Au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta fait sensation en confiant les Affaires étrangères à Tiébilé Dramé, l’un de ses plus farouches adversaires lors de la présidentielle de l’an dernier. Mais Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition, ne s’estime pas trahi par celui qui était son directeur de campagne… En ligne de Bamako, le président de l’URD, l’Union pour la république et la démocratie, répond aux questions de RFI.
Soumaïla Cissé : Non, pas du tout. Je voudrais d’abord en profiter pour féliciter le nouveau gouvernement, je lui souhaite beaucoup de chance, beaucoup de réussite. Nous avons des amis qui sont au gouvernement, qui restent des amis à moi, Tiébilé Dramé, Oumar Dicko. Ce n’est absolument pas une trahison. Nous avons mené beaucoup de choses ensemble, nous avons réussi de très bonnes choses. Aujourd’hui, je suis sûr que chacun d’eux va porter une expertise très utile au pays. Cela dit, sur cet accord et sur l’appartenance au gouvernement, nous avons pensé qu’il ne faut pas participer au gouvernement parce que, pour moi, j’ai pensé qu’il faut rester à l’opposition pour que nous ayons une posture de sentinelle. Il faut être sentinelle de la démocratie, je pense.
Parmi les nouveaux ralliés que vous citez, il y a Tiébilé Dramé, le nouveau ministre des Affaires étrangères qui était votre directeur de campagne l’année dernière, qui était l’un des plus virulents contre le candidat IBK. Est-ce que vous n’êtes pas surpris par sa volte-face ?
Non, moi je respecte les décisions de Tiébilé. Tiébilé, c’est un homme qui réfléchit. Il a un parti politique [le Parena], son parti et lui ont décidé de participer au gouvernement, il faut respecter cela.
Visiblement, vous avez changé de ton par rapport à l’année dernière. Le 28 février dernier, vous avez eu un long entretien avec le président IBK. Est-ce à ce moment-là que vous avez enterré la hache de guerre et que vous avez envisagé de prendre part à un dialogue national ?
Vous savez, le dialogue national, je l’ai réclamé depuis 2013. Et dans mes entretiens avec IBK, comme vous dites, j’ai eu au total près de dix heures d’entretien en tête à tête. Nous avions convenu qu’il fallait absolument un dialogue national.
À la suite du massacre d’Ogossagou, 157 membres de la communauté peule tués le 23 mars dernier, vous avez participé à plusieurs marches à Bamako pour demander la démission du gouvernement Soumeylou Boubèye Maïga. Et visiblement, beaucoup de partisans du président IBK étaient du même avis que vous, non ?
Je pense que cela était évident. Il ne peut pas y avoir un tel niveau de massacres, qui viennent d’ailleurs d’être qualifiés par l’équipe de la Minusma comme quelque chose de proche du crime contre l’humanité. Je veux dire que c’est extrêmement grave comme situation. Et en plus, vous avez suivi la motion de censure qui a été déposée à l’Assemblée nationale, concomitamment par l’opposition politique et la majorité, et qui a abouti bien sûr à la démission du Premier ministre concerné.
Et le dépôt de cette motion de censure, à la fois par les députés du parti au pouvoir RPM et par vos propres députés, c’était peut-être le fruit d’un deal entre IBK et vous à la suite de vos dix heures d’entretien ?
Non, non, non. Pas du tout. On n’en a pas parlé, pendant dix heures d’entretien, nous n’avons pas parlé de son Premier ministre. Nous avons discuté de la situation globale du pays, comment nous en sortir, comment mettre en place le dialogue politique, qui peut être choisi pour diriger ce dialogue politique, c’est sur cela que nous avons le plus discuté.
Alors, le 2 mai dernier, plusieurs partis de votre Front pour la sauvegarde de la démocratie ont signé un accord politique, un accord de gouvernance avec le nouveau Premier ministre. Mais pas vous, pourquoi ?
Non, je crois que nous avons préféré rester dans l’opposition, mon parti et moi-même. Il est évident que nous allons attendre qu’il y ait un climat de confiance qui soit vraiment rétabli. Ce climat de confiance sera rétabli à la suite du dialogue national et des réformes qui vont être envisagées. C’est là où nous allons voir la sincérité de tous les acteurs et que nous allons être comme Saint-Thomas, croire ce que nous voyons. Et si on regarde la composition du gouvernement, qui n’a que deux personnes vraiment de l’opposition dans un gouvernement de 38, je pense que ce n’est pas un vrai partage de responsabilité comme je le souhaitais.
Vous parlez de Tiébilé Dramé et d’Oumar Dicko ?
Absolument.
Vous ne signez pas l’accord du 2 mai dernier, mais vous dites que vous êtes d’accord pour participer au dialogue national. On n’y comprend plus grand-chose.
