Sans nécessairement dénier toute avancée à l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992, le constitutionnaliste Dr. Brahima Fomba a préféré dans cette contribution, se focaliser sur ses insuffisances, ses incohérences, et surtout sur les innombrables interrogations qu’il suscite. Comme il a eu à le soutenir, Dr. Fomba considère toujours, au regard des tares de l’avant-projet de révision passé aux cribles que cette deuxième tentative est condamnée à un échec aussi lamentable que celle de 2017. Ainsi donc, la montagne de la diversion, des faux-fuyants et surtout des concertations folkloriques du Comité d’experts, n’aura finalement accouché que d’une souris !
Dans le double contexte d’un Etat qui se veut souverain et institutionnellement démocratique, nul Président de la République, y compris avec son armada de soutiens étrangers, ne peut impunément embarquer tout un peuple dans la mise en œuvre d’un agenda dans lequel celui-ci ne se reconnaît guère. La nouvelle révision constitutionnelle du Président IBK est un agenda mal ficelé d’autant plus voué à l’échec que dans le fond et la forme, on se rend bien compte qu’il suit le même chemin de traverse qui avait conduit à l’impasse de la tentative de 2017.
Une révision viciée dans la forme par le 118-3 de la Constitution : de l’«insécurité résiduelle» de Manassa à la «souveraineté résiduelle» du Mali
L’article 118 de la Constitution dispose à l’alinéa 3 qu’«aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire». Ce 118-3 implique que quelle que soit la nationalité des forces d’occupation du territoire l’atteinte à l’intégrité territoriale qui en résulte interdit toute procédure de révision constitutionnelle, afin d’empêcher des modifications éventuelles qui n’auraient peut-être pas pu été envisagées en temps normal. Le lamentable avis de la Cour constitutionnelle de Manassa Danioko opinant sur la question s’est littéralement planté comme un petit débutant en Droit. La scandaleuse «insécurité résiduelle» explique éloquemment la «souveraineté résiduelle» actuelle du Mali qui ne fait pas honneur à l’avis de la Cour constitutionnel.
En réalité, le 118-3 est l’ange-gardien de la Constitution qu’elle protège contre les tentatives de soumission de l’Etat à des chantages en vue d’extorquer de lui des modifications qui s’assimilent à des rançons. L’article 118-3 a été pensé pour empêcher la prise en otage juridique de l’Etat malien. Depuis l’invasion barbare du nord du Mali en 2012 par des groupes rebelles armés aux velléités sécessionnistes affichées face à la République souveraine du Mali, l’Etat agonise sous le poids d’un régime de partage de souveraineté et de parcelles territoriales avec eux.
Le projet de révision constitutionnelle n’est pas crédible au regard de la persistance aggravée de ces situations d’atteintes répétées à l’intégrité du territoire que nul ne peut contester. Si l’alinéa 3 n’est pas qu’une disposition superflue condamnée à la caducité, il est évident que la nouvelle aventure présidentielle de révision constitutionnelle est dos au mur face à la persistance de l’atteinte à l’intégrité territoriale du Mali.
Une révision parrainée par la «communauté» internationale
Contrairement aux deux premières tentatives des Présidents Alpha et ATT qui furent d’inspiration authentiquement nationale, la révision que le Président IBK s’évertue depuis 2017 à imposer au peuple souverain du Mali est une révision par procuration délivrée par la «communauté» internationale. Il est affligeant de constater autant d’ingérences étrangères dans cette affaire de révision constitutionnelle que ne justifient nullement de simples préconisations exprimées dans un Accord que ne partage nullement le peuple malien qui n’a, à aucun moment, été associé à son grotesque montage. Il est totalement faux et même franchement insultant pour le peuple malien d’entendre des élucubrations diplomatiques soutenir que la révision est une demande collective des Maliens et qu’elle est utile pour l’ancrage de la démocratie.
De quelle demande collective et de quel ancrage démocratique parle-t-on ? Pourquoi la «communauté» internationale qui fait l’apologie de la souveraineté du Mali se croit-elle fondée, à travers des menaces à peine voilées, à décider de ce qui convient au peuple malien en rapport avec des questions constitutionnelles de souveraineté ? En vertu de quoi la «communauté» internationale peut-elle s’octroyer le droit de contraindre un Etat souverain à réviser sa constitution y compris en décidant de ce qu’il doit y mettre comme un Sénat dicté par un Accord imposé de l’extérieur en lequel le peuple du Mali ne se reconnaît guère ?
Tout se passe comme si dans la tête du Président IBK et de ses parrains étrangers, la révision constitutionnelle est chose acquise dès lors qu’un semblant de référendum peut s’organiser pour mettre en forme les tripatouillages constitutionnels programmés pour le Mali. Cette révision n’est ni plus ni moins qu’une entreprise de confiscation de la souveraineté nationale du Mali par l’infime fraction du peuple constituée des groupes armés qui s’en attribuent l’exercice. Ils tentent ainsi d’imposer à la Constitution du Mali des modifications taillées sur mesure rien que pour satisfaire leurs désidératas catégoriels contenus dans l’Accord d’Alger.
