lors d’un meeting tenu le 29 février 2020 au Palais de la Culture, l’imam Dicko projetait d’organiser une manifestation le vendredi 5 mars. Il avait demandé aux Maliens, de Kidira à Kidal, de sortir massivement, qui avec son coupe-coupe, qui avec sa hache, qui avec son gourdin. Dans un ton guerrier qu’on ne lui connaissait, l’imam a incité les populations à sortir car, selon lui, ça va être le jour du Yawm Al-Fourqân (le jour du discernement). « Ceux qui doivent mourir vont mourir ; ceux qui doivent être blessés seront blessés, ceux qui doivent survivre survivront » déclarait un Dicko emporté par son discours. Il pourra toujours dire que ses propos ont dépassé sa pensée. Le jour où la manifestation a dégénéré, tout le monde a entendu Issa Kaou Djim instruire à ses militants de prendre d’assaut l’Assemblée nationale, l’ORTM et la Primature. Tout comme on a entendu Mme Sy lire les 10 commandements de la désobéissance à la foule. Il faut croire que celle-ci n’avait rien compris. Chacun sera en face de ses responsabilités et répondra de ses actes. Même si, c’est bon de le signaler avec insistance, rien ne saurait justifier que l’on tire à balles réelles sur des manifestants.
Ali Kéita
Source : Nouvelle République