Le président Emmanuel Macron a donné des précisions sur le remodelage de la force Barkhane. C’était à l’occasion du sommet du G5 Sahel, au cours duquel il a eu des échanges avec les dirigeants sahéliens par visioconférence. Une nouvelle situation à laquelle les armées de la coalition sahélienne devront s’adapter
D’ici le début de l’année 2022, les emprises de la force Barkhane à Kidal, Tessalit et Tombouctou seront fermées. Une étape clé de la reconfiguration de la force expéditionnaire française qui entamera sa mue dès le second semestre de cette année, après huit années d’engagement massif au bilan mitigé.
À terme, ils seront entre 2.500 à 3.000 militaires français au Sahel, contre 5.100 actuellement, dont l’essentiel opère au Mali. Ce dispositif resserré devra poursuivre, au sein de la Task force Takuba, le combat contre le terrorisme, en soutien aux armées sahéliennes.
Le président français a donné ces précisions sur le retrait progressif des troupes françaises, lors du Sommet virtuel qui a réuni, vendredi dernier, les chefs d’État du G5 Sahel. Le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, y a pris part. Une première pour lui, tout comme pour Mohamed Bazoum du Niger et le général Mahamat Idris Deby Itno du Tchad qui assure actuellement la présidence de la coalition sahélienne.
En recentrant le dispositif français autour de la Task force Takuba, encore à l’état embryonnaire avec environ 600 éléments, Paris espère une « internationalisation » des efforts d’accompagnement au combat des forces armées sahéliennes, sous-équipées et sous-entraînées. En le faisant et pour se justifier, Emmanuel Macron fait valoir que les États sahéliens, le Mali en tête, sont à blâmer pour la simple raison que de vastes territoires restent privés de services de base dans cette région, «parce que ces États ne veulent pas prendre leurs responsabilités».
Dans notre pays, le retrait des troupes françaises est différemment apprécié. Pour certains, l’Armée malienne n’est plus ce qu’elle était en 2012. Les soldats ont été davantage entraînés et équipés. Beaucoup plus aguerris au combat qu’ils mènent depuis huit ans, ils sont à même de tenir la dragée haute aux groupes terroristes. Le président Assimi Goïta a participé à la rencontre par visioconférence
D’autres, par contre, estiment qu’il serait compliqué pour nos forces de manœuvrer, sans la France, contre les groupes armés terroristes. Les autorités de la Transition, elles, ont toujours exprimé leur attachement à l’accompagnement de la France dans cette guerre qui n’a rien de classique.
INQUIÉTUDE- La réduction de l’emprise française au sol inquiète aussi les partenaires, notamment les soldats onusiens, bien que Emmanuel Macron ait rassuré : “Nos partenaires bénéficieront aussi du maintien de certaines capacités essentielles au Mali : santé, aéro-mobilité, force de réaction rapide”. Des inquiétudes d’autant plus fondées que la puissance et la réactivité de Barkhane sont des recours précieux qui manqueront à la Mission onusienne en cas d’urgence.
Quant à la Force conjointe du G5 Sahel, elle n’a pas encore un niveau d’action suffisant pour quadriller l’immense région désertique. D’ailleurs, dans le communiqué qui a sanctionné le Sommet, les chefs d’État reconnaissent tacitement que cette force ne dispose pas de moyens d’attaques ciblées, d’engins de transports aériens, de chaîne de santé opérationnelle et des infrastructures pour le casernement des unités déployées dans les divers pays.
Néanmoins, les chefs d’État du G5 Sahel ont pris note des décisions de la France. Le président du Niger a même salué la “rationalisation” de l’engagement français avec lequel les pays du G5 Sahel sont “absolument d’accord”. Emmanuel Macron leur a-t-il laissé le choix ? Il est permis d’en douter. Les propos tenus par le président français portent à croire que les troupes françaises veulent désormais concentrer leurs efforts sur le Sud, où les groupes terroristes poursuivent leur “dissémination”. «Nos adversaires ont aujourd’hui délaissé une ambition territoriale au profit d’un projet de dissémination de la menace (…) à l’échelle de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Cette offensive présage malheureusement d’une pression renforcée sur l’ensemble des pays du Golfe de Guinée qui est d’ores et déjà une réalité», a fait observer le président Macron.
Et pourtant, le chef de l’État français n’ignore pas que le climat sécuritaire au Sahel risque de se détériorer davantage avec le retrait ordonné (par le Conseil de sécurité de l’ONU) des milices armées étrangères de Libye. Les cinq chefs d’État du G5 Sahel ont d’ailleurs attiré l’attention sur ce danger, en exprimant leur profonde préoccupation face à l’absence d’un plan de retrait de ces mercenaires étrangers, estimés à près de 30.000 combattants surarmés. Ils ont demandé expressément que les Nations unies et la Libye contribuent à la sécurisation des frontières du G5 Sahel durant la phase de retrait.
Les actions des forces partenaires sont des appoints aux efforts des pays du Sahel qui devront, comme l’a indiqué le président nigérien, prendre en charge leur propre sécurité. Dans cette perspective et au-delà du rôle des armées, il convient désormais de s’interroger sur les positions politiques qui vont être adoptées par les États. Pour Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l’African Security Sector Network, le retrait des forces françaises sera forcément une ouverture pour une approche sans doute plus politique de la gestion de cette crise, puisque leur départ est l’une des exigences fixée par certains groupes terroristes.
La question des négociations avec les terroristes, que Paris apprécie modérément, pourrait donc revenir sur le tapis. Nos autorités et celles du Burkina Faso ont fait état de leur volonté de s’engager dans un tel processus de dialogue. Même si l’État ne semble pas actuellement négocier directement avec les terroristes sur le plan national, à échelle locale, des discussions ont lieu fréquemment.
À Farabougou, dans le Cercle de Niono, une médiation a été organisée par la Haut conseil islamique il y a quelques mois, avec les groupes armés. Même si cet accord semble avoir volé en éclats aujourd’hui avec la reprise des hostilités entre chasseurs et islamistes armés, toujours est-il que les ententes locales pour parvenir à la paix ont pu prospérer aussi dans la Région de Mopti.
Mais l’absence de garantie de l’État ou même de la Minusma fragilise ces compromis locaux qui ne sont jamais à l’abri des incidents provoqués par les faucons de deux côtés. Quelle que soit la solution de paix envisagée, un État fort adossé à des forces armées qui en imposent, est indispensable pour asseoir une stabilité durable.
Issa Dembélé
Source : L’Essor