De nouveaux alinéas maladroitement rafistolés sur des articles
C’est le cas de l’article 1er de la Constitution ainsi libellé : «La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne». À cet article, ont bizarrement été greffés deux alinéas nouveaux relatifs au mariage et à la famille :
Alinéa3 (Nouveau) : «Le mariage et la famille constituent la base naturelle et morale de la communauté nationale. Ils sont placés sous la protection de l’Etat» ; Alinéa 4 (Nouveau) : «Le mariage est une union entre un homme et une femme dans les conditions définies par la loi. Le mariage forcé est prohibé et puni par la loi». Ces deux alinéas n’ont pas de cohérence avec l’article 1er qu’ils sont censés compléter.
On retrouve la même incohérence entre l’article 4 de la Constitution et l’alinéa 2 (Nouveau) qu’on y a inséré. L’article 4 dispose : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi». Le nouvel alinéa greffé dispose que «le droit d’accès à l’information publique et aux documents administratifs est garanti dans les conditions fixées par la loi». Enfin, de la pire manière, l’article 13 (Nouveau) par son anachronisme qui ne s’explique que par l’obsession de vouloir à tout prix insérer l’Accord d’Alger dans la Constitution, symbolise l’incohérence entre le texte original et les rajouts opérés par les nouveaux alinéas.
L’article 13 de la Constitution dispose : «Le droit de propriété est garanti. Nul ne peut être exproprié que pour cause d’utilité publique et contre une juste et préalable indemnisation». À cet article, ont été greffés dans l’anachronisme deux alinéas (Nouveaux). Ainsi de manière pernicieuse, on a fait glisser l’article 13 du thème du droit de propriété privée à celui du «droit de propriété publique» sur la base de la souveraineté de l’Etat sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol comme si cela n’allait pas déjà de soi : «Les ressources naturelles du sol et du sous-sol sont la propriété du peuple malien. L’Etat exerce sa souveraineté sur lesdites ressources».
Le vagabondage terminologique autour de la notion d’autorité traditionnelle
Comme une obsession, l’avant-projet de loi constitutionnelle se livre à une sorte d’apologie du «traditionnel» qui se nourrit de l’illusion conservatrice importée d’Alger selon laquelle les autorités traditionnelles seraient des institutions magiques qui vont gommer d’un trait toutes les tares de la gouvernance au Mali. C’est sans doute à cause de cette obsession que l’avant-projet de loi constitutionnelle s’est égarée dans la confusion terminologique qualifiant à la fois les autorités traditionnelles de «chefferie traditionnelle» dans le Préambule, d’«autorités traditionnelles et coutumières» à l’article 36 (Nouveau) alinéa 6, de «chefferie traditionnelle» aux articles 70 (Nouveau), 75 (Nouveau) et 102 (Nouveau). C’est la preuve de la manipulation d’un concept autrement plus complexe pouvant recouvrir plusieurs réalités. Même la communication officielle du Président IBK qui parle d’«autorités traditionnelles, coutumières et religieuses» n’est pas exempte de ce vagabondage terminologique qui ne mène qu’à de la confusion.
En vérité, le terme d’«autorité traditionnelle» est polysémique eu égard à la richesse socio-culturelle de notre pays et il n’est pas évident que le vagabondage terminologique qui caractérise l’avant-projet de révision puisse contribuer à une meilleure appréhension du concept. Comment opérer une reconnaissance constitutionnelle à des autorités qui ne sont pas clairement définies par l’avant-projet de révision ?
Le nouveau scandale du serment présidentiel
On se demande finalement pourquoi les révisions constitutionnelles du Président IBK en veulent tant à l’article 37 de la Constitution relatif au serment présidentiel qu’elles s’évertuent à amputer de membres de phrases. On se souvient du scandale de la suppression en 2017 de la partie faisant obligation au Président de la République de «garantir l’indépendance de la patrie et l’intégrité territoriale».
Le serment connaît un nouveau tripatouillage. On constate que dans l’avant-projet de révision, un membre de phrase et non des moindres, a été biffé du serment. Il s’agit du membre de phrase par lequel le Président jure de «respecter et de faire respecter la Constitution». En biffant ce membre de phrase du serment présidentiel, l’avant-projet entend-il dédouaner le Président IBK de l’obligation de «respecter et de faire respecter la Constitution?» Quel est l’objectif visé par cette suppression si ce n’est de constitutionnaliser la pratique déviante consistant de la part du Président IBK à prendre de la liberté par rapport à la Constitution. N’a-t-il pas signé l’Accord inconstitutionnel d’Alger alors que la Constitution n’autorise nullement le Président de la République à prendre un engagement quelconque qui comporterait une clause qui lui soit contraire.
Ne vient-il pas, comme si cela ne suffisait pas, d’engager la présente révision constitutionnelle dans le mépris absolu du 118- 3 de la Constitution ? L’obligation de respecter et de faire respecter la Constitution de peser sur le Président de la République.
Dr. Brahima FOMBA
Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)
Source: Le Reporter