Mais pourquoi ? Il y a plein de gens qui ne sont pas dans le gouvernement, mais qui vont participer au dialogue national, les syndicats vont participer, les religieux vont participer. Il s’agit d’un problème de la nation. On ne s’oppose pas à tout systématiquement. Là où on n’est pas d’accord, on dira que l’on n’est pas d’accord. Nous avons entamé le dialogue avec IBK, j’ai accepté d’aller le voir. Eh bien, nous continuons ce dialogue-là. Nous allons continuer à discuter, cela ne veut pas dire que l’on est d’accord sur tout. Nous ne sommes pas des opposants qui souhaitent que le pays tombe à l’eau, nous souhaitons participer au redressement du pays.
Le nouveau Premier ministre Boubou Cissé est un économiste et il appartient à la communauté peule. Est-ce qu’il a pour vous le bon profil ?
Boubou Cissé ne doit pas [être] considéré comme un Peul ou comme un non-Peul. Je crois que ce sont des dérives dangereuses. Je ne pense pas que le président l’ait choisi parce qu’il est Peul. Je crois qu’il a une qualité réelle, c’est un bon économiste. Il a été ministre pendant toutes ces années. Je le connais personnellement, il est d’une grande probité morale, je crois qu’il faut lui donner sa chance de réussir. Mais il ne faut absolument pas qu’au Mali, les choses soient analysées en terme ethnique, c’est dangereux. Ce sont des choses que l’on n’a heureusement pas faites pendant longtemps et qui malheureusement aujourd’hui commencent à revenir dans les analyses politiques. Ce n’est pas souhaitable.
Boubou Cissé est réputé très proche du député Karim Keïta, qui est le fils du chef de l’État. Est-ce que c’est pour vous un atout ou un handicap ?
Je n’en sais rien absolument. Franchement, je ne connais pas ses relations personnelles avec Karim Keïta, très sincèrement.
Le ministère de la Défense est confié à l’ancien chef d’État-major de la junte qui avait pris le pouvoir en mars 2012. Or, ce nouveau ministre est poursuivi par la justice malienne pour complicité passive dans le dossier de l’assassinat de 21 bérets rouges, qui étaient opposés à ce putsch de 2012. Est-ce que cela ne pose pas problème ?
Moi, je pense que ceux qui l’ont choisi ont certainement trouvé une façon de résoudre cette équation. Certainement, il y aura une clarification au niveau de la justice pour que tout le monde la reconnaisse.
Et certains disent que ce nouveau ministre de la Défense, le général Ibrahim Dahirou Dembélé, jouit d’une certaine autorité sur la troupe. Peut-il être considéré comme l’homme de la situation ?
Ça se dit qu’il est très proche de la troupe. Je pense que cela pourrait certainement redonner un peu plus de moral aux troupes, mais dans des cas comme celui-là, il faut vraiment voir les résultats sur le terrain. C’est ce qui peut justifier a posteriori le choix de monsieur Dembélé.
C’est la première fois, depuis son arrivée au pouvoir il y a six ans, qu’Ibrahim Boubacar Keïta ouvre son gouvernement à l’opposition. Comment l’interprétez-vous ? Est-ce à dire qu’IBK est plus fort que jamais ou, au contraire, qu’il est aux abois ?
Moi, je pense que la situation est difficile, c’est une ouverture qui reste quand même timide. Deux ministres sur 38, je pense que c’est une petite ouverture, une toute petite ouverture. Bon, à des postes de défis comme les Affaires étrangères avec la communauté internationale, comme le Dialogue social à gérer avec un pays où tout le monde est en grève, mais cela reste timide. Toujours est-il que c’est un début, mais c’est un début qui reflète aussi les difficultés réelles qu’il y a au Mali. Et pour le président lui-même, nous sommes au 6e Premier ministre, cela veut dire qu’il y a une instabilité gouvernementale réelle. Les difficultés sont là, je ne pense pas que cela soit interprété comme des éléments de force, cela pourrait être des éléments de souplesse ou de réalité, pour faire face à ces difficultés, pour pouvoir trouver des débuts de solution.
Est-ce à dire que, devant la gravité des évènements, le nouvel IBK est peut-être moins clivant, plus ouvert, plus consensuel ?
On le souhaite tous qu’il s’adresse un peu plus à la nation, qu’il montre qu’il a un cap pour amener un peu plus d’ordre dans le pays, ramener un peu plus l’État au centre de la gestion du pays, et que nous ne soyons pas dans un pays où il y a des passe-droits à gauche à droite ou un pays divisé par compartiment régional. Je crois que ceci nécessite un engagement encore plus visible de lui-même.
Et vous-même, dans l’opposition, est-ce que vous n’allez pas vous retrouver seul au monde ?
Non pas du tout. Vous savez, il y a beaucoup de forces qui sont avec nous à l’opposition. Il y a des partis importants qui n’ont pas signé cet accord, qui sont résolus à rester dans l’opposition, mais toujours dans le sens positif, le sens républicain pour aller de l’avant. Vous savez, il est important que l’opposition continue à se renforcer et je vous assure que nous ne sommes pas seuls à l’opposition.
Source : RFI
Source: Lerepublicainmali